30 novembre 2010

Nuage de neige


Une compagne de travail me signalait cet après-midi que le ciel était couvert de nuages de neige. Elle rêve déjà de se retrouver dans Charlevoix sur sa planche : 63 cm déjà! Pourtant, les nuages, ils étaient plein gris. Pour y voir la neige, il fallait toute son imagination et tout son optimisme. Un coup de soleil bien agréable finalement dans un 24 heures assez sombre. Au lab des profs, nous avons même entamé une conversation sur la mort, celle surtout de nos pères et mères. Il n'y a aucune fenêtre dans le lab, mais la grisaille y était bien présente.

Alors, je sortirai du cours à 18 h 5. Ce ne sera plus gris, ce sera noir... Le noir a du bon. Il cache, dissimule, lorgne vers l'oubli. La quarantaine ralentit; la cinquantaine amortit; la soixantaine... Un de mes journalistes préférés, Foglia, fête son soixante-dixième aujourd'hui; et il travaille encore; bon, travail, faut s'entendre, c'est comme prof, chroniqueur à temps perdu. Tout de même, juste l'effort de sortir de la berceuse, ça vaut des félicitations. Si on ajoute le vélo, on atteint l'héroïsme!

Les nuages de neige en bout de ligne saignent à plein ce soir. Aucun blanc dans ce gris-là : la flotte pure! Pour la planche, faudra remettre. L'hiver mortifie. Je vais jouquer mon vélo sur un support à billes, démarrer un vidéo de la Bretagne cyclable et pédaler jusqu'au sommeil. Les années où je m'entraînais sérieusement, je gravissais mes 88 étages à la course sur mon Stairmaster en me déhanchant devant Dorsett des Cowboys de Dallas dont l'affiche grandeur nature trônait devant mon appareil; je le battais trois ou quatre fois par semaine : c'est bon pour le moral... Depuis une petite quinzaine d'années, les étages que je monte et descends sont ceux du Collège : c'est presque aussi efficace, je les monte avec du plomb dans l'aile.

29 novembre 2010

Un poème pour réfléchir


Comme une abstraction avec des repères mouvants, Les inventeurs lancent une sonde dans l'imaginaire. La crainte du nouveau répète toujours la même rengaine: reste, reste, ne bouge pas... Plus loin, plus haut, plus vite, entraînent la solitude, mais aussi sans doute la quête de soi.

Les Inventeurs (1949).

Ils sont venus, les forestiers de l'autre versant, les inconnus de nous, les rebelles à nos usages.
Ils sont venus nombreux.
Leur troupe est apparue à la ligne de partage des cèdres
Et du champ de la vieille moisson désormais irrigué et vert.
La longue marche les avait échauffés.
Leur casquette cassait sur les yeux et leur pied fourbu se posait dans le vague.


Ils nous ont aperçus et se sont arrêtés.
Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver là,
Sur des terres faciles et des sillons bien clos,
Tout à fait insouciants d'une audience.
Nous avons levé le front et les avons encouragés.


Le plus disert s'est approché, puis un second tout aussi déraciné et lent.
Nous sommes venus, dirent-ils, vous prévenir de l'arrivée prochaine de l'ouragan,
de votre implacable adversaire.
Pas plus que vous, nous ne le connaissons
Autrement que par des relations et des confidences d'ancêtres.
Mais pourquoi sommes-nous heureux incompréhensiblement devant vous et soudain pareils à des enfants?


Nous avons dit merci et les avons congédiés.
Mais auparavant ils ont bu, et leurs mains tremblaient, et leurs yeux riaient sur les bords.
Hommes d'arbres et de cognée, capables de tenir tête à quelque terreur
mais inaptes à conduire l'eau, à aligner des bâtisses, à les enduire de couleurs plaisantes,
Ils ignoraient le jardin d'hiver et l'économie de la joie.


Certes, nous aurions pu les convaincre et les conquérir,
Car l'angoisse de l'ouragan est émouvante.
Oui, l'ouragan allait bientôt venir;
Mais cela valait-il la peine que l'on en parlât et qu'on dérangeât l'avenir?
Là où nous sommes, il n'y a pas de crainte urgente.

***

Oh la toujours plus rase solitude
Des larmes qui montent aux cimes.


Quand se déclare la débâcle
Et qu'un vieil aigle sans pouvoir
Voit revenir son assurance,
Le bonheur s'élance à son tour,
À flanc d'abîme les rattrape.


Chasseur rival, tu n'as rien appris,
Toi qui sans hâte me dépasses
Dans la mort que je contredis.


René Char

Je demeure sans réponse. Je sais pourtant que l'ouragan ne balaie que l'autre. 

28 novembre 2010

Laurence et Salem


Sans mot. Ça dit tout!
Laurence et Salem dans leur première neige.







Un gros merci à Sandrine grâce à qui tout cela est possible.

Deux citations au nom de l'irresponsabilité populaire.


Un mot du  New York Times, au sujet de la position enviable de la Pologne qui s'est sorti fort honorablement de la crise financière et qui fait des jaloux autour d'elle. Mais, comme l'explique l'article de ce matin dans le Times, c'est plutôt une histoire de bonheur insoutenable: quand tout va bien, il faut bien s'apitoyer sur quelque chose...
«The former polish president, Aleksander Kwasniewski, who served for 10 years, said the best way to describe Poland today was with a short story: “A group of children say to a rabbi, ‘Please tell us in a few words what the situation is,’ ” and the rabbi answers, ‘Good.’
“The children say, ‘Perhaps you can use a few more words, and the rabbi responds, ‘Not good.’ ”

The former president laughed, but then said that the story was not funny.

«Perhaps surprisingly, Poles actually have sound reasons to celebrate: they have navigated the treacherous transition from Communism better than most of the post-Soviet satellite nations, and theirs is the only country in Europe to have avoided a recession during the financial crisis.

Instead, they are feeling insecure, pessimistic and uncertain about the future, and they have turned on one another.

