29 octobre 2010

Pour Miriam, Ève, Laurence et Emma!



Je vous donne ces chansons porte-bonheur et vous souhaite une fin de semaine de rêve.





Ces mots libèrent les souvenirs de ma jeunesse et les propulsent vers vos rêves.


Bonne nuit, bons rêves....

28 octobre 2010

La magie de l'illusion



Tout n'est qu'illusion. N'importe quel magicien vous le dira. Tout n'est qu'illusion. Mais où se trouve l'illusion?

J'observai, la semaine dernière au Louvre, le buste d'Adrien, empereur de Rome. Vous savez déjà mon respect pour la grande auteure française Marguerite Yourcenar. Bien jeune, j'avais goulument absorbé l'Oeuvre au noir. Je ressentis quelquefois une certaine langueur à la lecture des Mémoires d'Adrien, bien que ses aventures me tinrent aussi captivé qu'un Malraux sur la Voie Royale en pleine brousse Thaï. Alors que je déambulais dans la section de la Rome antique, un buste attira mon regard: sa fiche d'identification arborait un numéro de référence au médiaguide pendant à mon cou. Juste avant de pitonner le numéro, en caractère gras rouge, je m'approchai pour lire le nom de ce personnage: Hadrien (76 à 138). J'avais sous les yeux ce personnage romanesque d'abord à mes yeux. Une barbe à la philosophe grecque que je n'avais qu'imaginée jusque-là correspondait parfaitement à la description de Yourcenar: sa volonté de mieux comprendre et absorber les principes des philosophes de la Grèce lui fit vouloir porter la barbe, chose absolument inusitée pour un empereur romain, qui, tous, avaient été rasés de près. Pas de surprise là; je m'attendais à cette présence.

Toutefois, au gré de mon observation et de l'écoute de  la discussion qu'en faisant une spécialiste de l'Antiquité sur le médiaguide, je fus captivé par cette tête massive. Je trouvai ironique cette pensée qui me vint au sujet de son regard, considérant que ce buste fit partie de ce nouveau procédé dans les sculptures romaines de ne plus peindre les pupilles, mais de faire un trou pour indiquer encore plus nettement la direction. Cet Hadrien avait non seulement la tête tournée vers la droite, mais ses yeux allaient eux aussi vers la droite. La posture prenait un rythme de spirale. Symboliquement, connaissant le recours aux superstitions des peuples de l'Antiquité, cette double droite éloigne systématiquement l'empereur du «sinister», le côté gauche donc de la mort et du mal, pour le camper solidement du côté «dexter», du droit et, incidemment, de la victoire. Mon cerveau se mit rapidement à créer quelques connexions avec cet homme que j'avais sous les yeux et celui que j'avais connu grâce au roman. Je mesurai la distance entre la réalité de la sculpture qui voulait, on la sait grâce à l'époque où ce marbre fut façonné, rendre avec une exactitude scrupuleuse tous les traits du sujet et mon illusion de cet Auguste.

L'illusion était maintenant isolée. Je pouvais la confronter. Je l'enrichis. Je suis retourné vers le roman avec une nouvelle information. Vous me direz que ce n'était que paresse de ne pas avoir pris la peine d'aller, comme vous le ferez ici, consulter une image de ce buste. Je vous répondrai que l'effet n'est pas le même. L'image, tel que vous pouvez l'étudier ci-haut, apporte des indices, mais ne touchera jamais à l'holisme du personnage. Le sculpteur, au-delà de la parole, permet au personnage de transpirer sa vie, de prendre forme corps et âme. L'illusion de la noirceur se colore. Dès lors, où au juste retrouve-t-on cette illusion maintenant? Avant la sculpture, elle se situait au cerveau. Le seul support disponible était au niveau du mot, de la parole, d'un texte qui tentait de proposer une vision, toujours abstraite dans sa substance, d'un homme. À partir du moment où les yeux ont fait parvenir au cerveau une référence concrète, la donne change. L'illusion fait un va-et-vient avec la cible. Elle joue selon un triangle de signifiant: le mot, le marbre et la réalité historique. Yourcenar devient le croupier qui distribue les cartes; celles-ci sont organisées selon le jeu privilégié; puis, les combinaisons commencent à s'orchestrer selon les événements.

Les mille et une illusions optiques procèdent du même ordre: observation, information, adaptation. On regarde un arrangement; on cherche l'information pertinente; on explique la réaction provoquée par la friction fiction/réalité. La magie opère dans la mesure où les données paraissent crédibles ou, du moins, suscitent un engagement de la part des individus disponibles. L'oeuf et la poule: pas de magie, pas d'illusion; pas d'illusion, pas de magie!

Tantôt, je retournerai vers le roman pour lire quelques aventures supplémentaires. J'ai hâte; je verrai un Hadrien sous une magie différente. Il fait dorénavant image et vérité.


27 octobre 2010

Paris suite... Juste le courage d'affronter.



Je viens d'entrer dans un p'tit café à l'intersection de Blanqui et Soeur Rosalie : Chez Eugène. Plus ou moins 14 h; vous servez toujours les petits déjeuners? Oui, ouii, ouiii! Entrez, c'est plus chaud à l'intérieur; c'est frisquet c'matin, lance le garçon, asiatique tout en génuflexion de la tête comme les anges-tirelire du sanctuaire. Bon parfait! J'entre. Pour deux? Pour deux! Julie et moi, on s'installe à la table à peine assez large pour recevoir notre Voir et deux espressos tassés.

