13 août 2010

1958... Une éternité!

En 1958, une époque, au Québec, durant laquelle les parents commençaient à percevoir l'influence américaine en même temps qu'une certaine effervescence politique. Duplessis est mort. Le parlement de Québec ballotte au vent, le grand foc a perdu son vent et à Ottawa on tente de garder le lest. En 1958, j'ai 7 ans et ma soeur, l'aînée de la famille en a 9. Nous sommes bien trop jeunes pour être éveillés à la politicaillerie de l'époque. Notre univers ne contient pas beaucoup plus que les parties de cachette dans le voisinage, la partie de ballon, les premières chansons des Beattles et les escapades aux processions au flambeau du Sanctuaire du Cap pour se cacher dans les buissons pour «observer» les pèlerins.

Je vous en parle ce soir parce que je viens de coucher mes deux plus jeunes: 7 et 4 ans. En revenant au salon, je me suis dit: tiens, tout de même bizarre de penser qu'à l'âge de Laurence (7), je gardais déjà avec ma soeur, 9 ans, la maison qui contenait deux autres enfants plus jeunes: 5 et 3 ans. Mes parents étaient de bons parents; en tout cas, autant que je m'en souvienne, nous, on trouvait ça normal; et aucune crise majeure ne s'accroche à ma mémoire. Tout avait dû bien se passer. Est-ce que les autres parents faisaient la même chose? Je l'ignore. Je me rappelle que nous avions même hâte à ces soirées de gardiennage, car nous avions comme consigne à l'heure du coucher d'aller nousétendre dans le lit conjugal de la grande chambre parentale; on avait presque hâte de se coucher...

Aujourd'hui, les parents qui feraient cela passeraient pour des dénaturés, des irresponsables. Bien sûr, le contexte n'est pas le même. Les voisinages ont bien changé. Les risques ont augmenté de toute évidence. Mais j'oserais dire aussi que les enfants ne seraient possiblement pas assez matures pour qu'on leur fasse confiance; et encore moins d'ailleurs avec deux autres jeunes enfants. Deux côtés de la médaille: maturité responsabilité. En 58, il n'y avait rien de mécaniser autour de moi, ou si peu. Il y avait le vélo pour les déplacements; Montréal représentait trois longues heures de route minimun souvent à la queuleuleu sur la 2 (la 138 actuelle); pas d'ordinateurs ni d'internet bien sûr; les jeux, on jouait ça sur des cartons avec des pions en bois ou en plastique; la télévision nous offrait Radio-Canada (le 2), la CBC (le 6) et Télé-Métropole (le dix); notre garde-robe se résumait à une paire de culotte courte, une paire de pantalon long, une paire de «shouclac», une chemise à manche courte et une à manche longue. Un bain par semaine et des lits de fer. En regardant les pauvres de la p'tite Pologne ou du village de tôle à l'angle Des Forges et Des Récollets, on se voyait riche comme Crésus. On avait peu, ils n'avaient rien. Les Noël du Pauvre montraient des cabanes sans planchers, les gens vivaient sur le sable; les conditions de salubrité étaient pitoyables et les gens donnaient des cinq sous, les plus nantis des trente sous. Difficile à imaginer aujourd'hui. Mais à 7, 8, 9 ans, on était déjà plus homme ou plus femme que les 16, 17 ans d'aujourd'hui. Ils travaillent, ils ont leur char, leur ordi, leur cel... mais pas un brin de vécu. Bon, faut les comprendre; moi non plus je n'veux plus vieillir.

Pourtant, dans cette mer d'insouciance et de montagnes qui accouchent de souris, secrètement, discrètement, il y a tous ceux qui, depuis 6,7,8 ans vieillissent tout croche. Quand je les reçois au collège, ils sont rarement identifiables; ce n'est pas mon travail de les identifier non plus. Ces caméléons sont là pourtant. Démunis. Seuls. D'autant mieux cachés que toute la société leur enlève le droit à la souffrance. Tous ceux-là, ils mériteraient de retourner en 58 où tout était plus simple finalement. Ton père; ta mère; tes frères et soeurs; tes voisins. Quand tu voulais t'évader, il y avait le p'tit blanc dans l'fond du placard sur la dernière tablette; la caisse de bière, tabernacle à ne jamais approcher; pour les plus braves, il restait le pouce vers la Californie ou l'autobus voyageur vers Chicago... Mais ça, c'était plus des fantasmes, des rêves, des illusions... En 2010, plus besoin de prendre le chemin: drogues illicites et breuvages énergisants feront l'affaire.

