28 août 2010

Écrire


D'aussi loin que je me souvienne, j'écris. Pas pour l'école; pour moi surtout. Rien de précis. La plupart du temps des brouillons, des billets enfouis dans des tiroirs qui se retrouvent périodiquement dans les poubelles. Depuis plus de vingt ans, ils vont à peu près tous sur des fichiers, de disquettes 5 1/4, maintenant illisibles, de disquettes 3 1/2, très bientôt illisibles, sur le serveur de mon collège et sur mon disque dur à la maison, et sur ce blogue. Un grand fouillis qui prouve que, finalement, j'écris parce que j'en ai besoin plus que pour communiquer.
L'écriture me soulage. Elle m'accompagne toujours quelque part où j'hésite à aller. Elle me donne la liberté de vivre à un rythme hors du temps et de l'espace. Elle me coule lentement vers l'intérieur, dans ces zones secrètes que les mots libèrent. C'est le seul jeu à l'intérieur duquel je me sens en confiance. J'aime ce jeu. Je possède un assez vaste vocabulaire, mais je possède surtout le goût de surprendre la structure. La sémantique traditionnelle des mots m'agace. Je ne la vois que dans la réverbération de la tornade qui agite mes doigts sur le clavier. Si le mot vit, il doit parler par lui-même; en la plaçant dans un contexte inhabituel, je lui donne une autonomie nouvelle. Mon compagnon d'édition, Antidote, s'y perd souvent. Commence alors un dialogue fascinant entre sa réaction négative envers une tournure phrastique et ma réflexion qui cherche à justifier le déhanchement de sens. Dans ma tête, l'arrangement parle; mieux, par une évidente anacoluthe, ou une désobéissance flagrante de la syntaxe, ou, encore, par l'irrespect d'une définition normée, je crée un casse-tête où toutes les pièces s'imbriquent sans se tenir seul jusqu'à l'insertion de la clé qui soude la pièce. Tant que les morceaux n'ont pas été placés dans le bon ordre, avec la bonne interprétation, la clé ne fait aucun sens, on ne peut la placer; mais dès que tout concorde, et que l'on glisse cette dernière pièce, tout se tient, le propos émerge. Il me fait sourire lors de ma relecture. La première lecture demeure banale; elle raconte. Puis, au retour, des images surgissent; les mots s'entrechoquent comme des billes dans le cône vacillant. Ils se dirigent tous vers le centre inexorablement; mais tout aussi inexorablement, ils circulent à des vitesses différentes, à des altitudes différentes, selon des courbes uniques. Leur vélocité ronronne la lutte contre la gravité et leur finalité, leur mort, leur disparition, chacun sur un vecteur d'unité finale : la chute.

Ce soir, alors que j'attendais ma commande appuyée sur le cadre de porte de la rôtisserie, je lisais un article sur la stylistique sur l'écran de mon iPod. La langue et ses outils me fascinent. Je suis un fouineur invétéré; je voudrais gober toutes les informations imaginables sur tous les sujets. Il s'agit sans doute de la recherche de l'emploi des mots dans le plus large contexte pour découvrir encore d'autres arrangements. Les mots, comme Jacquard le dit pour les gènes de l'être humain, accouchent d'une infinité de combinaisons sans jamais tarir la source.

Écrire me ravit (mot du fonds primitif issu du latin populaire rapire‘emporter violemment’ ; du latin classique raptus signifiant ‘emporté violemment’, participe passé de rapere‘emporter violemment’)


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