— Deux déjeuners s'il vous plaît.
— Finis les déjeuners! Plus de croissants ni rien...
Style too bad, tu r'viendras... Le garçon de table s'éloigne de quelques pas, il se retourne :
— Mais tu peux avoir une omelette à ce que tu veux. Avec un sourire un peu complice.
— Je vais prendre une baguette au bleu.
Je veux dire un morceau de baguette au bleu.
— Oh! Une baguette?... Au bleu?...
La bouche en flute, les yeux qui roulent, dit assez fort pour que la moitié du café entende.
— Bon, oui, un morceau de...
— Bien sûr. Tout de suite.

Julie a pris une omelette. J'ai englouti mon bleu de campagne. Du début à la fin du repas trois garçons se sont occupés de nous. Le dernier avec l'addition, complètement dosé par une cliente tirée aux quatre épingles, reçut mon merci et courage avec un merci plus qu'amical.

On targue les Parisiens de froideur, de snobisme. Je les ai trouvés affairés, attentifs et surper sympathiques.

À quoi ça rime tout ça?
À la place Pompidou!

La place Pompidou, la cathédrale des tuyaux, la raffinerie, renferme une des plus belles collections d'oeuvres contemporaines : 60 000 oeuvres qui font le carrousel entre les sous-sols et les galeries. L'équipe décida d'accrocher Elles : 228 créations de femmes. Sachant qu'à peine 2 % des oeuvres exposées dans les musées d'art mondiaux proviennent de créatrices, Paris, par la voix de sa galerie d'art contemporain, fait un pied de nez monumental à tous les conservateurs trop conservateurs pour voir la lumière au bout de leur chauvinisme.

Cet accrochage a aussi le mérite de totalement déstabiliser. En tant qu'homme et amateur d'art très naïf et primitif, je suis toujours en train d'organiser mes sensations après cette fulgurante cascade de morceaux de chair taillés dans le vif. Les thématiques sont habituellement traditionnelles; comment réinventer la roue? C'est décidément dans la texture et l'interprétation que nous nous retrouvons devant un phénomène d'une force tellurique. Plusieurs oeuvres viennent chercher un profond malaise quand ce n'est pas une culpabilité intenable qui fait tourner la tête.

Voilà Paris : pas distant et froid; lui-même et toujours sur l'arête du précipice. Toujours l'invitation à prolonger le risque de se dévoiler.

Mon garçon de table de Chez Eugène me retourna un sourire clin d'oeil de complicité; les femmes du monde, au front du niveau 5, m'ont foutu des baffes et offert leur âme devant lesquelles me prosterner.

26 octobre 2010

Zola et le Louvre

Je ne pensais jamais retrouver mon ami Zola entre les murs du Louvre. Pourtant, il y était. En entrant dans le salon du secrétariat d'État, le luxe outrageant me rappela la couverture du Folio classique «Son excellence Eugène Rougon», oeuvre de Charles Giraud, Salle à manger de la princesse Mathilde.

«L'entrée dans la salle à manger fut d'une grande pompe. Cinq lustres flambaient au-dessus de la longue table, allumant les pièces d'argenterie du surtout, des scènes de chasse avec le cerf au départ, les cors sonnait l'hallali, les chiens arrivant à la curée. La vaisselle plate mettait au bord de la nappe un cordon de lunes d'argent; tandis que les flancs des réchauds où se reflétaient la braise des bougies, les cristaux ruisselants de gouttes de flammes, les corbeilles de fruits et les vases de fleurs d'une rose vif, faisaient du couvert impérial une splendeur dont la clarté flottante emplissait l'immense pièce [...] C'était une approche presque tendre, une arrivée gourmande dans un milieu de luxe, de lumière et de tiédeur, comme un bain sensuel où les odeurs musquées des toilettes se mêlaient à un léger fumet de gibier, relevé d'un filet de citron.» (Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon, page 192)


Alors que Paris de gauche, Paris syndicaliste, déambulait dans les grandes avenues pour dénoncer les mesures du Gouvernement pour modifier les règles de retraite des travailleurs, cette entrée dans cette luxueuse orgie qui fut début XXe, le quotidien de la classe dirigeante de la France me secoua et colla à mes pensées l'auteur du J'accuse et de la Terre, et de l'Assomoir. Il avait aussi placé les pièces avec La Fortune de Rougon et la Curée. Cette oeuvre monstrueuse, digne des dénonciations de Jaurès, prenait vraiment tout son sens. Quelques heures auparavant, quittant le grand boulevard Germain des Prés, contournant les cinq étoiles et les Maserati, sur François Ier, je passai devant Dior, Gauthier et Cartier pour ne nommer qu'eux en me disant que les manifestants se trompaient sans doute de cible et de rue. Les casseurs devraient laisser les autos des citoyens des boulevards tranquilles et se promener dans les arrières où se trouvent leurs véritables despotes.

Quand nous dérivons parmi les artéfacts de l'histoire, notre vision se trouble parfois; elle se dédouble pour coller la réalité muséale à celle réelle du quotidien. C'est exactement ce que Zola a fait: il nous a promenés de roman en roman à travers une société où le riche abusait et où le pauvre bouillait dans une marmite dont le couvercle sautillait de plus en plus fortement. Les représentants de l'UMP répètent à toutes les occasions que le mouvement de grève s'essouffle. Il a raison. Mais la colère, souvent sous la forme du cynisme, elle, ne décolère pas. Je lisais aujourd'hui que la France est suivie par les autres membres de l'Union qui veulent faire le même ménage dans les retraites. Il ne faudrait pas que les autres chefs d'État oublient la force phénoménale que la résistance française avait prise durant Vichy. Tout comme d'ailleurs, la Maison blanche devrait se souvenir de Paul Revere et du Tea Party. La gangrène n'attaque jamais le peuple; elle ronge toujours les profiteurs de quelque acabit qu'ils soient.

