25 août 2010

J'ai la peste... et vous?


Médecin de la peste dans son attirail de travail


Dites, vous croyez en la translation. Je rencontrai cette magnifique propriété bien jeune, mais je ne l'ai nommé que beaucoup plus tard. Elle est revenue en force lors des devoirs de mes filles quand elles étaient au primaire. La translation est la transformation dans laquelle à tout point on fait correspondre un autre point par un vecteur fixe - merci Antidote, je t'adore. Pour les visuels et le commun des mortels dont je suis, c'est :

Vu? Reprendre la même forme dans une position spatiale différente: l'effet miroir.

Je vous amène aujourd'hui hors de votre aquarium pour illustrer jusqu'à quel point un grand auteur français a habillement parlé de la commission Bastarache; et allons-y, de tout le falbala pathétique qui auréole notre classe politique. Oui, je sais Daniel me c,onseillera de prendre une approche positive. Dis-toi seulement, che,r ami que je ne suis qu'un chroniqueur; un photographe; à peine un caricaturiste, je ne suis pas à moitié aussi Satire que Chapleau. Ce grand chroniqueur de la société algérienne de 1947, pas d'hier, comme ma chemise préférée, se nomme Tarrou; il décrit, en observateur étranger, la progression d'un terrible fléau. Il lutte aussi contre ce fléau et contre la douce, et subversive, pénétration des horreurs qui envahit la quotidienneté de la population. L'extrait reproduit ici reflète assez bien la situation de notre société contemporaine. Elle sonne une alarme sourde face à laquelle l'individu est en bute à un immobilisme chronique. C'est un peu long, je vous l'accorde; mais quelques minutes de votre vie pour réfléchir, est-ce trop demander?

«Le lendemain, grâce à une insistance jugée déplacée, Rieux obtenait la convocation à la préfecture d'une commission sanitaire.

- Il est vrai que la population s'inquiète, avait reconnu Richard. Et puis les bavardages exagèrent tout. Le préfet m'a dit : « Faisons vite si vous voulez, mais en silence. » Il est d'ailleurs persuadé qu'il s'agit d'une fausse alerte.

Bernard Rieux prit Castel dans sa voiture pour gagner lapréfecturee.

- Savez-vous, lui dit ce dernier, que le département n'a pas desérumm ?

- Je sais. J'ai téléphoné au dépôt. Le directeur est tombé des nues. Il faut faire venir ça de Paris.

- J'espère que ce ne sera pas long.

- J'ai déjà télégraphié, répondit Rieux.

Le préfet était aimable, mais nerveux.

- Commençons, Messieurs, disait-il. Dois-je résumer la situation ?

Richard pensait que c'était inutile. Les médecins connaissaient la situation. La question était seulement de savoir quelles mesures il convenait de prendre.

- La question, dit brutalement le vieux Castel, est de savoir s'il s'agit de la peste ou non.

Deux ou trois médecins s'exclamèrent. Les autres semblaient hésiter. Quant au préfet, il sursauta et se retourna machinalement vers la porte, comme pour vérifier qu'elle avait bien empêché cette énormité de se répandre dans les couloirs. Richard déclara qu'à son avis, il ne fallait pas céder à l'affolement : il s'agissait d'une fièvre à complications inguinales, c'était tout ce qu'on pouvait dire, leshypothèsess, en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses. Le vieux Castel, qui mâchonnait tranquillement sa moustache jaunie, leva des yeux clairs sur Rieux. Puis il tourna un regard bienveillant vers l'assistance et fit remarquer qu'il savait très bien que c'était la peste, mais que, bien entendu, le reconnaître officiellement obligerait à prendre des mesures impitoyables. Il savait que c'était, au fond, ce qui faisait reculer ses confrères et, partant, il voulait bien admettre pour leur tranquillité que ce ne fût pas la peste. Le préfet s'agita et déclara que, dans tous les cas, ce n'était pas une bonne façon de raisonner.

- L'important, dit Castel, n'est pas que cette façon de raisonner soit bonne, mais qu'elle fasse réfléchir.

Comme Rieux se taisait, on lui demanda son avis :

- Il s'agit d'une fièvre à caractère typhoïde, mais accompagnée de bubons et de vomissements. J'ai pratiqué l'incision des bubons. J'ai pu ainsi provoquer des analyses où le laboratoire croit reconnaître le bacille trapu de la peste. Pour être complet, il faut dire cependant que certaines modifications spécifiques du microbe ne coïncident pas avec la description classique.

