28 novembre 2011

Allo! Allo! Y a-t-il un parent dans la maison?



Coup de coeur!


Hier soir, avec ma fille Laurence, nous étudiions son volet technologique des devoirs de la soirée. Elle m'a expliqué le fonctionnement des quatre forces motrices : la vis, la pente ascendante, la poulie et le levier. Par la suite, nous nous sommes arrêtés sur les mouvements; elle me donna la conclusion que le pendule de l'horloge chez son amie Florence se balançait de façon oscillatoire semi-circulaire. Finalement, nous avons terminé par la lecture dans son livre d'histoire; j'y ai appris les rôles de la femme et de l'homme dans la société iroquoienne. Laurence n'est pas au collégial; elle n'est pas au secondaire non plus. Laurence est en troisième année primaire. Madame la ministre veut ajouter du vocabulaire? Bravo? Il faudrait commencer par regarder la réalité scolaire; il faudrait la connaître. Le curriculum du primaire en jetterait probablement plus d'un sur le derrière s'ils se donnaient la peine d'y jeter un coup d'oeil. L'école fait sa part; plusieurs parents ne la font pas ou la font carrément mal sans doute. Il est vrai que la partie de hockey à St-Georges de Champlain le mardi soir, c'est prioritaire; tout comme la gymnastique du mercredi à 18 h et la danse à 17 h le jeudi juste avant la pratique avec l'orchestre. Lundi, papa a son hockey et vendredi il y le souper avec les filles du bureau.

J'aimerais que l'on m'explique la raison pour laquelle les jeunes anglophones du Québec ont conservé parfaitement intacte leur performance alors que les jeunes francophones l'ont coupé de moitié. Je n'achète pas le socio-économique. Une amie qui peine à boucler son budget a réussi avec l'aide de l'orthopédagogue et beaucoup de temps à réintégrer son fils dans les classes normales et son dernier bulletin lui a tiré les larmes tellement elle était fière de lui (d'elle).

La réforme — la botte au cul — c'est aux parents à la recevoir! Les enfants, ce n'est pas pour la galerie ou la démographie de la survivance.

Entre temps, moi, je tente d'enseigner la littérature au collégial. Non, j'enseigne la littérature au collégial. Je ne pars pas de la troisième année; je ne pars pas de Kéranna ou des Pionniers. Je pars de Léonie, d'Andréanne, de Simon, d'Alexandre; et je les aime du mieux possible en tentant de faire percer de la lumière dans leur vie. Comme dit Leonard Cohen :

Ring the bells that still can ring
Forget your perfect offering
There is a crack in everything
That's how the light gets in.
(Sonne les cloches qui peuvent encore vibrer / Oublie ta parfaite offrande / Il y a toujours une fente quelque part / C'est par là que passe la lumière.)

Et plus la tâche est complexe, plus je me sens prof.

Et le soir au retour à la maison, je poursuis ma troisième année...

La guignolée payante!

Une fois par année, de la fin novembre à la mi-décembre, la population est invitée à s'acheter une sortie avec un journaliste, un animateur, un de ces personnages qui nagent dans les contrats-échanges et que l'on lit, entend ou voit selon le média que l'on privilégie. Cette vieille tradition servie à la moderne prend de l'ampleur d'année en année. C'est un peu comme la multiplication de journées thématiques régionale, nationale, nationale, nationale, internationale et tiers-mondiste. On encadre des valeurs humaines essentielles de partage dans de petites boîtes qui finissent inévitablement à mieux servir les initiateurs que les receveurs.


Les justifications sont préparées à l'avance par des firmes spécialisées dont le contrat garantit le paiement de leur party de Noël et assure à leur client une visibilité accrue qui leur fait vendre de la publicité et qui à l'heure de leur bilan financier annuel leur permettra de caler de belles sommes rondelettes dans leur poste de dons aux oeuvres caritatives. Belle magouille!

Vous voyez ce guignol en haut. C'est vous qui embarquez dans cette mascarade. Non, ce n'est pas votre chroniqueur préféré; pas votre compagnon de travail sur Radio-Jaune/MIEL-FM; pas non plus Miss Météo Neige Fondante ni la Grenouille en T-Shirt. C'est vous; vous qui marchez béatement dans le sentier de la charité temporaire.

Téléphonez à n'importe quel membre de ces travestissements philanthropiques de faire quelque chose à l'ombre...



Dites-moi donc Julie et Pierre-Karl: À quand un de vos multiples millions pour les sans-emploi de la Gaspésie?