En me promenant dans le Louvre, en étudiant les empereurs romains, les appartements royaux, les baudruches et les volutes en plâtre de la Directoire, ce sont les arches et les énormes blocs de schistes de la fortification médiévale de ce monument qui m'ont fait conclure que tôt ou tard ce n'est pas la réflexion d'un événement sur un support artistique qui change le monde, c'est la substance qu'il transcende. En effet, la Vénus de Milo n'est finalement qu'une oeuvre plutôt banale et relativement mal foutue qui doit sa gloire à des circonstances fortuites, tout comme la Joconde, loin d'être la meilleure toile de l'artiste doit aussi sa célébrité à un concours de circonstances; son sourire béat fait penser qu'elle réalise bien la chance qu'elle a d'avoir été au bon endroit au bon moment...

Tel n'est pas le cas pour la Victoire de Samothrace: devant cette sculpture, il faut s'incliner. Elle force l'imaginaire au respect. C'est Rougon devant Lantier sans l'ombre d'un doute sur le vainqueur du duel.

25 octobre 2010

Je me suis trouvé!




À ma grande surprise, je me suis trouvé, là, au milieu du trafic d'une place banale, dans le cahot habituel du trafic, des piétons jacassant et des cafés souriant. Je sortais de la bouche du métropolitain mon havresac sur le dos; je cherchais la rue de mon hôte: Soeur Rosalie. Je ne me suis pas reconnu tout de suite. Je me suis littéralement buté contre moi. Soudainement, la réflexion s'est évanouie: je m'étais jumelé.

J'avoue qu'au départ, tout semble différent. Ce double ne bouge pas nécessairement toujours au même rythme. Il veut aller à droite, continuer, lever la tête, rire, foncer ou céder le passage; il craint de rater le bus, l'autre s'en balance; il s'arrête devant une maison de chambre qu'il trouve plutôt originale, mais l'autre soupire de la perte de minutes précieuses perdues pour le prochain site... Rapidement, tout redevient calme, et on s'entend merveilleusement: deux dans un. Je l'ai aimé tout de suite... On ne s'était jamais rencontré; on se connaissait depuis toujours.

Paris n'est pas la France. Il est la référence, elle est l'enveloppe. La France que je connaissais suivait de paisibles cours d'eau dans des vallées bucoliques. Comme Troyat le décrit dans le premier tome Des semailles et des moissons, seul un accident de parcours projette ces villageois vers les entrailles de l'Histoire. L'arrière-pays, les arrière-pays, ma foi, sont trop intimement liés dans la fabrique du patrimoine pour encadre leurn propre passé Leur évolution baigne sagement ses cressons dans la source. Toutefois, comme son Amélie qui s'installe à la ville, tout bascule dans Paris. Les chocs de la population forcent l'édification de crans d'arrêt. Les mouvements massifs, sur le principes de plaques tectoniques, forcent le passé à s'accrocher. Les musées poussent; les galeries accumulent; les bâtiments, du moins leur face externe, sont protégés; on décoiffe les ruelles de briques cachées et on les prolonge. La ville millénaire chevauche ses résumés de civilisation comme autant de villages rasés dont on cherche à protéger l'essence. En effet, on sent bien que c'est au coeur de cette conservation que se trouve son âme. Notre vie n'a plus aucun sens si elle ne garde de référence que la vibration éphémère de quelques générations. Les racines sont beaucoup plus profondes; et combien plus essentielle! Et à ce besoin, laVille lumièree excelle.

En face à son étroitesse physique, elle conserve jalousement ses vestiges patrimoniaux. Ils sont objets, documents, lieux, personnages, quartier; même les fantômes jouent dans des drames sans âges. Cette métropole mondiale de la culture francophone qui assume depuis Richelieu le contrôle linguistique, politique et créatif de tous les parlants français de la Terre par ses lumières, est bicéphal : en père, elle demeure juge incontesté du destin; en mère, elle ne coupe jamais complètement le cordon ombilical. Des quatre coins de l'univers, c'est en effet encore d'elle que l'on demande un imprimatur, une décoration, une publication, une reconnaissance. C'est notre Mecque!

En refusant cette interprétation, nous sommes devant deux choix: nous acceptons que notre souche fondamentale soit issue directement du territoire et donc des populations indigènes originelles; ou nous devenons une population anecdotique d'à peine quelques centaines d'années, totalement orpheline en cultivant l'espoir que les centaines d'années continueront à s'additionner pour un jour espérer qu'elle soit contenue dans l'univers culturel mondial.

J'ai découvert mes parents biologiques! J'ai deux familles culturelles issues de deux univers diamétralement opposés: je signe l'armistice entre la nature et la civilisation.


14 octobre 2010

Zadig et après... Lumières!


Je viens tout juste de relire Zadig de Voltaire. Une toute petite novella dans laquelle le célèbre essayiste raconte les aventures d'un hère dans les univers bizarres de la société orientale; en fait aussi orientale que sont les lettres persanes de Montesquieu sont arabes. Je cherchais, pour tout vous dire, un thème pour vous plaire avant de vous quitter pour une semaine. Je pars pour Paris. Qui l'eut cru? Ma conjointe et moi prolongeons nos horizons; il fut un temps où nous profitions de la relâche pour voir le Canada. Je me rappelle très bien une très belle semaine à St-John's, Terre-Neuve; j'étais même revenu avec une tuque des défunts Maple Leaf de la ligue américaine. Bon, cette fois, c'est Paris en pleine révolte des retraites.