Richard souligna que cela autorisait des hésitations et qu'ilfaudraitt attendre au moins le résultat statistique de la série d'analyses, commencée depuis quelques jours.

- Quand un microbe, dit Rieux, après un court silence, estcapablee en trois jours de temps de quadrupler le volume de la rate, de donner aux ganglions mésentériques le volume d'une orange et la consistance de la bouillie, il n'autorise justement pas d'hésitations. Les foyers d'infection sont en extension croissante. À l'allure où la maladie se répand, si elle n'est pas stoppée, elle risque de tuer lamoitiéé de lavillee avant deux mois. Par conséquent, il importe peu que vous l'appeliez peste ou fièvre de croissance. Il importe seulement que vous l'empêchiez de tuer la moitié de la ville.

Richard trouvait qu'il ne fallait rien pousser au noir et que la contagion d'ailleurs n'était pas prouvée puisque les parents de ses malades étaient encore indemnes.

- Mais d'autres sont morts, fit remarquer Rieux. Et, bien entendu, la contagion n'est jamais absolue, sans quoi on obtiendrait unecroissantee mathématique infinie et un dépeuplement foudroyant. Il ne s'agit pas de rien pousser au noir. Il s'agit de prendre desprécautionss.

Richard, cependant, pensait résumer la situation en rappelant que pour arrêter cette maladie, si elle ne s'arrêtait pas d'elle-même, il fallait appliquer les graves mesures de prophylaxie prévues par la loi ; que, pour ce faire, il fallait reconnaître officiellement qu'il s'agissait de la peste ; que la certitude n'était pas absolue à cet égard et qu'en conséquence, cela demandait réflexion.

- La question, insista Rieux, n'est pas de savoir si les mesuresprévuess par la loi sontgraves,s mais si elles sont nécessaires pourempêcherr la moitié de la ville d'être tuée. Le reste est affaire dadministrationn et, justement, nos institutions ont prévu un préfet pour régler ces questions.

- Sans doute, dit le préfet, mais j'ai besoin que vousreconnaissiezz officiellement qu'il s'agit d'une épidémie de peste.

- Si nous ne le reconnaissons pas, dit Rieux, elle risque quand même de tuer la moitié de la ville.

Richard intervint avec quelque nervosité.

- La vérité est que notre confrère croit à la peste. Sa description du syndrome le prouve.

Rieux répondit qu'il n'avait pas décrit un syndrome, il avait décrit ce qu'il avait vu. Et ce qu'il avait vu, c'étaient des bubons, des taches, des fièvres délirantes, fatales en quarante-huit heures. Est-ce que M. Richard pouvait prendre la responsabilité d'affirmer que l'épidémie s'arrêterait sans mesures de prophylaxie rigoureuses ?

Richard hésita et regarda Rieux :

- Sincèrement, dites-moi votre pensée, avez-vous la certitude qu'il s'agit de la peste ?

- Vous posez mal le problème. Ce n'est pas une question devocabulairee, c'est une question de temps.

- Votre pensée, dit le préfet, serait que, même s'il ne s'agissait pas de la peste, les mesures prophylactiques indiquées en temps de peste devraient cependant être appliquées.

- S'il faut absolument que j'aie une pensée, c'est en effet celle-ci.

Les médecins se consultèrent et Richard finit par dire :

- Il faut donc que nous prenions la responsabilité d'agir comme si la maladie était une peste.

La formule fut chaleureusement approuvée

- C'est aussi votre avis, mon cher confrère ? demanda Richard.

- La formule m'est indifférente, dit Rieux. Disons seulement que nous ne devons pas agir comme si la moitié de la ville ne risquait pas d'être tuée, car alors elle le serait.

Au milieu de l'agacement général, Rieux partit. Quelques moments après, dans le faubourg qui sentait la friture et l'urine, une femme qui hurlait à la mort, les aines ensanglantées, se tournait vers lui.» (Albert Camus, La Peste, pages 50 à 55)
Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie, dit-on. Là où il y a des singes, il y a de la singerie. Je te pose une question ami philosophe: peut-on conclure que là où il y a de l'hommerie, il y a de la singerie?



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