Vous pensez à d'autres personnages publics dont les millions dorment doucement?
Vous pensez à d'autres régions du pays qui fêteront avec des chèques de BS?

Arrêtez d'être gentils mesdames et messieurs des médias. Soyez généreux!

 

Ces gens-là d'à côté de nous

Un voisin de palier et moi ne nous croisions jamais. Je n'entendais que sa musique en sourdine. La clé dans sa serrure aussi : son arrivée, son départ. Il ne recevait pas, ne s'absentait que rarement : difficile de savoir de quoi il vivait, s'il travaillait même. Quelquefois, une odeur de pizza glissait sous ma porte. La plupart du temps seulement le détersif légèrement ammoniaqué identifiait son environnement.
Je sens beaucoup. Les gens qui m'entourent se surprennent des odeurs qui me frappent. Je sens la pomme, cet acide qui gît dans la corbeille. La vie en société s'accroche à des informations sensorielles très individuelles. On tend à considérer les nôtres pour des règles générales : je remarque ceci, tout le monde doit le remarquer aussi. Non, nous vivons dans cette belle solitude de notre corps qui réagit en solo à l'univers qui grouille de nez, d'oreilles, de bouches, d'yeux et de doigts.

Mais les sens, faut-il encore ne pas trop les endormir. Un bon ami me vantait les bienfaits de l'arrivée de la dopamine dans son sang à un moment ou à un autre de son jogging matinal. Un autre me vantait le bienfait de son hockey de garage à l'ammoniac. Ou alors, c'est la senteur coutumière des draps familiers dus pour la lessive. Des nuages, que des nuages, accrochés à un plafond bas qui grisonnent la vie des traditions éclectiques qui nous accostent à jamais dans le ravin de la vie. Embourbé!

Ces gens-là d'à côté, ils ne vivent plus; ils respirent à peine; ils sentent, c'est tout. La misère des pauvres. Des pauvres d'esprit sans même le courage de soulever le bras un peu pour signaler leur présence. Ils mourront bientôt; ils mourront sans sympathie, sans souvenir...

Ces gens-là se disent peuple. Du bien bon monde qui ont senti la fierté quelques années; qui sentent maintenant la carie et la plaie.

CES GENS-LÀ (Jacques Brel)

1966
D'abord d'abord y a l'aîné
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie


Et puis y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Ouest méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui n'a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas on triche

Et puis y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui recarde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands chloup
Et ça fait des grands chloup
Et puis il y a la toute vieille
Qu'en finit pas de vibrer
Et qu'on n'écoute même pas
Vu que c'est elle qu'a l'oseille
Et qu'on écoute même pas
Ce que ses pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne cause pas Monsieur
On ne cause pas on compte

Et puis et puis
Et puis y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A égorger les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié

Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.

25 novembre 2011

Mouvement citoyen


Je ne suis pas parfaitement à l'aise avec l'expression « Mouvement citoyen ». Voter est un mouvement citoyen; payer honnêtement ses impôts et ses taxes aussi; de même une foule de gestes comme la récupération, le respect des propriétés publiques et privées. Alors pour quelle raison ce terme de Mouvement citoyen s'enracine-t-il avec une connotation relativement subversive, ou plutôt contestataire? Parce que le système qui génère ce type de mouvance n'est plus un système citoyen?

Voilà, selon moi, le noeud gordien de la situation actuelle. Ce mouvement mondial de prise de parole par les populations bouleverse soudainement un ordre social qui a glissé lentement vers la corruption et un gaspillage de plus en plus profonds, de plus en plus chroniques; de plus en plus génétique aussi je dirais en ce sens qu'il fait désormais partie intégrante de la substance même de la conduite de nos édiles. Si nous parlons régulièrement de cynisme et de perte de confiance, il faut nécessairement accepter le fait que cette situation provient de comportements récurrents qui s'échelonnent sur plusieurs années. Nous pouvons identifier deux coupables : les dirigeants d'une part et les citoyens d'autre part.

