3 août 2010

Jeanne d'Arc à la DPJ


Fille bâtarde d'Isabeau? Ton père est maire Jeanne? Tu ne sais ni lire ni écrire? Tu es une héroïne de Age of Empire; ma foi, faire partie de ce jeu admirable, c'est déjà la reconnaissance. Tu es mythique. Tu pries avec ta mère; tu t'occupes du ménage de la maison; tu tisses, mais tu détestes faire la vaisselle. On parle de ton anorexie et de ta taille : brune avec une tache de naissance derrière le cou, comme les sorcières, tu portes une longue et lourde armure. Tu quittes le village pour suivre l'armée et ses guerriers. Tu t'en vas voir ton roi pour sauver le France des Anglais. Apparemment, Merlin parle de toi; bon, tu ne fais pourtant pas partie de la distribution de Shrek; un oubli qui vaut un oscar!

« Mais après cette apothéose, il n'y aura plus que retombée déclin, défaite et horreur, Charles s'abandonne à son apathie naturelle, malgré l'accueil fervent du bon peuple partout où il passe, et les exhortations de Jeanne qui l'engage à marcher sur Paris, D'atermoiement en bavardages diplomatiques on attend septembre pour attaque enfin la capitale du royaume. Le 7  enfin douze mille Armagnacs, commandés par Gilles et Jeanne, avec charrettes et chariots de fagots et de fascines destinées à combler les fossés, s'attaquent aux portes Saint-Honoré et Saint-Denis, Jeanne somme les assiégés de se rendre. » (Michel Tournier, Gilles et Jeanne, pages 28 et 29)
Me Jacques Vergès prononce un superbe argumentaire basé sur les deux illustres héroïnes, Jeanne d'Arc et Antigone. La tragédie de l'une que représente son rôle d'accusé dans une cour de justice se compare avantageusement avec le procès de l'autre qui s'envenime au point de la mettre sur le bûcher. Dans le quotidien médiéval, elle se glisse en prophète reconnu en qui la population met son espoir. Charles, quant à lui, s'en servira pour améliorer sa crédibilité. En 1400, Jeanne écoutait les voix célestes; aujourd'hui, nous cherchons encore comment interpréter son rôle et découvrir les tangentes obscures qui sillonnèrent sa vie. Au Moyen Âge, la frontière fait le partage entre la quotidienneté et le monde des fées. Tout étranger, et d'autant plus s'il venait de loin, recevait le respect que la peur de l'inconnu inspire.

Je me souviens d'un Cid et de sa Chimène qui revêtaient des costumes de vinyles noirs et de colliers de maillons de chaîne. Leur voix plaisait au moderne et rappelait au classique la profondeur du mythe qu'ils transmettaient. Jeanne du coin de la rue qui vient de quitter sa famille pour rejoindre les percés ou autres gangs de rues ou de parcs inquiète le promeneur; à qui ressemble-t-elle? Quelle est sa mission? Les guerriers du front de l'Afghanistan ou d'Irak, ou des multiples coulées de sang sur la planète ne l'auraient-ils pas plus facile : lutter sous les ordres pour une mission définie; mercenaires esclaves de la recherche de pouvoir. Jeanne, seule, à droite puis à gauche, passe à la guillotine de la normalité de ses bons parents qui lui trace un chemin, souvent le leur, pour sa récupération. Sur le coin, en regardant la rue puis le futur, le choix devient un supplice dont sa vie est l'enjeu. Parfois, Jeanne s'en va; elle prend un billet pour quelque part ailleurs; elle va chercher son roi pour lui porter un message; avec un peu de chance, elle trouvera avant de crier sur le bûcher.

Si difficile que soit l'acceptation tacite des hallucinations religieuses de cette jeune fille, Colette Beaune la défend avec une savante naïveté l'épopée de la Pucelle. Mais ne nous faut-il pas une quantité gigantesque de naïveté pour continuer à croire? Quand j'écoute Vergès, je suis convaincu que le destin de Jeanne, d'Antigone, de Claus Barbie et Sadam Hussein partagent un certain nombre des mêmes données : entre autres la passion de vibrer au diapason de leur passion. Si nous mettons de côté les croyances, les moralités et les esprits de clan, nous nous retrouvons devant un néant indiscipliné à l'intérieur duquel toutes les passions deviennent permissives et même souhaitables dans la mesure où elles participent à la réalisation plus totale de l'individu par la quête de ses inspirations. Alors, où placerait-on Villanueva, ce jeune hondurien qui risque le retour dans son pays d'origine pour ses désobéissances répétées aux lois du pays? Avec Jeanne, ou les êtres errants de nos rues qui encombrent notre société?

Aucun commentaire: