9 août 2010

Voyager dans le temps


Bien sûr, on dira 20 ans, le futur proche, ou lointain; ou alors le passé, dans une époque assez lointaine  pour pouvoir s'imaginer autre chose que ce que nous sommes. Déjà, je rêve de posséder une riche retraite, une grande maison paisible au milieu d'une terre à bois où je pourrais marcher comme Chateaubriand dans René:

« "Le jour, je m'égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu'il fallait peu de choses à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s'élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du nord sur le tronc d'un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire s'élevant au loin dans la vallée a souvent attiré mes regards ; souvent j'ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j'aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait ; je sentais que je n'étais moi-même qu'un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : " Homme, la saison de ta migration n'est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande. "


" Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie ! Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté et comme possédé par le démon de mon cœur".» (René de Chateaubriand, René)
Je me promènerais l'âme à la vague et retournerais vers ma cuisine chaude où m'attendrait un bon café frais préparé par ma ménagère engagé avant de me glisser dans mon bureau au deuxième, avec deux lucarnes, une sur une étendue d'eau mystérieuse et l'autre sur une montagne majestueuse. Je démarrerais mon I-Mac à écran 22 pouces qui répondrait avec une vitesse mercurienne - j'ai, au centre de cette contrée sauvage, fait acheminer internet haute-vitesse grâce à un câble que j'ai fait enfouir - pour consulter mes abonnements et vérifier mes commandes de vêtements chez LL Beans, de livres chez Indigo ou Gallimard ou Renaud-Bray. Je descendrais plus tard dans mon salon allumer un bon feu dans un de ces foyers moyenâgeux si vastes qu'on y rôtit un élan entier:
«Il avait mal aux yeux à force de regarder fixement, dans  la brunante - C'est pas possible, pas possible, - L'énorme masse, ruisselante d'eau boueuse, noire dans la lumière blafarde du jour à l'agonie, était lentement passée devant lui, à quelques pieds seulement, crevant à chaque pas d'invisibles ventouses sous l'eau, torturée par une nuée de mouches rageuses. Elle était dans une eau plus profonde et seul son corps émergeait, fantomatique embarcation venue d'un autre âge, qui glissait en ralenti de cauchemar au-dessus de la forêt engloutie. Pas un muscle ne se contractait pour marquer le bruit de succion de ses pas. Une puissance à l'état pur, sans une ride, qui coulait de l'incroyable tête préhistorique soulevée par la solennelle voilure des bois, le panache improbable de plus de six pieds de large, aux fortes empaumures, dentelées près de vingt fois. La barbe de bouc, très longue, rendait plus démesurée encore la tête au mufle velu, aux naseaux béants.

Jamais vu une bête pareille. Pas possible! On ne me croira jamais, C'est le buck des Indiens, l'orignal d'avant l'homme blanc. Il sait que je suis là et il n'a même pas tourné une oreille... Comme les bucks de l'Alaska...

Il avait eu le sentiment d'avoir contemplé la liberté de l'aube du monde dans ce marécage qui sentait la pourriture et la mort lente des choses englouties.» (André Langevin, L'Élan d'Amérique, page 81 et 82)
Cette nature-là. Celle du pays. Celle qui coulait dans les veines quand on regardait Radisson et Dégrosillers à la télévision en noir et blanc. Celle qui ne reste plus que dans la tête, parce que comme le Frédéric de Claude Léveillée," maintenant je bois du vin, ça fait plus sérieux"... Dans mon fantasme, alors que je me dore au foyer, la nuit tombe et une neige légère glisse. Je ne pelletterai pas, le cultivateur du rang d'à côté viendra épousseter tout cela demain matin sous les hurlements amicaux de mes huskies, mes compagnons de marche. Si le besoin se présente, je sortirai mon Escalade du garage pour aller au dépanneur du village. Hum! On se sent bien chez soi :


«Cependant le Zéphyr, poussé par un vent favorable, arrivait, quelques jours après la malencontreuse attaque des pirates, en vue des terres de la Lousiane. Un matelot, placé en vigie à la tête du mât d'artimon, avait fait entendre le cri 'terre en avant'! Ce cri, que les marins si accoutumés à la mer et à ses accidents ne peuvent entendre sans émotion, avait amené sur le pont tous les passagers [...] Bientôt on put distinguer un petit vaisseau, sortant de l'une des passes du Mississippi, et se dirigeant dans la direction du Zéphyr. Sa grande voile latine le fit bientôt reconnaître pour en des bateaux pilotes, qui croisent sans cesse à l'embouchure du fleuve, et semblent vivre sur les eaux, comme les goélands, ne retournant à terre qu'alors que les ombres de la nuit sont tout à fait tombées. Il était joli à voir ce joli cutter, courant sur les lames et plongeant de temps en temps à la risée le bout du bôme de son immense brigantine, comme une hirondelle qui trempe son aile à l'eau pour se rafraîchir.
Le capitaine (Pierre de St-Luc) donna l'ordre de faire des signaux, le cutter y répondit et quelques instants après il fut à la portée du porte-voix.
-Ohé! du cutter! quel est ce brick?
-Le Zéphyr!
-D'où venez-vous?
-Du Brésil. Envoyez un pilote à bord
(Georges de Boucherville, Une de perdue deux de retrouvées, page 61 et 62)
Il faut revenir sur terre. Facile, qu'à penser au lendemain... Pourtant, à chaque début de session, la machine à voyager dans le temps redémarre. Chaque mi-août, voilà Clovis et Charlemagne qui ravivent Roland et Guenevièvre; Pisan et Villon s'incarne à nouveau. Et moi, je suis ce pauvre hère en quête de nourriture qui regarde tout ce beau monde en attendant que Gutenberg commence à m'imprimer des livres. Je monte mes chevalets au marché pour la troupe à farces qui passera bientôt et retourne voir à la cabane si dame y est encore et pas parti avec le drapier.
 

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