23 août 2010

L'orthographisme compulsif



Un nouvel organisme vient de voir le jour au Québec. Il vient en aide aux fauteurs compulsifs. Sous la pression de l'Association des orthographistes anonymes, les instances officielles ont plié. Ils ont, en effet, décrété qu'il existait dans la population un nombre assez important de fauteurs pour officialiser et subventionner une aide concertée pour accompagner ces malades de la langue. C'est notre futur qui en dépend. Dyslexie, dysphasie, dysorthographie, dystortionnistes et dansàdix vont dorénavant pouvoir compter sur le soutien de l'État.

L'Association de grammairiens syntaxiques adverbiaux et l'organisation mondaine des syntaxistes ponctués ont exprimé leur soulagement : « enfin, l'orthographe prendra la place qui lui revient dans les grands maux de notre société. Notre langue de bois pourra enfin se pourvoir de planches neuves; nous pourrons fièrement porter bien équarries ces marches lexicales, fondement de notre bouche bée.

Le seul son discordant, et il fallait s'y attendre, nous vint de notre maman partie sous la volette de François De Closets. Ce journaliste et écrivain d'une vingtaine de livres à peine, s'envola sur sa perche en haute voltige devant ce grand pas de l'humanité :

«La maîtrise d'une telle écriture repose sur un intense et complexe travail de mémorisation, et nous ne sommes pas tous égaux devant la mémoire. Au laboratoire de psychologie et neurcognition du CNRS, à Grenoble, l'équipe de Sulviane Valdois a soumis de jeunes enfants è des tests d'attention visuelle au cours desquels une série de consonnes apparaît très brièvement. Les résultats sont très variables selon les sujets : certains retiennent les cinq lettres, d'autres, deux seulement. Or, a constaté Sylviane Valdois, les performances des jeunes enfants sur ces épreuves permettent de prédire leur score en orthographe des mots isolés deux ans plus tard,
C'est donc, pour une large part, la mémoire visuelle qui fait la différence en matière d'orthographe. Elle permet à celui qui voit les mots de les enregistrer lettre à lettre. À partir de cette image précise, l'écriture ne peut qu'être correcte, et, à l'inverse, toute graphie fautive saute aux yeux comme le nez rouge plaqué sur le visage du clown blanc. Ces facultés de mémorisation jouent un rôle clé dans l'apprentissage de l'orthographe.
On voudrait croire que la pratique de la lecture suffit à développer et à entretenir le lexique mental, base d'une bonne orthgraphe d'usage. C'est compter sans les inégalités mnésiques. Les travaux de Michel Fayol montrent qu'il existe des élèves bons en lecture et faibles en orthographe. Ceux-là lisent sans orthographier — j'en connais un de très près!
Depuis mon plus jeune âge, je suis un lecteur compulsif. Je ne supporte pas de rester plus de cinq minutes dans le métro ou dans une salle d'attente sans me plonger dans un journal ou dans un livre. J'en ai le plus souvent un dans mes poches. Je ne lis pas les lettres, mais les mots, dans leur globalité. J’en enregistre la forme, pas le détail, juste ce qu'il faut pour les reconnaître à la prochaine lecture, J'ai l'orthographe purement passive. À ce jeu, je peux lire un roman et n'être pas sûr, à la fin, du nom de l'héroïne! Je ne fais manifestement pas partie de ces chanceux qui ont la lecture orthographiante et qui fixent les graphies en les voyant écrites. Je dois préciser que la méthode globale n'est en rien responsable de mes ennuis, car, bien évidemment, on ne l'utilisait pas de mon temps.» (François De Closets, Zéro faute, pages 117 et 118)

Merci monsieur De Closets! Votre témoignage est touchant. Mais nous savons tous que le français en France... on repassera. Nous saurons le sauver!

Je m'amuse bien sûr. Je viens tout juste de corriger ma centaine de copies diagnostiques. Mes chers étudiants me racontaient leur récit plus touchants les uns que les autres. Je trouve un plaisir certain à les lire. À celui-ci qui me racontait la profonde affection et l'indicible fierté qu'il vouait à son père, je devais casser son élan pour un double «pp» ou un «ai pour un è». Celle-ci me traçait le courageux périple de sa mère, monoparentale mais d'un courage sans pareil; à celle-là, ce sont des «aus pour eaux», ou des sur citer pour susciter. Je dois faire un prof de moi; me rappeler que les fautes sont des poux qui grésillent, ma belle langue.

J'ai parfois l'impression que je mets mes jeunes au carême de l'expression; que je les censure en coupant leurs élans de créativité. Mais ce n'est qu'une impression; je dois bien leur donner un peu de discipline linguistique...

Ces jeunes que je côtoie ont un sens de la langue si déroutant. À travers leur SMS, leur clavardage et leur réseautage social, ils s'approprient ma langue littéraire, si belle, que j'aime à peaufiner, à orner, à reprendre, à manipuler comme la glaise le sculpteur. Ils ont un autre jeu : celui de faire un pont, le plus efficace, le plus direct, le plus clair, qui s'avère parfois le plus dangereux. Ils forgent un univers linguistique qui m'échappe et j'ai beau tenter de traverser le ravin pour entendre cette nouvelle voix, je ne l'entends qu'en sourdine. Le pont n'est plus pour moi; c'est mon pont de la rivière Kwai; je dois rester sur la berge à leur gesticuler.





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