Je n'ai pu trouver de citation satisfaisante, pas plus qu'un passage particulièrement pertinent. Chez Voltaire, tu cliques ou pas. Comment le saisir en quelques phrases? On a rapidement le sentiment que la partie ne représente absolument pas le tout :
« Puisque j'ai essuyé, dit-il, un si cruel caprice d'une fille élevée à la Cour, il faut que j'épouse une citoyenne. Il choisit Azora, la plus sage et la mieux née de la ville; il l'épousa et vécut un mois avec elle dans les douceurs de l'union la plus tendre. Seulement, il remarquait en elle un peu de légèreté, et beaucoup de penchant à trouver toujours que les jeunes gens les mieux faits étaient ceux qui avaient le plus d'esprit et de vertu. » (Voltaire, Zadig, page 8)

Elle avait tort assurément. Zadig en pâtit quelque temps. Il finit toutefois par réaliser qu'il était bien difficile, et compliqué, de porter des jugements justes sans récupérer des conséquences aussi injustes que cruelles. Il s'y fit; il devint de plus en plus sage.

Après quelles expériences s'assure-t-on de la tranquillité d'esprit? Aucune.

« On demanda ensuite : Quelle est la chose qu'on reçoit sans remercier, dont on jouit sans savoir comment, qu'on donne aux autres quand on ne sait où l'on est, et qu'on perd sans s'en apercevoir?
Chacun dit son mot, Zadig devina seul que c'était la vie... C'est bien dommage, disait-on, qu'un si bon esprit soit un si mauvais cavalier »

On ne peut faire plaisir à tout le monde en même temps tout le temps. Je m'en vais à Paris pour voir si j'y suis. Si je me trouve, je vous l'avouerai; sinon, je vous parlerai de mes notes...

L’ignorance et la docilité





Cet article de Nathalie Collard sur Cyberpresse illustre une réalité désolante: l'ignorance. En tant que professeur de français - je voudrais bien dire littérature, mais le ministère me coupe cette compétence - au collégial, et privé en plus, je suis constamment surpris par l'ignorance de mes étudiants.

Mes étudiants ignorent tout de la vie, tout de l'histoire, tout de la géographie, tout sur tout. Ils s'imaginent connaître une ou deux plateformes de réseautage; ils pitonnent allègrement sur leur cellulaire; ils naviguent dans leur dériveur à essence; ils travaillent pour se payer des vêtements griffés. Un univers totalement calqué sur la superficialité. Je ne les blâme pas. Leurs parents les ont confiés au soccer et aux séances de danse; leur écoles primaire ont fait de leur mieux avec l'alphabétisme et la politesse; les secondaire les a enfilés dans les cadres ministériels. Ils se retrouvent au collégial après trois ou quatre visites guidés dans un musée du coin, sept ou huit voyages organisés dans des marchés aux puces et quelques matinées au Théâtre Denise Pelletier. Maintenant, les guirlandes, c'est bien fini; on s'attaque aux compétences sérieuses qui feront d'eux de vrais bons outils sociaux efficaces. Demain, ils seront médecins, architectes, ingénieurs, techniciens, opérateurs, contrôleurs, physiciens, chimistes, biologistes, et aussi professeurs et éducateurs. Ils seront notre société en marche... arrière. Pas qu'ils changeront la donne; nous y sommes déjà: comme le fait remarquer monsieur Dumont:

«Je trouve que les journalistes forment une meute naïve, lance-t-il sans hésiter. Ils sont agressifs quand il y a une nouvelle, mais, sinon, c'est étonnant de voir à quel point ils se font remplir comme des valises.»
«La mobilité et l'inexpérience des journalistes sont deux facteurs qui expliquent cette naïveté, selon Mario Dumont. «Avant, les reporters politiques étaient très expérimentés, dit-il. Ils connaissaient leurs dossiers à fond, on ne pouvait pas leur en passer une. Ils connaissaient l'histoire, pouvaient parler de toutes les rencontres constitutionnelles, etc. Aujourd'hui, les nouveaux ne connaissent rien. J'en ai déjà rencontré qui ne savaient même pas que j'étais démissionnaire du Parti libéral du Québec.»


Si les spécialistes de l'information ne reçoivent pas durant leur formation une solide base de connaissances générales sur leur société non plus que la curiosité d'en apprendre toujours plus, nous nous retrouvons décidément dans un cul-de-sac chronique. Ils sauront un tas de choses bien sûr. Un très bon ami enseigne les communications dans mon collège, et j'aimerais posséder la moitié de son répertoire de compétences en journalisme. Son enseignement, de même que celui de son équipe, fait des merveilles. Il n'en demeure pas moins que dans le monde de l'éducation, c'est le ministère qui gère les compétences; le marché ouvert que représente la compétition de nos jours au niveau de la formation se balance totalement des connaissances culturelles et sociales de base; à la limite, les employeurs semblent tout à fait heureux d'engager des pare-chocs bien nickelés qui iront transmettre les brioches matinales, les salades du jour et les ragoûts vespéraux. Belle tenue, belle gueule, dents blanches, paroles creuses, réflexion nulle, radotages rentables. Ne blâmons pas les jeunes! Ils sont formés pour le marché du travail. Regardez ce qui arrive au Journal de Montréal en lockout depuis bientôt deux ans. Le journal augmente son tirage. Le lectorat est aussi débile que les rédacteurs.