“We have a beautiful face in tough times and during difficult moments, but in normal times, we are lost,” said Jan Oldakowski, an opposition member of the Parliament who was one of several members of the opposition Law and Justice Party to recently quit the party to form a more centrist coalition. “With freedom, Poles do not know how to cooperate with each other.”»
En Irlande, des manifestants ont envahi les rues pour dénoncer le sauvetage européen de leur économie et dire leur mépris envers le gouvernement en place. La cause principale de cette situation: les banques irlandaises qui ont enfoui des milliards de mauvais prêts à des Irlandais survoltés d'acquérir des biens qui allaient au-delà de leurs moyens. Ce n'est pas de notre faute. Nous sommes innocents. C'est la faute du gouvernement de ne pas nous avoir arrêtés; ils doivent pourtant savoir qu'il ne faut pas nous écouter...
“Everything’s collapsing,” one woman said.
An older man placed blame for the crisis on the Cowen government, for failing to rein in the runaway property speculation that left Ireland’s banks with a mountain of bad debt now borne by the taxpayers. “The government has robbed us,” he said. “They’ve destroyed the country that we’ve built up over a number of years. They’ve just destroyed it.”
Cette manie de se plaindre de tout et de blâmer le gouvernement pour nos propres erreurs commence à devenir ridicule. Quand tout va mal, il faudrait remplacer le gouvernement élu; quand tout va bien, on se met à la recherche de problèmes qui n'en sont pas vraiment.

Qu'est-ce que le futur nous réserve?


27 novembre 2010

Quelque part entre le fantasme et la réalité...


Certains l'aiment chaud, d'autre froid. Leur lunch? Leurs fantasmes! Le dernier né de Châteauneuf n'offre que du cru. En Tartare, dont on ignore la provenance, mais dont on finit par se délecter malgré nos craintes, malgré nos scrupules, dans l'intimité de notre lecture...
« Il venait d'aboutir dans le fond d'un cercueil, emmailloté dans des bandes de haillons, semblable à une momie profanée. Coincée à ses côtés, une autre momie, en état de décomposition avancée, le dévisageait du creux de ses orbites, l'air cynique. Malgré que la face fût fort ravagée, Saint-Amant reconnut aussitôt les traits... de son père. Et le macchabée de lui lancer :

— Enfant de chienne! T'as sali la famille! »
(Michel Châteauneuf, La Société des pères meurtriers, page 91)
Il faudrait écrire ça avec un caractère différent. Le Fu Man Chu de Charlebois est probablement allé dans le même trip que ce père en quête du meurtre de son fils délinquant. Au moins, Charlebois avait la chance de pouvoir le chanter le band en renfort. Châteauneuf nous le décrit avec force vocabulaire à un rythme enlevé : 171 pages sectionnées en vingt-quatre morceaux. Un cliff hanger sanglant et trippant à souhait. A-t-on réussi à tuer le fils? Quelques membres du SPM réussissent. Mais la vraie question n'est-elle pas : les pères ont-ils réussi à tuer leur père?


Après la Balade des tordus, les pères meurtriers nous ramènent dans la chair sanguinolente des fantasmes les plus noirs. Le plus fascinant est que ces cauchemars vampiriques s'incrustent presque familièrement dans notre vécu, comme une série de gestes qu'on aime lire parce qu'on n'a jamais osé ni les perpétrer, loin de là, ni même les imaginer dans une quelconque réalité; pourtant, que Châteauneuf les place devant nos yeux, qu'il nous mette entre les mains des pages qui contiennent ces visions, et nous devenons des voyeurs attentifs et avides comme à un match de boxe où les pugilistes se frappent leur plaie ouverte à l'arcade sourcilière, tachent leurs gants, souillent le tarmac; nous nous délectons de chaque goutte.
« Saint-Amant avait disposé sur son bureau les photos obscènes de sa fille Judith. Sur l'écran du téléviseur, la mère, Kathleen, était en train de sucer Christian, ébats filmés à l'époque de leur première année de fréquentation. Il regardait à la fois les photos et le document vidéo, ne sachant pas trop, en se masturbant, si, dans le processus fantasmatique, il jouissait dans la bouche de sa première épouse ou dans celle de sa fille. » (page 133)
 Et tout est bien qui finit bien. Une vraie american ending dont même Woody Allen serait fier. Juste un peu plus corsée... Comme le demandait une gente dame à l'auteur XXX : Avez-vous des enfants monsieur Châteauneuf? Et lui de répondre : Non madame, je n'en ai plus!... Typique de cet auteur sans plume qui gratte le texte avec un couteau dont on ignore si le rouge tient plus d'une plaie ou de menstrues.

26 novembre 2010

Blanche et feu


Le baroque tourne et virevolte. Il s'énerve, en rajoute, glisse et revient. Il n'en finit plus de monter et descendre la spirale. Ici, les notes si claires et finalement si brève du hautbois l'imprime à notre oreille comme un soleil qui perce un nuage d'une blancheur immaculée.


Certaines paroles repirent par elle-mêmes. Certains mots codent plus facilement les sensations directement sans traverser le lexique. Il faut laisser faire; laisser pénétrer les sons pour voir jusqu'où ils iront...


Une amie française à sa première neige mentionnait la belle blacheur ce matin. Les enfants l'avaient remarqué aussi. Je m'étais contenté de déglacer la voiture... Le ciel n'était gris que pour certains.


Un air mélancolique pleine de vague des passions. Chaque note me ramène à la maison, au Survenant. Quelles mystérieuses années à moitié rêvées... à moitié proscrites...

