8 août 2010

Analyser pour lire mieux?

Depuis le réveil, après un café, jusqu'au souper, une journée dans mes livres à préparer ma rentrée. Un beau dimanche : soleil, air frais et sec, une bonne brise, les rideaux qui volent, les vénitiens qui claquent, mes doigts qui pitonnent, mes yeux qui s'émerveillent encore après tant d'années à revoir et retourner toute cette matière littéraire connue, mais jamais routinière, assimilée, mais sans cesse renouvelée. Pas d'ironie ici, vraiment une belle journée. Les figures de style en soutien au catalogue multicolore de procédés d'écriture qui dévoile la nature propre, pourtant cachée, du texte — mot provenant du mot textile — qui se donne à nous pour peu que l'on veuille l'accueillir.

Mon plaisir est d'abord égoïste. Je me plonge dans les mots avec délice. Plus j'avance en âge, plus les nuances m'accrochent parce que j'apprivoise plus facilement les points de fuite; j'allais écrire docilement. Quel bonheur de lire lentement les séquences de mots qu'un auteur a ordonnées pour nous livrer son message. Une réplique de théâtre, un vers de poésie, une phrase d'essai, un paragraphe de roman fait partie de l'essence de cette somme qui est plus grande que son tout :
« Au rythme que ça s'en va, on sera bientôt en pleine guerre de Troie dans Dieppe où Tout-Tit- Bebé, croit-il, se fondra alors dans la masse des combattants, en vile populace qui ne sait toujours pas de quel côté elle se trouve étant donné qu'on ignore pourquoi ça a commencé et comment ça a commencé, entre qui et è cause de quelle offense. On se bat, on en débat, c'est bon pour les affaires, on les exporte au Levant comme au Ponant, des tonnes et des tonnes de toutes sortes de marchandises, à dentelles, à crénelures, à gros brins, à petites mailles, à bases de fer et de titane, à sommets en pains d'épices et en biscuits de mer. La guerre! Quel bienfait pour l'humanité marchande que cette invention-là! (Victor-Lévy Beaulieu, La Grande Tribu, page 140) »
Une thèse par extraits. Certains auteurs exigent une plus grande attention. Leur art envoûte dans l'action pour subtiliser nos moyens de défense et glisser sous notre peau des vibrations longtemps négligées. Lorsque je fouille, devant mon auditoire, quelques phrases, elles renaissent de racines insoupçonnées. Convaincre même les plus récalcitrants, les plus rébarbatifs, les plus méfiants, que ces amalgames de procédés, ces présents qui affrontent ces futurs dont la source en passés composés garde constamment en tête des guirlandes d'énumérations de métaphores symboliques; la lancée se terminant avec des affirmations exclamatives qui conclut de brefs élans oratoires. Tu vois; tu vois; tu le sens le texte maintenant; tu doutes encore de travail derrière ça?

La littérature dort en nous en douce vague de fables successives. Puis, à la faveur d'un regard qui s'attarde, nous délaissons l'aventure et abordons le message. J'ai lu beaucoup cet été : des articles à la tonne, et des romans qui se révélèrent des compagnons magnifiques. Ces lectures furent différentes. On ne lit jamais un même roman deux fois de la même façon; de même, on ne lit pas deux romans différents de la même manière. Le premier de mes romans estivaux fut Son Excellence Eugène Rougon de Zola; entre lui et moi, c'est une vieille histoire d'amour; je relis Les Rougon-Macquart pour le plaisir de me retrouver avec cet admirable ami et, comme tel, je le retrouve deux ou trois fois par année avec cette impression qu'on vient tout juste de se quitter. Puis, je m'ordonnai de terminer une saga canadienne-anglaise, Galore, de Michael Crummey de Terre-Neuve; saga épique de personnages médiévaux ancrés, c'est le cas de le dire, dans les paysages de rocs précambriens et de lichens. À certaine pages, je me remémorais ma longue lecture de Moby Dick et de Ivanhoe. Après quelques intermèdes, Dionne Brand de Toronto me souleva de terre; une de mes précédentes rubriques mentionne son What we all long for : admirable! Avec un bon parachute, je revins à Millenium, tome 2; preuve qu'une métal peut faire fortune! Un commanditaire de Nabokov, La transparence des choses...
« "To make a story quite short", répondit Mr R... (qui avait l'exaspérante manie non seulement de faire parade de clichés vermoulus dans son anglais à l'accent pâteux et qui se voulait familier, mais encore de les estropier), "je ne me sentais pas trop bien l'hiver dernier, voyez-vous. Mon foie me chicanait." » (Vladimir Nabokov, La transparence des choses, page 51)
 Finalement, je commis la gaffe de mettre en compétition mon roman scolaire, le surprenant Jeanne et Gilles de Michel Tournier, dont je vous reparlerai très certainement puisque qu'il fera partie de ma vie pour les 7 ou 8 prochaines semaines, avec la brique lumineuse de Beaulieu, 874 pages, La grande Tribu, c'est la faute à Papineau. Gaffe, parce que je devrai sans doute soit le laisser de côté faute de temps et d'énergie considérant le début de la session et sa procession des mandats, soit le terminer au détriment de ma quotidienneté, au risque de la voir passer à une alerte orange brûlée. Ceci dit, pour chacun, des moments d'arrêt sur image, sur mot, me lançaient vers cette analyse littéraire que j'enseigne; celle-ci, faite presque par réflexe, stoppait ma progression dans l'histoire me permettant de vider mon regard de sa réalité pour l'enfouir dans le non-dit, dans le soupçonné, dans l'imaginaire.

Que je voudrais que ce goût soit contagieux!

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