13 décembre 2011

Oui, le français n'a pas dit son dernier mot !



Oui, le français n'a pas dit son dernier mot !

«Déjà en 2005, avec Pas si fous ces français(Seuil, 2005), ils étaient venus à Canal Académie pour briser quelques tabous sur notre identité. Cette fois, en solo, Jean-Benoît Nadeau dissipe la brume de nos esprits chagrins : jamais autant de gens n’ont parlé français qu’aujourd’hui !



Dans cette biographie de notre langue, Jean-Benoît Nadeau explique les signes et les raisons de cette vitalité. La France n’est pas la francophonie et si le dessein intelligent de la nation française semble difficile à saisir, des millions de nos contemporains continuent d’apprendre le français, souvent en plus d’autres langues internationales car, estime l’auteur, "le jeu des langues n’est pas à somme nulle ; celles-ci s’additionnent".

Dans cet entretien, Jean-Benoît Nadeau tord le cou au déclinisme sans esquiver les questions qui fâchent, en particulier le rapport à la modernité : si le français se développe hors de nos frontières, il séduit davantage les populations des pays pauvres que les cadres de l’élite mondialisée.»

Dans notre univers nord-américain, nous avons connu dernièrement des soubresauts importants et sensibles dans l'univers financier de Montréal. Ces reportages, qui touchaient la Caisse de Dépôt et la Banque Nationale, deux institutions avec une tradition francophone forte, et tout dernièrement, Bombardier, soulèvèrent des questions troublantes sur la situation du français dans la métropole du Québec et support crucial de la survie du français.

L'opinion de Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow ébranle cette inquiétude de dangerosité de la langue française. Il s'agit, bien sûr, de deux dossiers différents. En effet, si le français, selon les auteurs, demeure en croissance, à tout le moins stable, dans le monde, il demeure fort possiblement en danger à Montréal. Le plus tragique est le fait que le danger ne provient pas tellement des utilisateurs unilingues anglophones, mais des unilingues francophones qui s'éliminent, ou encore des bilingues d'origine francophone qui se plient de bonne foi à la tendance de l'utilisation de l'anglais dans le monde des finances et des multinationales. Le ballon est, dès lors, dans le camp des francophones. Nous ne voulons pas, bien sûr, que la langue française devienne une langue de loisir ou exclusivement réservée à l'univers culturel.

Il n'en reste pas moins que le livre Le français, quelle histoire! présenté dans cette entrevue présentée sur Canal Académie donne une image très optimiste de la situation du français dans le monde.

Il faut s'en réjouir, mais ne pas tomber dans le jovialisme heureux. Il y a de la place pour l'unilinguisme francophone!


7 décembre 2011

L'éducation de la démocratie



Nous fermons la quinzième semaine de la session. C'est la fin de l'Automne 2011. Une fois les corrections et la compilation terminées, je retomberai sur mes pattes en poussant un soupir de soulagement, et un brin de regret de devoir quitter cette cohorte que je fréquente depuis le mois d'août. Durant toutes ces semaines, j'ai tenté d'inculquer des connaissances : des données brutes à apprendre par coeur; des procédures à respecter pour développer certaines compétences; des algorithmes précis pour élaborer des applications structurées, logiques et convaincantes. Ils m'ont suivi relativement docilement; pas passivement, docilement dans le sens obéissant, qui suit les traces. Alors ont-ils expérimenté la démocratie? La démarche que je leur ai imposée a-t-elle brimé leur liberté? Quelle était leur marge d'autonomie?


Non, ils n'ont pas expérimenté la démocratie. Ils ont rempli leur mandat tel que je l'ai exigé selon des paramètres édictés par moi et sur lesquels ils n'avaient aucun droit de parole ni d'intervention : tout le contraire de la démocratie. Il ne m'avait pas élu non plus. Au début de la session, ils reçurent une feuille d'horaire sur laquelle toutes les informations pertinentes à leur horaire de cours et à leurs professeurs étaient listées. Voilà, la décision fut prise par le registraire en collaboration avec les professeurs et la direction pédagogique.