25 novembre 2010

Paysage romantique


Le romantisme français naquit dans la mouvance de la révolution de 1789. Madame de Staël, Allemande d'origine, décrit de façon magistrale ce mouvement dans son essai de deux volumes De l'Allemagne. Monsieur Étienne Duval, professeur, en avait fait la recommandation pour vraiment comprendre cet univers d'excès et de pessimisme.
« Comme CorinneDe l’Allemagne contenait une critique implicite de la politique napoléonienne. Quand il la lut, en 1814, Goethe pensa qu’on aurait pu attribuer à cette œuvre une influence dans le soulèvement de l’Allemagne en 1813. Napoléon vit le danger, interdit le livre et le fit détruire. Par miracle, les manuscrits et plusieurs jeux d’épreuves échappèrent à la vigilance policière. Mais Mme de Staël reçut là un coup fatal qui aurait pu tuer en elle le goût de vivre et le pouvoir d’écrire. Au milieu de ses peines, elle réussit à survivre et reprit la plume dans le secret, travaillant dans ces temps de désespérance autant qu’elle l’avait toujours fait. »
 Ce pessimisme n'a jamais rejoint cette grande dame de la littérature qui observa minutieusement les textes bien sûr, mais surtout l'âme de ce peuple rompu. Après la prise de la Bastille, les colonnes de la France tremblent; l'aristocratie est sur les talons; la Commune frappe, tue, détruit, guillotine, soumet les hordes et finalement consacre le pouvoir de la bourgeoisie. L'écriture acquerra la vocation de graveur de conscience. Boucs émissaires de cette cruauté, les jeunes aristocrates fuient; ils se vident de leur sang et en tachent leurs pages. À côté des Hugo qui clament la liberté d'expression et de création, qui met en scène le pire des exploiteurs contre la laideur de la pauvreté,  et des Dumas qui lancent leur héros dans les dédales des passages secrets de la royauté, les jeunes poètes languissent...


«Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres; - le monde des Esprits s'ouvre pour nous.» (Aurélia, Nerval)
 Ils souffrent. Entre deux mondes, l'ancien et le nouveau, la vie de dilettante ne leur est plus accessible. Ils connaissent l'incertitude. Le deuil...

Partez, partez ! la Nature immortelle
N'a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée;
Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée;
Éternel Dieu ! toi que j'ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?

Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre;
Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j'aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n'a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l'ombre où j'ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?

(Musset, Le Poète)

Ils sont évincés de la cour par les abus de leurs pères. La corruption et la cupidité ruinent leur futur. Ils l'enfouissent donc dans la mélancolie.

Demain, je poursuivrai ce périple avec le roman d'aventures. Nous sortirons de cette torpeur, de ce mal de vivre, pour foncer dans la course folle des mille aventures des héros de cape et d'épée.
 

24 novembre 2010

André Chénier et Angela Davis






Quelques mots pour présenter le poète de la révolution de 1789. Un républicain mort de la main des bourgeois qui volèrent la liberté au peuple français.

André Chénier
Poèmes
Une Fable
«Un jour le rat des champs»
Un jour le rat des champs, ami du rat de ville,
Invita son ami dans son rustique asile.
Il était économe et soigneux de son bien
Mais l'hospitalité, leur antique lien,
Fit les frais de ce jour, comme d'un jour de fête,
Tout fut prêt, lard, raisin, et fromage et noisette.
Il cherchait par le luxe et la variété
A vaincre les dégoûts d'un hôte rebuté,
Qui parcourant de l'œil sa table officieuse,
Jetait sur tout à peine une dent dédaigneuse.
Et lui, d'orge et de blé faisant tout son repas,
Laissait au citadin les mets plus délicats.
« Ami; dit celui-ci, veux-tu dans la misère,
« Vivre au dos escarpé de ce mont solitaire,
« Ou préférer le monde à tes tristes forêts ?
« Viens; crois-moi, suis mes pas ; la ville est ici près :
« Festins, fêtes, plaisirs y sont en abondance.
« L'heure s'écoule, ami ; tout fuit; la mort s'avance:
« Les grands ni les petits n'échappent à ses lois;
« Jouis, et te souviens qu'on ne vit qu'une fois. »
Le villageois écoute, accepte la partie :
On se lève, et d'aller. Tous deux de compagnie,
Nocturnes voyageurs, dans des sentiers obscurs,
Se glissent vers la ville et rampent sous les murs.
La nuit quittait les cieux, quand notre couple avide
Arrive en un palais opulent et splendide,
Et voit fumer encor dans des plats de vermeil
Des restes d'un souper le brillant appareil.
L'un s'écrie; et riant de sa frayeur naïve,
L'autre sur le duvet fait placer son convive,
S'empresse de servir, ordonner, disposer,
Va, vient, fait les honneurs , le priant d'excuser.
Le campagnard bénit sa nouvelle fortune;
Sa vie en ses déserts était âpre, importune.
La tristesse, l'ennui, le travail et la faim.
Ici, l'on y peut vivre. Et de rire. Et soudain
Des volets à grand bruit interrompent la fête.
On court, on vole, on fuit; nul coin, nulle retraite.
Les dogues réveillés les glacent par leur voix;
Toute la maison tremble au bruit de leurs abois.
Alors le campagnard, honteux de son délire
« Soyez heureux, dit-il ; adieu, je me retire,
« Et je vais dans mon trou rejoindre en sûreté
« Le sommeil, un peu d'orge, et la tranquillité. »

Le peuple a toujours ignoré ses alliés. La plupart du temps, il les traîne au poteau, laissant les historiens conclurent sur sa manie à sans cesse suivre la parade plutôt que de la faire. Mais pour initier le futur, il faut du courage... et de la clairvoyance.
« La révolution de 1830, c’est le règne des banquiers, de l’aristocratie financière. L’opposition à ce régime, c’est la bourgeoisie montante industrielle (la petite bourgeoisie et la classe paysanne étant complètement exclues du pouvoir politique). L’aristocratie financière utilise l’état comme un outil au service de sa classe. Ainsi, déficit et emprunt d’état favorisant cette classe sont monnaies courantes sous Louis-Philippe Ier. De plus la classe dominante exploite les dépenses publiques en procédant à la construction de chemin de fer. » (Karl Marx, La Lutte des classes en France)
Pourquoi l'histoire ne bouge-t-elle pas? Pourquoi la même rengaine ne nous offre-t-elle que systématiquement et perpétuellement le même scénario? Exploitation! Corruption! La connaissance du passé offre de multiples avantages pour jauger le présent et prévenir du futur; elle demeure toutefois une avenue souvent sombre pour la classe ouvrière. Et Chénier était à l'image de cette masse aux sautes d'humeur sauvages et sanglantes, mais éphémères, écoutant attentivement la nouvelle soumission genoux au sol et mains tendues.
« Nous devrions adopter un vigoureux multiculturalisme à teneur politique qui mette l’accent sur l’unité communautaire transraciale et sur la poursuite des luttes pour l’égalité et la justice. C’est-à-dire une unité communautaire transraciale non dans le but de créer un beau « bouquet de fleurs » ou un alléchant « bol de salade » - voilà certaines des représentations métaphoriques du multiculturalisme - mais comme moyen de combattre les inégalités structurelles et de lutter pour la justice. Ce type de multiculturalisme est doté de potentialités radicales. » (Angela Davis, Les goulags de la démocratie, p. 36)
Il y a donc espoir.