J'écoutais la semaine dernière un débat à l'Assemblée nationale, pas le cirque à Québec, encore moins la foire communale à Ottawa, la vraie, à Paris. Absolument révoltant toute la magouille politicienne française; toutefois, les députés qui s'enguirlandaient à qui mieux mieux lançaient des noms célèbres de l'histoire mondiale à l'appui de leur argumentaire, des moments historiques marquants, des citations littéraires de grands écrivains. Pas Charest, Normandeau, Marois ou les louveteaux qui nous offriraient cette mouture culturelle. Pas besoin! Le bon peuple ne comprendrait pas le premier mot de leurs harangues. Nos coups de gueule restent dans le familier, pas de décorum par peur d'être targué de cultivé. En plus de la corruption, ce serait la mort certaine.

Dernièrement, mon directeur général nous demandait de lui signaler les plus grands dangers qui guettent notre collège. Je ne lui ai pas répondu; je le ferai ici : la bêtise. Eh oui! Monsieur le directeur, la bêtise. Tout le monde se trouve dans le même bateau de la facilité et tout le monde se tord le chignon pour attirer le plus de jeunes possible. Comment? En multipliant les savonnages publicitaires. Viens chez nous, on s'aime tellement et on t'aimera tellement. Viens nous voir tu vas tellement t'amuser. Viens, viens, viens vite, il ne reste plus beaucoup de place. Viens chez nous, tu vas t'amuser et on s'occupe de toutes tes faiblesses, les psychologiques, les sociales, les financières, les dyslexiques, les cotes R…

Mais alors, qu'est-ce qu'il va apprendre notre jeune? Quoi? Pardon? L'analyse littéraire et la dissertation critique pour l'Épreuve uniforme; les math's pour la Polytechnique; la bio pour U de M; l'économie pour l'UQTR; IHotel pour mon futur patron; la suite Office pour les rapports à la direction… La culture? La quoi? Ça ne donne rien ça. Pis, j'en fais en philo, pis cé platte à mort. L'histoire, c'est fini. Je connais ma mère et peut-être mon père, j'en ai assez. Il semblerait que la cote R nuise à la transmission des connaissances. Vraiment? Voilà bien le dernier de mes soucis. Tant que le ministère gérera ma classe et toutes les autres, nous demeurons les esclaves de la facilité et de la standardisation à outrance. Pour le pire…

Eh oui, monsieur Dumont. Vous avez paru pitoyable lors de votre passage à l'opposition officielle. Peut-être aviez-vous trop de culture générale pour les journalistes... et pour nous! Allez, prenez donc le prochain Airbus d'Air France...

(Pour mes amis de droite, mais les personnages peuvent changer de rôle)


13 octobre 2010

monet myope... et abstrait?


Voir pour peindre. Peindre pour voir. Monet souffrait de cataractes. La fin de son oeuvre fait éclater le regard, c'est l'expression très belle de Yves Pouliquen. Ce dernier, lors de ses nombreux voyages, ne ratait jamais l'occasion de visiter les musées où il savait trouver une ou plusieurs oeuvres du grand maître. 

« Ce qui me fascine : la manière dont il est capable de décrypter la composition colorée et formelle d’une situation visuelle et de la transformer. C’est tout de même extravagant! Les moyens sont spontanés. La mise en place des taches de couleurs est immédiate, les choses prennent forme par une exactitude comme s’il avait déjà presque une analyse médicale de ce qui se passe dans la vision! »
Son approche médicale, biologique, diffère des nombreuses études, critiques et autres commentaires faits sur l'art de Monet. Cet ophtalmologiste regarde les toiles avec la pathologie visuelle du peintre. La lumière qui réfléchit sur les objets, sur les éléments, sur les paysages, est analysée par le biais de l'image neurologique. Notre regard s'en trouve aussi modifié. Nous ne contemplons plus une image, mais nous la réfléchissons en nous plaçant dans la semi-voyance qui était la réalité de Monet.


À la fin de sa vie, il exigeait qu'on lui place les couleurs dans un certain ordre pour pouvoir créer les couleurs que son cerveau connaissait, mais que ses yeux ne voyaient plus.

Claude Monet, Les Roses, 1925-26, une huile sur toile, présente à Paris au Musée Marmottan est la préférée de Pouliquen. Il s’agit d’un des derniers tableaux de Claude Monet. Celui qu’il réalise pour son plaisir. Car avec cette œuvre et depuis longtemps, il n’a plus rien à prouver. Il est un peintre institutionnalisé : en 1922, il signe sa donation à l’État des Grandes Décorations des Nymphéas, grâce à l’entremise de Georges Clemenceau. Par ailleurs, depuis des décennies, les autres artistes ont « digéré » ses trouvailles esthétiques pour amener de nouvelles évolutions (en 1926, Picasso n’est déjà plus cubiste et l’art abstrait est déjà vieux d’une quinzaine d’années). Si Monet crée encore c’est avant tout parce que c’est son métier, ou plutôt, la passion de toute sa vie. Il peint pour son plaisir. Il peint pour lui. Il est libre.


Sa peinture épousait les pourtours de son imagination. Il ne s'agit pas d'un niveau d'abstraction, mais plutôt d'une vision cérébrale.