Oui, leur liberté a été brimée de façon importante. Un parcours avait été défini durant l'été et ils ont dû s'y conformer à la lettre. S’il y a eu des modifications, elles furent au niveau des échéanciers pas des prescriptions. Ils ont ramé ferme pour répondre à des exigences qui étaient les miennes; ils n'avaient pas de droit d'intervention. Ils n'avaient aucun droit non plus sur l'évaluation des résultats. Je notais de façon indépendante sans leur intervention. Ils ramassaient à la fin du processus la valeur de leur travail sans que la valeur de leur effort n'intervienne jamais.

Leur marge d'autonomie... était immense! Ah! Et comment cela? Comment dans un monde aussi totalitaire que l'éducation, des étudiants peuvent-ils exercer leur autonomie? En leur permettant de devenir responsables de leur propre échéancier à l'intérieur de celui que j'exigeais d'eux. Simplement parce que toutes les activités reliées aux atteintes des compétences se trouvaient en ligne et que chacun avait une grande marge de manoeuvre sur le moment de remise. Ils devaient donc à l'intérieur d'un mandat très précis compléter un parcours sur lequel ils avaient le choix d'appliquer une chronologie personnelle.

Je vous présente cette situation parce que je veux faire un corollaire avec l'état de notre démocratie. Un de mes amis a rédigé un article sur son blogue à ce sujet; la lecture de son texte vous permettra d'apprécier les deux solutions qu'il met de l'avant. Je fais le lien avec le monde de l'éducation, car de l'âge de 5 ans jusqu'à 17 pour le secondaire, 20 pour le collégial et 23 pour l'universitaire, les citoyens doivent composer avec un système qui n'a à peu près rien à voir avec la démocratie. Ils vivent pendant une trentaine d'heures par semaine sous le joug de tuteurs stricts leur demandant obéissance, performance et résultat. Une fois sortis de là, ils entrent dans leur famille où ils commencent cette fois-ci à continuer à obéir à leur parent ou ceux qui y tiennent ce rôle; à cela s'ajoutera bientôt l'obéissance tacite à un patron à l'intérieur d'un travail de statut précaire où à peu près tous leurs droits sont niés. Quand recevront-ils la démocratie? À Noël? Quand ils recevront leur permis de conduire? Quand ils auront finalement reçu un chèque de paye? Quand ils décideront de se casser de l'école? Quand, magiquement, deviendront-ils des citoyens? Cela arrivera grâce à des cours sur la citoyenneté donnés par monsieur madame sous la férule ministérielle. Quand ils vont atteindre l'âge vénérable de 18 ans, on leur demandera de faire un choix songé à des élections dont ils ne connaissent à peu près rien; au sujet desquels ils n'auront aucune perspective historique parce qu'on leur aura transmis de miettes en oubliant le principal : la liberté de choix. Mais il ne faut guère s'en surprendre, toute la machine scolaire carbure à l'obéissance, même les professeurs sont corsetés à ne plus pouvoir respirer.

Ainsi, dès leur plus tendre enfance à l'intérieur des garderies, et tout au long de leur parcours scolaire les individus progressent à l'intérieur de cadres définis pour leur efficacité, je suis tenté de dire pour leur rentabilité. Le Pouvoir est heureux, ils cordent dans ses institutions de bons diables obéissants qui feront preuve d'une docilité exemplaire une fois parvenus à l'âge adulte. Si les années 60 et 70 ont été si vibrantes, si bousculantes, ne serait-ce pas parce que les jeunes adultes à qui on donnait ce nouveau système plus ouvert et plus disponible y ont insufflé toute la dynamique de leur jeunesse passée à l'extérieur dans leur voisinnage à expérimenter la citoyenneté à la dure à l'intérieur de leur société de rue, microcosme de celle qui les attendaient au détour. Nous avions nos faibles, nos forts, nos cruels, nos mous; nous apprenions notre place future par essai et erreur; nous apprenions graduellement le sens des responsabilités et de l'indépendance. Nous apprenions que la démocratie s'applique lorsque les membres d'une communauté ont appris à se tenir debout seuls ou alors avec d'autres. Les humains, les citoyens, n'ont pas fondamentalement changé; ils n'ont tout simplement pas eu l'occasion de devenir matures. Ils n'ont pas appris à se tenir debout seuls!