23 novembre 2010

Quand il pleut sur Passchendaele...


Qui sait? Vous le connaissez ce mort démembré. Non? Alors, on s'en balance. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs... Il faut apprendre à mourir pour défendre ses droits... Quelques balles pour un homme, de grands gains pour les pachas financiers de l'industrie guerrière.



La guerre tue. Il ne faut jamais accepter les guerres : peu importent les raisons. Les guerres sont des massacres barbares. Sinon, à quoi sert une vie humaine? Je suis toujours étonné de voir les frissons d'une salle de cinéma devant la mort d'un chien, d'un chat, d'une foutue souris, et ne pas cligner un oeil, voire se réjouir de la mort d'un homme; si on le torturait, on jouirait même un peu plus. La mort n'est pas une fiction; la mort efface la vie.

Passchendaele reste dans les têtes comme l'étalon suprême de la futilité :
« La bataille de Passchendaele a finalement permis de soulager la pression sur l’armée française et le saillant d'Ypres a été enfoncé de huit kilomètres. Mais les pertes (morts, blessés et disparus) s'élèvent à environ 8 500 Français, 4 000 Canadiens, 250 000 Britanniques, dont au moins 40 000 disparus, le plus souvent noyés dans la boue, et 260 000 Allemands. Une boucherie presque inutile, à l'image de la plupart des grandes offensives du front Ouest de la Première Guerre mondiale. » (Wikipedia)
Avez-vous lu? Futilité! 522 500 humains morts! Un demi-million! Bien sûr, l'Irak, l'Afghanistan, le Koweït, et puis le Vietnam, de la p'tite bière! Comment ça vaut une vie? Je revise la Révolution française avec mes étudiants ces jours-ci. Je leur décris l'ambiance sociale, la colère du peuple, l'hypocrisie de la bourgeoisie et la... futilité d'espérer des changements! Le peuple perd toujours; le soldat meurt toujours. Comme le mentionne d'ailleurs Fabrice de Pierrebourg, dans son Martyrs d'une guerre perdue d'avance, aucun ne reviendra à la maison avec toute sa tête. Il y perdra au change. On envoie de la chair à l'abattoir contre d'autres viandes de couleur et de croyance différentes. Je ne discuterai pas ici des justifications bonnes et mauvaises; les guerres, petites ou grandes, courtes ou longues, saintes ou démoniaques, les guerres sont des tueries; elles sont condamnables. Le plus tragique demeure l'insensibilisation qui s'installe devant l'horreur. Il ne faut jamais déplacer le problème ou commencer à comprendre; il faut refuser; refuser systématiquement!

22 novembre 2010

Panne sèche



Ce matin en me rasant, j'écoutais, sur Canal Académie, un reportage sur les produits nocifs pour la santé et dont les travailleurs souffrirent et, dans certains cas encore, souffrent toujours : l'amiante venait en tête de liste. Elle occupait cette position non pas parce qu'elle était la pire; certains contaminants sont encore plus agressifs; non, elle trônait parce qu'elle était toujours en utilisation et qu'on en poursuivait l'exploitation. Assez pitoyable! Mais il semble bien que l'opposition contre d'autres types de pollution passés, présents ou futurs soit beaucoup plus importante. Les seules fois que les médias osent s'aventurer dans le secteur, c'est quand l'Inde rugit ou que les mineurs chinois s'asphyxient en quantité industrielle. De fil en aiguille, je me suis rappelé la nationalisation québécoise de l'amiante signée sous Monsieur Lévesque. Je laisse la parole à Yves Bélanger :

«Depuis les années 1960, les relations entre le secteur privé et le secteur public ont beaucoup changé. Rétrospectivement, on peut dire que le privé a assumé le leadership dans ces relations à deux reprises, soit pendant la première moitié des années 1960 et entre 1985 et 1994. Pendant ces deux périodes, la machine gouvernementale s’est pour l’essentiel cantonnée dans un rôle de soutien et, à une exception majeure, soit la nationalisation de l’hydroélectricité en 1962, les initiatives de conception purement gouvernementales se sont faites rares. Il faut bien reconnaître que le bilan qu’il convient de tirer de ces deux phases du développement entrepreneurial n’est pas très reluisant avec son cortège d’erreurs et un manque de vision qui se sont avérés coûteux pour le contribuable.» (Yves Bélanger, Conclusion de Québec Inc., à la croisée des chemins, Montréal, Hurtubise/HMH, 1998)
Dans ce dossier, qu'on le regarde de la façon dont on le voudra, le Québec s'est empêtré joyeusement. Les vendeurs se sont remplis les poches juste avant la dégringolade folle de cette industrie. C'est là un exemple de ce que le gouvernement fait quand il se mêle de faire des affaires : des dégâts.