La féérie lumineuse





 Le festival des lanternes chinoises au Jardin botanique de Montréal déploie sa magnificence tous les soirs jusqu'à la fin octobre. Une visite s'impose.

Nous y étions ce lundi soir avec les enfants: 3, 4, 6 et 7 ans. Leur joie ouvrait la nôtre. Les quelques milliers de personnes qui déambulaient autour de l'étang se promenaient en chuchotant, comme à l'église. La comparaison est boiteuse, mais, à l'entrée du jardin chinois de Montréal, l'atmosphère et la chaleur humaine, malgré la froide soirée automnale, me ramenaient au Magical Kingdom d'Orlando. Sans la prétention; sans le «glamour»; sans l'enveloppe richissime de l'étalage d'une pyrotechnique multicolore. Simplement avec des sculptures de papier de soie fusant du sol et de l'eau comme autant de champignons arborescents. Les lanternes «magiques», tanguant dans la brise, nous accompagnaient doucement. Certains bonheurs se laissent cueillir, il s'agit de se rendre disponible.









En terminant, les trois petites merveilles de la famille...


12 octobre 2010

La nécessaire gifle à la médiocrité


Nous y voilà, le gouvernement Harper est défait à l'ONU et le Canada devient un banal village nordique. Harper a retiré ses marrons chauds du combat. Même le courage de la défaite lui a manqué.

Nous sommes battus par le Portugal. Pour la première fois dans l'histoire de l'ONU, le Canada ne sera pas partie prenante du Conseil de sécurité. Remarquez, les conservateurs n'ont rien à dire non plus... alors...

Monsieur Harper à Ottawa, monsieur Charest à Québec, monsieur Lévesque à Trois-Rivières : C'est Agnès Gruda qui parlait de la fatigue de vivre... Hum! À quand des élections?



La permission s'il vous plaît.

Quelle abominable tristesse! Cet article d'Agnès Gruda illustre le terrible dilemme où sont rendus les individus.

Ce texte manifeste une perte d'autonomie navrante. Si une personne veut mourir, ne peut-elle simplement ... mourir! Mille et une façons, plutôt faciles et relativement douces existent. Ne faut-il pas avoir une crainte horrible de ce départ pour chercher une prescription en bonne et due forme? Les gens fatigués de la vie? Demander donc aux gens s'ils ne sont pas fatigués de se battre sur le marché du travail ou ailleurs dans leur propre famille pour parvenir à se coucher le soir en espérant que la fatigue accumulée va les emporter et peut-être même un arrêt cardiaque en prime, parce que dans la tête ça ne tourne vraiment pas. Les vieux par ci, les vieux par là... Il y en a toujours eu des vieux; la différence est que d'immenses conglomérats extirpent par leur complexe de résidence le meilleur d'eux-mêmes. Les vieux parmi les vieux, une pomme pourrie dans un panier. Vous mettez un vieux chialeux dans une résidence, vous en créez une centaine.

J'en connais des vieux. Des cons, des braves, des mous, des baveux, des lâches et des drôles. On parle aujourd'hui de la possible nécessité de créer une DPV! Vous voulez rire? Une Direction de la protection des vieux et des vieilles. Allez faire une tour sur la piste cyclable: vous allez en croiser des vieux. Ils prennent l'air; ils ne jouent pas aux cartes en attendant le prochain repas. Leur cerveau fonctionne encore parce qu'ils l'utilisent.

La violence est partout. Bien sûr! Je me suis fait attaquer par un ado à coup de roches qu'il  cueillait dans ma platebande cet été parce que je lui ai dit de sortir de ma cour. Je crois que je vais demander une DPP, une Direction de la Protection des Propriétaires. À force de déresponsabiliser les individus, on les rend mollusques. Ils ne se tiennent debout que par le système qui les chouchoute.

Tu veux mourir ma chouette? Ouvre internet, tu vas trouver plein de trucs. Ça, ce n'est pas l'euthanasie; c'est un suicide! Tu ne peux pas accepter le fait que c'est exactement ce que tu veux faire, tu veux que quelqu'un d'autre prenne la responsabilité de ta décision; le geste, tu n'as pas le courage de le poser? On s'en doute...

J'ai frôlé la mort de très près dans ma jeunesse. Tout ne dépendait que de moi; tu te bats ou tu crèves. Je me suis battu; j'en suis sorti. C'est ça la vie, non?

Alors si tu es fatiguée, repose-toi.

10 octobre 2010

Un mot dans l'univers...

Je marchais avec Emma, ma petite de quatre ans le long de la pinède de mon collège. La journée avait été longue. J'avais cueilli Emma à la garderie à la toute fin de la journée. Nous marchions donc avec chacun notre journée dans le corps quand soudainement, j'aperçois ces champignons colorés qui couvrent le sol jonché d'épines.

Voir ces éponges terrestres surgir du sol représente toujours une fête. Je n'y connais absolument rien en champignon sauf que les schtroumpfs y demeurent et que, parfois, ils peuvent vous faire prendre de bien curieuses couleurs. Je les trouve beaux et intrigants. Un matin, voilà quelques années, sur le sentier asphalté menant au portique central du Collège, je croisai un phénomène totalement surprenant: un champignon, tout ce qu'il y a de plus ordinaire, s'était frayé un chemin en craquant le bitume. Je courus voir le responsable des communications pour lui emprunter la caméra du service pour croquer cette image. Je ne l'ai plus; perdu dans le fouillis de mes archives; pourtant, c'est bel et bien la vérité. Comme le lièvre et la tortue, j'en conclus; lentement mais sûrement, le champignon a forcé son chemin pour voir le jour malgré la grande résistance du matériel auquel il s'attaquait. Fascinant! Cela en dit beaucoup sur les phénomènes qui nous entourent: soit on les voit, les remarques, soit on passe outre sans se soucier de ce qui se passe. La nature nous offre des milliers de ces circonstances. La plupart du temps, nous passons outre: pas l'temps, pas l'intérêt.