«Lorsque j’arrivai, on me dit qu’il était dans son laboratoire, et comme je connaissais les êtres, j’allai le trouver. Le laboratoire cependant était vide. J’examinai un moment la Machine et de la main je touchai à peine le levier ; aussitôt, cette masse d’aspect solide et trapu s’agita comme un rameau secoué par le vent. Son instabilité me surprit extrêmement et j’eus le singulier souvenir des jours de mon enfance, quand on me défendait de toucher à rien. Je retournai par le corridor. Je rencontrai mon ami dans le fumoir. Il sortait de sa chambre. Sous un bras il avait un petit appareil photographique, et sous l’autre un petit sac de voyage. En m’apercevant, il se mit à rire et me tendit son coude en guise de poignée de main.

" Je suis, dit-il, extrêmement occupé avec cette Machine.

– Ce n’est donc pas une mystification ? dis-je. Vous parcourez vraiment les âges ?

– Oui, réellement et véritablement. "

Il me fixa franchement dans les yeux. Soudain, il hésita. Ses regards errèrent par la pièce.

" J’ai besoin d’une demi-heure seulement, dit-il ; je sais pourquoi vous êtes venu, et c’est gentil à vous. Voici quelques revues. Si vous voulez rester à déjeuner, je vous rapporterai des preuves de mes explorations, spécimens et tout le reste, et vous serez plus que convaincu ; si vous voulez m’excuser de vous laisser seul un moment. "

Je consentis, comprenant alors à peine toute la portée de ses paroles, et, avec un signe de tête amical, il s’en alla par le corridor. J’entendis la porte du laboratoire se refermer, m’installai dans un fauteuil et entrepris la lecture d’un quotidien. Qu’allait-il faire avant l’heure du déjeuner ? Puis tout à coup, un nom dans une annonce me rappela que j’avais promis à Richardson, l’éditeur, un rendez-vous. Je me levai pour aller prévenir mon ami.

Au moment où j’avais la main sur la poignée de la porte, j’entendis une exclamation bizarrement inachevée, un cliquetis et un coup sourd. Une rafale d’air tourbillonna autour de moi, comme je poussais la porte, et de l’intérieur vint un bruit de verre cassé tombant sur le plancher. Mon voyageur n’était pas là. Il me sembla pendant un moment apercevoir une forme fantomatique et indistincte, assise dans une masse tourbillonnante, noire et jaune, – une forme si transparente que la table derrière elle, avec ses feuilles de dessin, était absolument distincte : mais cette fantasmagorie s’évanouit pendant que je me frottais les yeux. La Machine aussi était partie. À part un reste de poussière en mouvement, l’autre extrémité du laboratoire était vide. Un panneau du châssis vitré venait apparemment d’être renversé.

Je fus pris d’une terreur irraisonnée. Je sentais qu’une chose étrange s’était passée, et je ne pouvais pour l’instant distinguer quelle chose étrange. Tandis que je restais là, interdit, la porte du jardin s’ouvrit et le domestique parut. Nous nous regardâmes, et les idées me revinrent.

«"Est-ce que votre maître est sorti par là ? dis-je.

– Non, monsieur, personne n’est sorti par là. Je croyais trouver monsieur ici. "

Alors je compris. Au risque de désappointer Richardson, j’attendis le retour de mon ami, j’attendis le second récit, peut-être plus étrange encore, et les spécimens et les photographies qu’il rapporterait sûrement. Mais je commence à craindre maintenant qu’il ne me faille attendre toute la vie. L’Explorateur du temps disparut il y a trois ans, et, comme tout le monde le sait maintenant, il n’est jamais revenu.» (H.G. Wells, La Machine à voyager dans le temps, chapitre XVI)
Finalement, je choisirais 1958 avec Michel et Daniel. Mais je ne sais pas s'il serait d'accord?


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