Depuis les années soixante, les interventions n'ont pas été toutes négatives; loin de là! Mais comme le mentionne Québec Inc dans son numéro de novembre, le soutien gouvernemental n'a pas modifié l'esprit entrepreneurial des Québécois. Contrairement à l'Ontarien, il se contente d'une entreprise qui lui procure une vie confortable; sa vision est différente; il ne désire pas faire grossir sa PME pour lui donner des allures de grandes entreprises. Il se bute à des craintes de ne pas pouvoir gérer seul cette machine plus importante et il ne veut pas déléguer non plus pour que des personnes de confiance prennent la relève. Il n'est pas encore un joueur d'équipe. Ce n'est pas qu'il manque d'ambition; il se satisfait de son succès un peu plus rapidement que les autres entrepreneurs canadiens. D'ailleurs, dans les années qui suivront, le Québec sera en perte d'entrepreneur. Un grand nombre des entrepreneurs, encouragés par le soutien de l'État dans les années 70-80 vont bientôt prendre leur retraite et ils ne semblent pas qu'ils aient préparé leur entreprise pour leur retraite; elle sera tout bonnement fermée ou vendue et le risque que le contrôle passe à l'extérieur de la province est fort, car l'offre risque d'être supérieure si elle vient de l'extérieur.

Dans les manchettes, nous retrouvons aujourd'hui, outre les rebuffades des gaz schistes et des éoliennes et de la rénovation de la Centrale nucléaire et du développement de barrages d'Hydro dans le Nord et le développement du Parc Orford et l'exploitation d'uranium dans le bas du fleuve et l'exploitation immobilière de la plaine du Saint-Laurent et des pentes du Mont-Royal et l'exploitation pétrolière du golfe du Saint-Laurent et les craintes de l'exploitation aurifères en Abitibi et le massacre de la forêt boréale sans oublier l'agriculture transgénique, les porcheries et les odeurs nauséabondes qui envahissent les nouveaux quartiers résidentiels, un peu coincés. Il faut faire preuve de beaucoup d'imagination pour créer de la richesse.

«Le Conseil attribue une lettre, de A à D, pour chaque indicateur et une note globale (le Québec obtient un C). " Ce bulletin est un radar afin que les acteurs de la société puissent déterminer la route à suivre pour créer de la richesse ", dit Yves-Thomas Dorval, président du CPQ.
Québec, patrie des patenteux ? Paradis de la PME ? Champion de la création d'entreprises. " Paroles, paroles, paroles ", comme chantait Dalida. La vérité, c'est qu'il se crée moins d'entreprises au Québec qu'ailleurs au Canada, selon Statistique Canada. Le CPQ colle un D au Québec pour la faiblesse de son intensité entrepreneuriale. " Les efforts pour le développement de l'entrepreneuriat doivent être redoublés ", recommande le CPQ. Rappelons que la Fondation de l'entrepreneurship produit depuis 2009 un indice entrepreneurial québécois. Son constat : deux fois moins de Québécois envisagent de se lancer en affaires qu'ailleurs au Canada.» (Les Affaires, 28 août 2012)
À force de vouloir défendre l'environnement et de crier haut et fort contre tous ces suppôts de la malhonnêteté dès qu'ils passent se procurer une BMW ou une Porsche, les volontaires se font rares. Il faut bien avouer aussi que le gouvernement a rendu le chemin pour aider financièrement les projets tellement complexe qu'il rebute bon nombre de candidats. Deux remarques roulent dans le milieu : l'argent arrive comme un parapluie dans un ouragan; le troisième facteur le plus irritant dans la gestion de l'entreprise est le fardeau fiscal. Il vient sans doute en compétition avec la question : est-ce que je crée de la pollution?

(source: Fédération canadienne des entreprises indépendantes)

À la question «Quels sont les principaux défis liés à la gestion de votre entreprise ?»

Le fardeau réglementaire apparaît en première ligne des défis de gestion

Une claire majorité ont retenu les règlements gouvernementaux et les formalités administratives (55,2 % des répondants), devant la difficulté de trouver de nouveaux clients et des nouveaux marchés (52,4 % des répondants).

Graphique 19
Source : Sondage du Québec, FCEI, 2 sept.-30 oct. 2009, 1393 répondants


Règlements gouvernementaux et formalités administratives 55.1%

Trouver de nouveauxclients et marchés 52.4%

Tenir tête à la concurrence 42.2%

Traiter les problèmes liés à l’emploi 41.2%

Gérer les finances 35.9%

Développer les produits et les services de mon entreprise 34.2%

Respecter les obligations fiscales 33.0%

Gérer les technologies 14.7%

Autre 4.6%


Monsieur Dubuc écrit sur la Culture du refus aujourd'hui sur cyberpresse.
«Mais il y a quelque chose de plus profond, qu'on a souvent vu à l'oeuvre: une résistance au développement, une méfiance du secteur privé, une opposition sourde à la dynamique de la création de la richesse, des traits culturels qui contribuent à expliquer nos retards économiques.»
Il est parfois difficile d'être en accord avec cet éditorialiste et nous connaissons très bien son côté de piscine. Toutefois, force est d'admettre qu'il marque un bon point ici.

Il faudrait sans doute commencer à aller de l'avant avec certains projets autres que de signer des pétitions en s'imaginant que cela va changer un iota à la réalité ou participer à des commissions d'études ou parlementaires qui ne servent qu'à graisser, encore une fois, des dindes déjà bien grasses ou permettre à certains coqs de village de s'égosiller un peu dans la basse-cour.

Au regard du dossier de l'amiante, du déclin de l'entrepreneurship, du chiâlage collectif et des multiples évaluation gouvernementales, le Québec n'est-il pas plutôt arrivé à un point de démarrage de la machine plutôt qu'à un point de nettoyage? Ou, si vous croirez encore aux miracles, à ces deux points...


21 novembre 2010

Up up and away... Palin's magic!



Waking too early Sunday morning. Opening my laptop. Falling dead on Sarah Palin's work trail by Draper's article in the New York Times.

Sept pages de texte : dense comme un sermon. Les mots roulent; ils décrivent son itinéraire, passé, présent, futur. Au dernier paragraphe, je reste bouche bée. Siphonné par le vortex de corruption politique, alors même que le soleil éclaire un peu plus la chambre, je me prends à imaginer cette femme à la tête des USA.

Kennedy : Don't ask what your country can do for you, but what you can do for your country.