Du mois d'août au mois de décembre, j'ai donné l'occasion à mes étudiants de devenir responsables de leur cours en leur transférant un degré de responsabilité qui leur était étranger. J'espère avoir planté un germe de citoyenneté.



5 décembre 2011

Assassin's Creed spa...

En fin de semaine, pas de stress.


Vendredi soir : Je prends la manette de mon PS3. Elle est couverte de poussière. Juste à côté, les deux baguettes à boules du MOVE sont encore chaudes de la sueur de mes deux filles qui opèrent ces machins comme de véritables engins à fission nucléaire. La pile est sans doute à plat. Je la frotte sur mon coton ouaté un peu comme la lampe du génie d'Aladin : vas-tu accepter de me donner du plaisir encore? Je m'assieds sur le fauteuil en regardant le grand écran, mort. Je cueille un papier-mouchoir et je complète mon nettoyage. Je me lève; je vais ramasser le boîtier du premier épisode; je l'ouvre; je libère le disque. Je démarre le système, glisse le disque dans la fente. Le beau bruit quand il s'enclenche. C'est un peu comme une porte qui se ferme, une porte qui se ferme sur la liberté et qui s'ouvre sur l'aventure de la dépendance, de l'accrochage.

Le jeu démarre l'introduction. Du déjà vu. Pourtant, alors que je retourne m'asseoir sur le fauteuil, je l'écoute attentivement, passivement, juste pour savoir si je me souviens bien de tous les détails. Le doc, son assistante, le labo, la chambre, la disposition d’instruments et du bureau. J'entre dans un univers connu : lui, couché sur le transmuteur d'ADN, c'est moi. Je suis revenu à la maison Doc; allez-y! Redémarrez la machine, je veux aller à Damascus. Je veux grimper les nids d'aigle et tours d'observation avec ces frissons de faire le mauvais geste et de tomber dans le vide vers la mort. À la fin de la mise en contexte, je ferme tout. J'ai hâte à demain.

Samedi matin : je liquide mes quelques missions familiales : vider les ordures; sortir la cage de l'oiseau mort; passer l'aspirateur; vider le lave-vaisselle. Enfin, je retourne au sous-sol et démarre le jeu. Je guide Altaïr dans les méandres du Moyen-Orient médiéval. Il est meilleur que lorsque je l'ai quitté la dernière. Il est plus calme, plus sûr de lui. Mais non, je ne suis pas en délire postubisoftique; je sais bien que c'est moi qui me sens plus cool. C'est une décision que j'ai prise quand j'ai décidé de rembarquer dans la quête. On y va pour le blues; on y va mollo pour jouir d'un peu de bon temps. D'ailleurs, en ce lundi matin, j'ai croisé un collègue qui me racontait qu'il avait lui aussi sorti des boules à mites un jeu avec lequel il s'amusait beaucoup; un jeu ayant comme canevas de base la Deuxième Guerre mondiale.

— Je pilote mon avion doucement sans heurt; je remplis ma mission; je reviens, j'atterris; je saute dans mon char d'assaut et va détruire quelques avant postes ennemis et puis j'appelle mes marines pour un débarquement. Il n'y en a plus de jeu comme ça; tout est trop vite aujourd'hui; trop sur les nerfs!