Les dirigeants ont glissé vers du patronage et le favoritisme légaux et illégaux. En s'appuyant sur des mandats plus ou moins clairs basés sur un nombre toujours fléchissant de taux de participation, ils ont commencé à tenir pour acquis que les firmes de fabrication d'images suffiraient à les rendre victorieux; plus de substance, que des comportements superficiels se transforment en règle de conduite standardisée. La réalité leur a donné raison : plus ils ont investi dans l'imagerie, plus ils ont récolté de bénéfices. Berlusconi en l'exemple parfait. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, en est un autre exemple. « Selon un de ses collaborateurs, l'élection d'Ahmadinejad à la présidence de la République islamique d'Iran n'est pas un accident, mais “est le résultat de deux ans de planification compliquée et aux facettes multiples” par une coalition qui inclut des Commandants des gardiens de la révolution, des représentants du clergé, des dirigeants du mouvement Basij et les amis et alliés qu'Ahmadinejad s'est fait pendant son mandat à la mairie de Téhéran. » (Abbas Milani, « Pious Populist. Understanding the rise of Iran's president» [archive], Boston Review, Novembre — décembre 2007). La planète vogue vers la futilité. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que la volatilité des bourses mondiales offre une réponse très pertinente à ce phénomène : les gouvernements mondiaux ne parviennent pas à replacer la croissance tranquille de la spéculation financière. Cette spéculation est basée sur la production; une production réelle, même s'il ne s'agissait que de la production de service ou de la production de consommation pure. Les bourses aujourd'hui ne peuvent se donner une direction précise puisque cette production ne comporte plus de prospective. Le citoyen se promène d'une image à une autre au gré des fabricants d'images; il ne décide plus; il suit. Devant cette volatilité sociale, les maisons boursières se retrouvent en pleine tempête de volatilité aussi.

Cette situation est d'ailleurs aggravée par la mondialisation des communications, une image fabriquée aux antipodes se retrouvant rapidement aux quatre coins de l'univers.

Le mouvement citoyen est un comportement naturel et souhaitable dans la mesure où ce même citoyen a la capacité de prendre des décisions fermes et indépendantes en regard avec ses besoins. Il est corrompu s'il reste à la remorque des mirages offerts par leurs dirigeants.

L'actualité nous suggère, je crois, un certain réveil.


24 novembre 2011

HAha! de Réjean Ducharme

J'assistais mardi dernier à la pièce d'un fantôme : Réjean Ducharme.
Le TMN, plutôt madame Lorraine Pintal, casse les rythmes classiques des chaires dramatiques qui meublent les salles du Québec où, parfois, on se lance dans des spirales eunuques, parfois encore Arlequin et Colombine minaudent sur Ticketron; la plupart du temps, on y retrouve des comédiens et non des pièces. Mais Pintal et son équipe misèrent sur un Ducharme éclatant et ils nous propulsent dans un imaginaire tout-puissant. Vraiment!

Assis, encadré de mes voisins de fauteuil réguliers, je ferme mon iPhone; je plie doucement mon manteau; je frotte doucement mes mains en fixant, d'entrée de jeu, ce monologue de Roger affalé sur son fauteuil, gueulant quelques phrases d'une tonalité creuse et de sens incertain. Rapidement, tout excitée, arrive Sophie en latex rouge. La bête du verbe cogne la bête du sexe. Dès les premières secondes, les spectateurs sont déstabilisés. Dans le silence parfait de la salle, les monologues se succèdent. Dans un français grossier et châtié qui balance le pendule du meilleur au pire, complètement désarçonné par, parfois, des séquences d'un vocabulaire parfaitement classique; séquences rapidement renié par Sophie qui replace le peuple dans son univers plus confortable. C'est du Ducharme dans la folie et l'art de l'expérience lexicale, de la casse linguistique, de la valse entre le dictionnaire et le trottoir. Là, au TNM, quelque 40 ans auparavant, j'assistais aux Oranges sont vertes de Gauvreau. J'y revenais d'autant plus intimement que Roger ressemblait à s'y méprendre au Yvirnig de Gauvreau. Dans ma mémoire, Lebeau rejoignait Béland. Ducharme rejoignait Gauvreau. Mais Ducharme n'insiste pas sur la hargne antisociale au même point que Gauvreau; son texte est plus limpide aussi : malgré des répliques totalement débridées, l'ensemble demeure très abordable.

Long. 90 minutes, puis, après un peu d'air, 60 minutes. Cliché : la vague était d'une telle ampleur que la soirée est devenue un intermède. À la sortie, sur le trottoir, enfilant Sainte-Catherine et son quartier des Spectacles, je gardais la tête dans le vent. J'étais revenu en 72 avec la gang de Littérature québécoise et Beaubien dans un autobus jaune, fier et fou. En entrant dans le wagon du Métro, je me refaisais des scénarios imaginaires où chaque station devenait un épisode.

Vite! Allez vous réserver une place. Ce n'est pas le Cirque du Soleil avec ses milliards explosés. C'est du théâtre pauvre dans la ligne de pensée de Grotowski. C'est la vie!