Marin Luther King : I have a dream!

Sarah Palin: I hear my people grumbling. (?)

Il faut lire cet article. Il trace peut-être la ligne du futur.

19 novembre 2010

Sur une note plus haute...

Cet article est simplement fascinant. Nous retrouvons semble-t-il un art perdu dans les âges, les stétéotypes et les préjugés.


Si vous fermez les yeux, vous vous sentez presque déjà à la cour.

Le cri...


Once upon a time, a singer came and went. He was good and shy. He stalled meetings and contracts. He sang and melt.


Memories brought him the only hope. Dream forever of success sucking on his talent as if on his casket. He got no answers.


Life's a fake. You play along with the comedians: laughing, joking. They're only playing, even if you're the only one with an instrument.


Mille et une nuits pour s'engourdir...

18 novembre 2010

Le Québec, c'est ce Zola là aussi... et surtout!


«Ses organes étaient une poche extrêmement sensible, une poche douloureuse de  vie retenue. «Un jour, tu te feras tuer à force de l'étriver comme ça. Milien.» Il haussait les épeules, crachait dans la mare de pisse derrière le taureau. Et si c'était cela la vie: respirer les odeurs de l'étable? Wuand il serait vieux, il perdrait le souvenir de tout le reste, il n'allait plus se rappeler les bâtiments, ni les bêtes qu'il a eues, qu'il avait soignées et qu'il avait tuées dans les premiers froids de décembre. Sauf peut-être la tête coupée du taureau qu'il verrait dans la neige, sous le pont, là où les tripes inutilisées des cochons faisaient des colonnes de vers à anneaux. Au printemps, cela puerait et les gros anchets blancs envahiraient les carcasses qui finiraient par disparaître complètement sous le tas de fumier. Et pendant qu'il chargeait des ballots de paille souillée la vieille ouaguine, Milienne, allait sortir de la maison, rassurante parce qu'elle était toujours aussi grosse, les cheveux noirs tirés en chignon derrière la tête, et son tablier de toile dessinant la chute des seins sous la robe, Alors, il allait planter son broque dans le fumier, appuierait son coude dessus, et il la regarderait venir, fier d'elle qui était comme une reine dans le sentier, suivie du vieux chien aux yeux chassieux qui n'avait plus que le nez, tout le reste de son corps étant passé de l'autre côté de la vie. Il allait le tuer un jour prochain (l'attacher à ce piquet près du tas de fumier, lui tirer une balle dans la tête). Les enfants ne voudraient pas qu'il aille le noyer dans la Boisbouscache. Aussi viendraient-ils le lui enlever et le tireraient-ils par les pattes jusque dans le potager devant la maison et là, ils le feraient tenir debout dans la neige. Le chien gèlerait, ce serait ce Sphinx mutilé qui monterait la garde tout l'hiver devant la porte.» (Victor Lévy-Beaulieu, Les grands-pères, page 65 et 66)
Il va falloir, un jour, s'assumer. Nous sommes un peuple ignare, malfaisant et malhonnête. Les quelques bulles d'oxygène qui parviennent à la surface ressemblent à du méthane s'échappant de la vase nauséabonde de détritus pourrissant dans notre bacul social. Les scandales qui émergent de nos dirigeants et des princes de l'industrie nous font jouir comme ces frères d'armes qui ont mieux réussi. Le parrain meurt; vite, à la nouvelle, journaliste faisant la queue aux premières loges des badauds de tous âges savourant goulument la procession funéraire: 1789 n'aurait pas fait mieux!

Taux de décrochage record. Taux de diplomation anémique. Analphabétisme fonctionnel effarant. À cette guirlande, nous ajoutons le dévoilement épidémique, pandémique, des corruptions à tous les niveaux. Jusqu'à la grande dame qui défie Orgon, on aura tout vu. On croirait les précieuses ridicules se gaussant devant les fourberies de Scapin. Juste derrière eux, les malades imaginaires remplissent les premières pages et leurs blogues plogues pour nourrir les dévots. Bravo Rémi Girard! Va travailler à Toronto. Sors de cette galère poissante condamnée à naviguer en circumvolution dans une mer de sargasse sirupeuse.

Tiens, je devrais mettre Beaulieu au programme cet hiver et démontrer à mes étudiants jusqu'à quel point ce québécois a vu clair dans le jeu de son peuple: aimer la crasse et la chérir; lui offrir les plus joyautés coffres d'ébène; mais conserver tout ce patrimoine de bécosses à proximité pour faire les manchettes de temps à autre.

Un peuple qui ne lit pas cultive l'ignorance et la dépendance. Un peuple qui refuse de se lire se cache et s'illusionne.
 

17 novembre 2010

La réflexion et la spontanéité


Inutile de songer à mieux. Il pleuvait aujourd'hui; toute la journée. Une pluie froide; un vent tranchant. Un temps de lire me dis-je en longeant la rue aux reflets noirs. Je ne vois personne dans les automobiles qui me croisent. Agaçant! J'aime voir ces visages au volant. Peu importe. Je me traine les pieds jusqu'au perron du collège. Quelques heures de cours; quelques heures de surveillance au lab; et je pourrai ressortir, dans la pluie, encore, mais une pluie plus amicale, presque tiède, une pluie de retour à mon imaginaire et au parking où se trouve ma voiture... Je vais me remettre dans les Witches of Eastwick!