Un faucon pèlerin attaqua une tourterelle triste l'automne dernier en face de la porte-fenêtre du salon. Il est arrivé à la vitesse de l'éclair, a fondu sur elle pattes devant toutes griffes sorties. D'un coup d'ailes, il s'est déplacé à quelques mètres d'elle; il la regarda; deux ou trois pivotements de tête; il fixa ses yeux sur elle. Elle ne bougeait pas; je la voyais respirer; elle se remit sur ses pattes doucement; elle chancelait; ses yeux dans les yeux du faucon ne contenaient que du vide. Le monde animal ne connaît pas la souffrance, ni la peur. Ses membres seraient de parfait fataliste. C'est précisément ce que je m'imaginais voir dans les billes noires de la tourterelle. Le faucon bougea ses pattes: la gauche, puis la droite; une seule fois. Un coup d'ailes: en un mètre à peine, il grimpe à deux mètres dans les airs et pique une nouvelle fois sur la victime. Je ne la vois plus; elle disparaît sous les plumes grises et brunes de ce chasseur voilé. Il se recule à nouveau d'un saut de côté; à peine à quelques pouces. La tourterelle ne détourne pas la tête pour regarder cette masse derrière elle; elle est couchée, soumise. Il se reprend: saute, l'agrippe, jambe droite, les puissantes pinces à la vue dans le plumage, dans un sur place violent pendant lequel il la soulève à trois ou quatre reprises et l'assène au sol. Il se recule à nouveau. La tourterelle est étendue; sans vie semble-t-il. Il donne quelques coups de bec. Aucun mouvement. Il attend une trentaine de secondes. Il la saisit à nouveau. Il déploie sur longues ailes, bat l'air dans un bruissement sonore et s'élève rapidement vers le faîte des arbres.
Dans le parc national de la Mauricie, un après-midi de marche solitaire, mon intervention sauva une grenouille. De légers crissements attirent mon attention. Je penche la tête et aperçois une moitié du corps d'une grenouille qui bouge curieusement de gauche à droite. Je m'accroupis pour voir de plus près pour remarquer qu'elle a une longue queue, une longue queue qui ne lui appartient pas. En déplaçant les branchages, je vis la mâchoire désarticulée du reptile possédant déjà les deux jambes de l'amphibien. Pris de dégoût, je frappai du talon de ma botte avec toute la violence dont j'étais capable, le corps émaillé; immédiatement, dans un fouet rapide et court, elle cracha sa proie et tenta de se défaire de mon talon. En quelques secondes les deux avaient pris la fuite, la consommation en titubant quelque peu et le consommateur, à travers les herbes...
On tue, on sauve. La dynamique reste la même. La nature est immuable. Et j'en fais partie. Un article que je lisais l'autre jour mentionnait que nous, les humains, avons toujours, et encore aujourd'hui, souffert d'un orgueil incroyable, désirant gérer la destinée de la planète, et nous persuadant que nous pouvons modifier sa course évolutive. Une volonté universelle d'un petit rejeton pratiquement totalement minable à l'échelle de l'univers. Jean Rostand, dans l'homme, le présentait de façon superbe déjà en 1962:
«Nous parlons ici de l'Homme comme d'un produit quelconque de la nature [...] Ce message de la biologie que nous nous efforcerons de transmettre aussi simplement et fidèlement que possible, chacun est libre de la prendre tel quel, ou de lui donner le prolongement philosophique qu'il juge convenable. Mais nul ne peut le refuser, le récuser, et ceux-là mêmes qui pensent que l'Homme est autre chose que ce qu'y reconnaît la science ne peuvent manquer de convenir qu'il soit aussi cela [...] Sonc, pour le biologiste, l'homme est un animal, un animal comme les autres [...] Son espèce n'est que l'une des huit à neuf cent mille espèces animales qui peuplent actuellement la planète [...] Du point de vue matériel, l'humanité tout entière ne représente que bien peu de chose dans l'univers: le protoplasme humain figure pour 100 millions de tonnes sur une terre qui en pèse six sextillions, et la terre elle-même n'est qu'une des neuf planètes de notre système solaire; et notre soleil lui-même, un million de fois plus gros que la terre, n'est qu'une étoile médiocre parmi les 100 millions d'étoiles qui forment notre galaxie; et notre galaxie elle-même, si vaste que la lumière met plus de 100 000 ans à la traverser, n'est que l'une des millions de galaxies qui peuplent l'espace [...] L'humanité, âgée d'environ cent mille ans, durera-t-elle encore longtemps sur cette terre? Que le rideau s'abaissât avant la fin du drame, cela n'aurait d'ailleurs aucune importance, puisque, aussi bien, l'acteur est ici l'unique spectateur. Nulle part ailleurs, personne ne vivra la mort de la pensée humaine, et quand le dernier esprit s'éteindra sur la terre déserte, l'univers ne sentira même pas sur lui le passage d'une ombre furtive...» (Jean Rostand, L'Homme, pages 7,8,9 et 172)

