9 septembre 2009

L'instant écrit

_ + = plate à mort ou l'infini...

: # = bouche cousue ou herpès buccal

à + = (accent facultatif) à plus tard ou à plusieurs

Langage de cafetière. Ignorance crasse. Paresse congénitale.

Parlons. Lisons.

Clive Thompson on the New Literacy survole notre écriture; celle de nos étudiants aussi.

À l'heure où notre ministre de l'éducation annonce un énième plan pour contrer le décrochage, les enfants, les adolescents, les adultes, ma foi, toute la population mondiale de toute la terre écrit à en perdre la tête. Vous êtes-vous déjà arrêté à réellement penser à la masse infinie et aussi incalculable que les déficits budgétaires de nos gouvernants produite quotidiennement. Combien d'amis avez-vous sur Facebook? Combien de conneries avez-vous lues ou écrites sur votre ou tout autre blogue? Combien de suiveux ou de suivants comptez-vous sur Twitter? Ce ne sont que quelques-unes des multiples interfaces disponibles. Ne parlons pas des courriels, des copies conformes, des listes, des groupes, des copies masquées et autres manigances pour rejoindre des humanoïdes bipèdes dans un certain espoir d'évangélisation. On tuerait pour communiquer. Une bonne proportion de l'humanité placote abondamment sur la Toile : Toile? Web! On ne croyait pas si bien dire; on en est tous là : sur et dans la toile et l'araignée s'empiffre goulument... Mium mium mium... L'écrit est « Paramount ». Hors contrôle. Libéré. Free as a bird!

Qui va pouvoir gérer cette formidable créativité? Personne! Trop tard! Le monde a pris le contrôle de l'écrit. On lui a coupé la parole en le gorgeant d'images télé. On lui a coupé la parole en lui rappelant constamment qu'il n'avait rien de vraiment intéressant à dire : va jouer au soccer; mets tes écouteurs; pratique ton Lost Invaders; Wii Wii! À l'école, on le parque quelques instants entre les journées pédagogiques et les visites aux mille et un médecins de l'âme et des pieds. Depuis quelques années, les maladies et troubles de déficience de toutes sortes fusent de toute part : hyperactivité, dyslexie, alexie... et le Survenant! Il faut punir sévèrement toute tentative de rédiger des SMS en classe : mais pourquoi veut-il tant écrire le p'tit monstre? Écris ce que je veux ou Slam! CONSÉQUENCE! Nouveau mot, nouvel euphémisme pour Ta créativité, Tes initiatives, Tes goûts du risque, faut les tuer dans l'oeuf de la routine de Ma société, de Mes règles, de Mes réponses : de MON AUTORITÉ! Paramount!

«We think of writing as either good or bad. What today's young people know is that knowing who you're writing for and why you're writing might be the most crucial factor of all.»

Il faut alors insister sur le personnage qui va le lire. Il peut écrire pour son professeur. N'importe lequel. Il va satisfaire madame Leclerc et monsieur Lassonde; les plus vites vont même démontrer tous les efforts nécessaires pour connaître les replis un peu véreux de monsieur Lafleur pour les petites confidences personnelles « en toute intimité » assaisonnées de quelques moues voire quelques larmes; pour madame Caron, il faudra un peu de Cavac, de féminisme et de cheveux dans le vent sur ma montagne sauvage de liberté souriante; pour monsieur Pépin, il s'agira de quelques modifications bien éparpillées d'un obscur site d'autant plus ravissant que personne n'en a jamais encore parlé. Oui, bien beau, mais le ministère c'est qui? Au cours de mes années d'enseignement, j'ai rencontré plusieurs étudiants qui ont joué habillement avec le concept de l'Épreuve finale en identifiant les standards primitifs auxquels la horde de correcteurs ministérieux obéit : ils se sont retrouvés avec des résultats surprenants; des A, des B. Les plus inquiets et même assez régulièrement les plus créatifs croupissent et se complexent d'incompréhension devant leur C, pire leur D, et si d'aventure ils ont porté le zèle jusqu'à élaborer quelque chose d'intelligent, de vraiment intelligent, d'original, de fondateur, ma foi, ils ont probablement perdu le zélote qui ne sait plus où donner de la cote...

À titre gracieux, voici donc le portrait du correcteur type et je vous souhaite à tous une bien bonne journée:

3 septembre 2009

Faux jetons

Les feuilles du marronnier sèchent. Elles brunissent de dépit. Le chêne luit et brille et va et vient dans la brise, ne peut croire à sa chance. L'été fout le camp; l'automne arrive la nuit et conquiert le jour. Le jardinier, avec qui j'étudiais le comportement de nos plates-bandes, remarquait que certaines variétés de plantes reprenaient déjà le cycle du printemps avec des bourgeons neufs; les cannas d'ailleurs après avoir attendu le soleil et ne le trouvant qu'en début septembre exposent leurs fleurs à la merci des nuits fraîches : il faut les voir le matin arborer tristement un léger brun-tabac avant de reprendre quelques teintes rosées rouges en après-midi sous le soleil de plomb. À la fenêtre, les oiseaux s'empiffrent aux mangeoires ; écureuils et tamias se gorgent de grain entre deux voyages de cocottes de pins à leur nid. Rien n'y échappe après le brun le blanc.

«Sun and moon, sun and moon, time goes. In Mrs Smith's acres, crocuses break the crust Daffodils and narcissi unpack their trumpets. The reviving grass harbors violets, and the lawn is suddenly coarse with dandelions and broad-leaved weeds. Invisible rivulets running brokenly make the low land of the estate sing. The flowerbeds, bordered with bricks buried diagonally, are pierced by dull red spikes that will be pionies, and the earth itself, scumbled, stone-flecked, horny, raggedly patched with damp and dry, looks like the oldest and smells like the newest thing under Heaven. The shaggy golden suds of blooming forsythia glow through the smoke that fogs the garden while Rabbit burns rakings if crumpled stalks, perished grass, oak leaves shed in the sark privacy of winter, and rosebush prunings that cling together in infurating ankle-clawing clumps. These brush piles, ignited soon after he arrives, crusty-eyed and tasting coffee, in the midst of the webs of dew, are still damply smoldering when he leaves, making ghosts in the night behind him as his footsteps crunch on the spalls of the Smith driveway. All the way back to Brewer in the bus he smells the warm ashes.» (Updike, Rabbit run, page 117)

Rabbit doit gagner sa vie. Fuir la réalité comporte un prix. Il découvre la vieille veuve et son jardin. Il semble renaître sous les cendres du vieil automne parmi les chaleurs colorées du jeune printemps : fuir et sa récompense.

Le poète allemand Goethe dans son livre La Morphologie des plantes argue que toutes les plantes, incluant leurs fleurs, ne sont que des feuilles. C'est depuis peu aussi l'avis des généticiens botaniques qui ont découvert que la surprenante invasion des fleurs dans la nature alors qu'elles étaient, pratiquement, absentes durant plusieurs centaines de milliers d'années proviendrait de leur dédoublement cellulaire bisexuel.

Rabbit perd pied. Il sort de son terrier pour courir, mais revient rapidement : il a peur; il a besoin de chaleur. Il va faire des feux chez madame Smith; il brûle le vieux. Il couche avec Ruth; il veut revoir des couleurs. Il passe du simple au complexe. Il refuse la routine; il marche vers le printemps. Rabbit est la métonymie de l'évolution ou alors la synecdoque de sa société : Américaine d'après-guerre, simpliste et abrutissante. Updike en sort la fleur, mais c'est une fleur d'ortie. L'éclosion colle la réalité : c'est une fleur de macadam!