Je place ici le texte complet du blogue d'Assouline sur la confrontation de la critique littéraire et de la mode des commentaires qui envahissent l'univers de l'opinion du lectorat contemporain.
«On ne sait jamais trop comment accueillir la naissance annoncée d’un concept. Du moins le nouvel usage d’une notion que l’on croyait jusqu’alors assez banale. Il y a quelques jours, LivresHebdo publiait les résultats d’une enquête auprès de 430 “points de vente” sur la prescription littéraire. Le “Monde des livres” apparaissait en tête des médias de presse écrite, “La Grande librairie” en tête des émissions de télévision et “Le Masque et la plume” en tête des émissions de radio. Mais l’enquête laissait insatisfait en raison du peu de place qu’elle accordait à la critique des livres sur la Toile. Comme si nous avions été entendus, le siteNonfiction.fr met en ligne un dossier sur le même sujet, mais plus consistant et ouvrant plus largement le compas. Son titre “Sur la mort du critique culturel ?” présente déjà de nouvelles perspectives, pas très réjouissantes. C’est à se demander si le point d’interrogation à la fin du titre n’a pas été placé par prudence, au cas où la bête bougerait encore et se manifesterait contre l’annonce légèrement prématurée de sa mort.
   Nonfiction.fr s’appuie sur un sondage, non représentatif de la population car effectué auprès de ses propres lecteurs, et sur une enquête de terrain auprès de 60 libraires. L’un et l’autre permettent de dégager des tendances: “Le Monde des livres” figure toujours en tête, suivi par “Télérama”, des matinales de radio qui ont hélas changé depuis (France-Inter) etc. Mais le plus intéressant est dans les conclusions et les enseignements qu’en tire la rédaction de Nonfiction.fr :
- Résistance des prescripteurs traditionnels malgré la perte d’influence des critiques.
- Multiplication et dissémination de la prescription.
- Rôle croissant des blogs et des sites multimédias dans l’amplification du buzz autour d’un livre.
- Place déterminante des sites de vente en ligne les mieux référencés.
   Le bouche-à-oreille demeure “le” prescripteur absolu. A ceci près qu’il n’est plus nourri et irrigué comme avant, et qu’il est rebaptisé “recommandation personnelle”. Quant à savoir ce qu’il faut entendre par là, je vous renvoie auxdéveloppements d’Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information, sur ”l’économie de l’accès” ou “l’économie de l’attention”, la confusion entre logique de flux et logique de stock, et à l’analyse de Marie Laforge.
   Faut-il pour autant, comme y invite la rédaction de Nonfiction.fr, parler de “révolution culturelle”, de victoire de la recommandation numérique et de triomphe des algorithmes sur le tombe du critique traditionnel, arbitre du goût devenu simple passeur au service du consommateur et donc du producteur ? Sa conclusion :
“En fin de compte, on se demande si la mort du critique débouchera nécessairement sur plus de diversité et plus de démocratisation, ou si, au contraire, elle ne donnera pas lieu à une commercialisation extrême de la recommandation. Entre une critique endogamique coupée des pratiques culturelles réelles et une économie de la recommandation totalement marchandisée, ne risque-t-on pas de passer du mauvais au pire ? N’est-il pas grand temps d’inventer de nouvelles formes de critiques qui tenteront de démocratiser le jugement, multiplier les points de vue, préserver le sérieux de la critique et sa singularité, sans pour autant dépendre uniquement d’algorithmes mécanisés tenant compte exclusivement des ventes ou du goût des masses.”
 Je me souviens de ce cours avec Joseph Bonenfant à l'université dans lequel le critique universitaire nous lançait inlassablement dans les introductions de multiples volumes des plus grands critiques français pour en extirper la structure de développement et l'originalité du regard posé sur un auteur cent fois décortiqué. Quel pensum! Mais quelle formation. Quel apprentissage! Après une telle rencontre, il est impossible de lire de la même façon. Pensez une seconde à l'impact de lire du Blanchot en relation avec Kafka : la lumière fouineuse dans le dédale obscure.

Assouline a probablement raison d'imaginer un futur dénué de profondeur analytique dans les études littéraires. Il faut sans doute le déplorer. Mais, faisant partie de cette mouvance populaire, ne suis-je pas très mal placé pour la décourager? Pourtant, j'espère que le temps ne manquera jamais à celui ou celle qui voudrait aller plus méticuleusement à l'intérieur des imaginaires sophistiqués des auteurs, qu'ils proviennent des origines lointaines ou sentent encore l'encre des presses.

Darrell Powe

Gorilla Moonsoon

Le bûcheron! Le luttteur! Le gorille! Quand un humain dédie ses talents à la destruction d'autrui.



C'est injuste pour les ouvriers de la forêt. Ils ne sont pas aussi myopes: ils frappent sur les arbres.
 
Monsieur Darrell est, de toute évidence, d'une grande intelligence. Il a réalisé au cours de sa carrière que son utilité dans le sport était de détruire les athlètes talentueux autour de lui; il lui fallait tout simplement accumuler le moins de minutes de pénalité en assénant délibérément, mais le plus hypocritement possible, les coups les plus vicieux possible et retourner au banc récolter son biscuit de l'instructeur moron qui lui en avait confié la tâche en premier lieu. Le commissaire donnera peut-être quelques matches de suspension que se fera un plaisir de défrayer l'équipe au nom de son apôtre de la croix de fer; cela dépendra de la température de sa douche ce matin et de l'accueil qu'il a reçu quand il a déposé sa luxueuse limousine avant de siéger dans son moelleux bureau de quelque élégante tour de bureau du Centre-ville.
 
Monsieur Darrell ne s'en fait pas. Il deviendra peut-être commentateur ou vedette. Les exemples ne manquent pas. Des débiles, il y en a plein l'écran. Il peut continuer le beau travail de destruction: après les poings et les sacres, les bagues et les rires gras.

16 novembre 2010

Les rois barbares

L'Histoire publie ce mois-ci un dossier sur les Mérovingiens.« On les dit incapables et cruels. Coincée entre le glorieux Empire romain et la renaissance carolingienne, leur dynastie fait souvent pâle figure » page  40). Mais les Carolingiens les ont carrément crucifiés avec l'aide de Grégoire de Tours. Chose certaine le gentilé franc vient d'eux; ils nomment ainsi le citoyen, l'ayant droit au jus civitas. Ils doublent le territoire sous protectorat. Ils lancent même des expéditions expansionnistes. Mais les francs, à l'image des Celtes, vénèrent trop leur liberté, de mouvement et de pensée, pour s'unifier sous de mêmes comportements sociaux ou religieux. C'est ainsi que sous les Mérovingienss, catholiques de nom, les Francs s'engouffrent dans l'histoire sans traces précises.