Je me promène donc doucement. Je trucide plusieurs soldats ennemis; je me promène à cheval dans la campagne en pointant vers tous les chemins et sentiers possibles. Je remarque le graphisme; l'expression des promeneurs et autres personnages qui deviennent mes compagnons d'aventure. Altaïr parle peu. Quand il le fait, c'est souvent pour se défendre devant Al Mualim qui n'a pas une très haute estime de son assassin en quête de reconnaissance. Est-ce que j'entends mon père??? Mais non... On avance ensemble. Je collectionne les drapeaux et les templiers. Je grimpe, deux fois plutôt qu'une, le long des tours; je reste en haut comme un bêta à regarder le paysage. Extraordinaire tout de même quand on y pense. Il y a du monde, de vrais individus en chair et en os, qui ont dessiné, enregistré, mis en ligne, corrigé et je ne sais quoi toutes ces séquences. Et elles collent toutes ensemble; les zooms ne sont pas artificiels, ils sont véritables. Bien sûr, que ne fait-on pas avec les logiciels d'aujourd'hui? Bon, écoute, moi, je ne pourrais même pas commencer à créer un personnage; on est loin de Jérusalem.

Je sens que l'après-midi est bien entamé. Les décorations de Noël avancent en haut. À côté, les filles et leurs amies jouent aux pichenottes. Je sais bien aussi que je devrais monter au bureau pour travailler à mes cours un peu. La culpabilité est bien faible. On va souper tantôt de toute façon; trop tard; il n'y a pas assez de temps pour que ça vaille la peine. Et puis, quelques petites missions supplémentaires vont être bonnes pour mon moral. Altaïr ne semble pas fatigué du tout. Pleine forme l'assassin!

— Pierre, il faut partir. Es-tu prêt?

— Oui!

Mais non, je ne suis pas prêt. Pas bouger depuis 10 h 30 ce matin. Des restes de morceaux de sandwich aux oeufs traînent sur la table depuis quelques heures. Tout le monde s'agite autour de moi. On part, on part, c'est l'heure... O.K. Je sauve une dernière citoyenne en tabassant sérieusement les quatre gardes armés qui la molestent : coup d'épée, empoigne au collet, projeté contre le mur, par terre, quelques coups supplémentaires sur le dos et au cou, le sang gicle, Arghhhh! Mort! L1 vers la fille en kirpan : merci merci, vous m'avez sauvé... Rien là. J'entrevois un drapeau sur le balcon à droite. Bon, je le prends et je quitte.

— Vite vite! Il faut y aller.

Je change ma chemise et mes jeans. Je mets mes bottes. Je sors attendre dans la voiture. Les filles me suivent de près. Ma conjointe sort quelques minutes plus tard. Allons dîner...

Dimanche matin : Je rentre les boyaux d'arrosage; il commence à geler; il ne faut pas qu'ils fendent. Je déambule dehors en ramassant les derniers vestiges de l'été. Je longe la piscine au tiers vide couverte d'un fin film de glace; je n’enverrais pas Altaïr là-dessus... Les platebandes sont à demi couvertes de neige; les monticules des mulots sautent aux yeux brun-noir. J'enlève le coussin d'une chaise de parterre; je la renverse pour joindre la haie avec le coin de la maison pour couper les rafales qui balaieront la neige. Je plie le coussin et le place dans la remise. Je regarde les voitures que je devrais laver... Non. Y a quelqu'un qui m'attend.

Je reprends le fil de l'aventure rapidement. Je passerai encore quatre ou cinq heures avec L'Assassin en gardant le même karma. Tout coule. La maison est relativement calme. Julie est à l'hôtel; Laurence et Emma sont immergées elles aussi dans leur activité : l'une avec des figurines médiévales émergeant d'un château à tourelles; l'autre, dans sa chambre avec ses amis imaginaires à faire et refaire des scénarios d'Animus bien à elle. Quel farniente! Le bonheur! Le travail est loin... C'est dimanche pour la première fois depuis des lunes.

Mon SPA s'appelle Assassin's Creed.