Il nous reste Clovis et Dagobert. Le grand Saint-Éloi aussi.

N'est pas barbare qui veut. L'ignominie voisine apprivoise rapidement l'opinion. Comme mes étudiants me le faisaient remarquer alors qu'ils lisaient avec plus ou moins d'intérêt leur anthologie philosophique, du ignorer que j'ignore au savoir que je ne sais rien le trajet est fort long. Chaque régime tue le précédent. Il fait table rase du passé. Par orgueil autant que par efficacité. Quand nous parlons des barbares qui envahirent l'Empire romain, il faut mettre les bémols nécessaires à une situation où les successeurs de ces peuples du nord ont tout fait pour faire oublier leurs origines et de chercher ardemment à retrouver les valeurs de ceux qu'ils avaient défaits.

15 novembre 2010

La sonate à Kreutzer


Le brouillard finit par se lever. On sent plus qu'on ne voit. On avance dans l'espoir d'atteindre quelqu'un quelque part... Bien trop jeune pour lire une telle histoire. Le hasard débite des bêtises pendant que la raison souffle les tisons. La lecture de la dernière parution du Magazine littéraire rouvre ce tiroir de Tolstoï fermé en même temps que la dernière phrase:


«Et je pensai tout de suite qu’il fallait y aller, qu’il devait en être ainsi toutes les fois qu’un mari, comme moi, tuait sa femme. Puis je me dis en songeant à mon intention de me suicider.


« S’il le faut, j’aurai toujours le temps ». Et je suivis ma belle-sœur, en me disant : « Les effusions, les grimaces vont commencer, mais je ne me laisserai pas affecter. »

– Attends donc, dis-je à ma belle-sœur. Laisse-moi au moins mettre mes pantoufles ; j’ai l’air trop bête en chaussettes.»
Et cet homme pesa sur ma jeunesse tels ces Draculas de pacotille des matinées du samedi: il tuait sa femme.


«– Ne mens pas, misérable ! ne mens pas ! m’écriai-je en la saisissant par la main.


Elle se dégagea. Alors, sans quitter mon poignard, je la saisis à la gorge et la terrassai pour l’étrangler. Ses deux mains se cramponnèrent aux miennes pour dégager sa gorge, râlant.

C’est alors, comme escomptant ce geste, que je lui plongeai mon poignard dans le côté gauche, au-dessous des côtes :

Ceux qui prétendent qu’on ne peut se souvenir de ce qu’on a fait dans un accès de fureur, avancent une stupidité et un mensonge. Je n’ai pas perdu un seul instant la conscience de ce que je faisais. Plus j’attisais ma rage, plus je voyais nettement ce que je faisais : je ne me suis pas oublié une seconde. Je ne dis pas que j’aie prévu ce que j’allais faire, mais à la seconde même où je l’exécutais, j’en ai eu conscience, peut-être même un peu avant ; je savais ce que je faisais, prévoyant la possibilité du repentir et comme pour me dire par la suite que je pouvais m’arrêter à volonté ; je savais que je portais le coup au-dessous des côtes et que le poignard pénétrerait.

Sur l’instant même, je savais que je commettais un acte horrible, tel que je n’en avais jamais commis et gros d’épouvantables conséquences. Mais cette conscience fut rapide comme l’éclair et l’acte suivit immédiatement. Je me rendis compte de cette action avec une clarté extraordinaire. Je revois toute la scène : la résistance du corset, d’un autre objet encore, puis le poignard s’enfonçant dans la chair molle.

Elle avait voulu saisir le poignard dans ses mains, s’était blessée, mais n’avait pu l’arrêter.»
Pozdnychev en fait le récit dans un train. Il a été relaxé par la cour; c'est dire l'importance de la femme. C'est la charia en plus noire; c'est la justice sourde de la société qui punit l'infidèle d'avoir aimé le violoniste. Le rustre entre au bercail.

Tolstoï, comme les auteurs russes en ont l'habitude, pénètre la réalité froidement.
«Aujourd'hui que la révolution des moeurs a entraîné la thèse «encratite» de Tostoï dans la fosse de l'Incompris, ce qu'il reste, ce n'est pas la cémontration en cinq points de sa postface, mais l'extrairdinaire violence foide, le haine jamais assouvie à l'intérieur du couple humain, c'est la superbe mise en abyme des scènes du train, d'est la cage de ce compratiment ferroviaire où des hommes sont enfernés comme des fauves - et le train, c'est la medernité haïe de Tolstoï.» (Georges Nivat, Le magazine littéraire, page 75)
Anna Karénine avait pourtant prévenu:
 
«Elle alla se déshabiller et passa dans sa chambre ; mais où était cette flamme qui animait toute sa physionomie à Moscou et dont s’éclaircissaient ses yeux et son sourire ? Elle était éteinte, ou tout au moins bien cachée.» (Tolstoï, Anna Karénine, chapitre XXXIII)


Concluons avec ces mots de Nabokov:
«Anna n'est pas qu'une femme, qu'un splendide spécimen du sexe féminin, c'est une femme dotée d'un sens moral entier, tout d'un bloc, prédominant : tout ce qui fait partie de sa personne est important, a une intensité dramatique, et cela s'applique aussi bien à son amour. Elle n'est pas, comme Emma Bovary, une rêveuse de province, une femme désenchantée qui court en rasant des murs croulants vers les lits d'amants interchangeables.


Anna donne à Vronski toute sa vie. Elle part vivre avec lui d'abord en Italie, puis dans les terres de Russie centrale, bien que cette liaison " notoire " la stigmatise, aux yeux du monde immoral dans lequel elle évolue, comme une femme immorale. Anna scandalise la société hypocrite moins par sa liaison amoureuse que par son mépris affiché des conventions sociales. Avec Anna Karénine, Tolstoï atteint le comble de la perfection créative.» (Vladimir Nabokov)
Tolstoï, aussi myope soit-il, voyait loin dans l'âme humaine.