Jean Rostand écrivait ces mots en 1942. Alors des bémols deviennent absolument nécessaires. Le simple fait que le professeur de biologie nous fit lire cet essai en Belles Lettres (Secondaire V) illustre tout de même une chose assez  magnifique: il fut une époque où les étudiants apprenaient un certain nombre de notions scientifiques qui n'étaient pas des formules débiles et des échanges chimiques tout aussi saturées de bêtises et d'automatismes délirants. Outre ces réflexions, il faut aussi dire que monsieur Rostand se présentait comme un eugéniste fondamentaliste. Il croyait fermement dans la purification génétique pour assurer un avenir meilleur à la race humaine, sinon une dégénérescence lente, mais certaine prendrait place. 1942, dois-je vous le rappeler. En fait, si nous comparons le nombre d'avortements thérapeutiques, nous pouvons donner au moins en partie raison à ce biologiste en ce qui concerne la purification raciale.... Troisièmement, son raisonnement sur la place de l'homme dans la nature s'applique parfaitement avec notre regard contemporain: nous sommes une minuscule poussière qui vivons sur une poussière tributaire d'un grain de sable.

Ayons l'honnêteté de dire que nous nous exaltons devant cette course au sauvetage de la planète, dans le seul but fort égoïste de sauver notre peau. Je ne vois pas en quoi quelques milliers d'années supplémentaires changeront quoi que ce soit?

À quand le révisionnisme polluant? Laissons-nous le loisir de vivre et prenons exemple sur la nature pour calibrer notre impact. Les loups ne tueront pas la planète même s'il dévorent les cerfs. La récupération soulage le gaspillage. Quand ils fermeront les grandes surfaces et que les ventes de garages cesseront, la Terre respirera mieux. Que les seuls objets qui s'accumulent sur terre soient des objets de culture! Nous mourrons tout de même, mais nous mourrons en homme.





8 octobre 2010

Chanter la poésie...



Si on chantait nos tripes, certains couplets seraient d'une mélancolie rugueuse:


Pourtant on y retourne toujours là, là où les paroles sont inutiles. Les yeux humides des hiers qu'on cherche encore à comprendre... ou à accepter? Tu l'sais toi?


Non, probablement pas. Moi non plus. Mais faut continuer, à marcher, à courir, à trouver le monde cool, la vie belle, la source pure et vive... Au fond, tu l'sais où on va te r'trouver...


P'tit vendredi cool. P'tit vendredi d'Action de Grâce...

7 octobre 2010

De bien beaux textes.



J'avoue que cette période de mi-session apporte un lot de correction dont je me passerais bien : 96 analyses littéraires à lire et à évaluer. Pourtant, dans cette masse de mots, des perles surgissent régulièrement. Je n'aime pas que l'on associe à ce mot « perle » les gaffes comme on le fait souvent; mes perles sont des brises de fraîcheur. Les étudiants ont des trouvailles géniales quand on leur laisse de l'espace. Car ils aiment ces grands enfants de 18 ou 19 ans à parler de leur lecture. Pour peu qu'on brise le tabou du complexe pour les amener tout doucement vers le rêve.

« La littérature a valeur d’autorité, elle ne fait plus autorité. Elle a été confisquée par des élites qui s’appuient sur l’usage “éhonté d’un jargon incompréhensible, arme brandie contre toute invasion extérieure qui menacerait d’effriter l’ivoire de la tour”. Et l’auteur de pourfendre cette “consanguinité intellectuelle qui dégénère la pensée, vidée de son sens, tandis que les nouveaux pédants gagnent du terrain et imposent partout leur non-sens”. Où penser encore aujourd’hui? Florence Balique répond à cette question le plus simplement du monde : “Mais comme cela s’est toujours fait, chez soi, seul, ou entre esprits curieux destinés à s’ouvrir, non à se montrer ni à tenir salon.” Apprendre à jouer d’un instrument, peindre, dessiner, goûter les oeuvres d’art, lire sont “autant de pratiques culturelles où l’on s’essaie soi-même, où l’on engage ses facultés”. » (Joseph Macé-Scaron, Le Magazine littéraire)
Combien de fois, une étudiante a-t-elle surgi avec une lecture inopinée d'un passage moult fois retravaillé; combien ai-je été sidéré par l'association insoupçonnée d'un étudiant bavard et frondeur tellement sensible qu'elle redéfinit les paramètres du propos de l'auteur? Une fois démystifiés, les outils d'écriture littéraire deviennent des clés pour déverrouiller les regards sur le texte. Toute leur naïveté accouche sur la feuille, souvent sans même qu'il ne s'en rende compte. Ils n'ont pas vu ce qu'ils ont décrit, ils ne croient pas en leurs trouvailles; ils les trouvent simplistes; ils n'en sont fiers qu'après les avoir persuadés de la grande originalité de leur interprétation, et de sa pertinence. Leur description n'est pas accrocheuse; le style sursaute et accroche. Mais pour quelle raison ne ferais-je pas le même effort pour les lire qu'eux ont fait pour lire mon extrait à analyser? Je dois devenir humble devant leurs efforts. Je dois lire leur propos et non m'arrêter à leurs mots.
« Autrement dit un individu à plume susceptible de réunir dans sa personne un conteur, un pédagogue et un enchanteur. On voit par là ce qui sépare un Nabokov d’un Borges dans leur pouvoir de transmettre une même passion de la littérature : l’enseignement. Le contact avec les étudiants, leur regard, leur écoute, leurs réactions. Nabokov feignait une indifférence teintée de mépris; mais plus il les traitait de “perroquets”, c’est-à-dire de “philistins” en puissance, son grand mot pour balayer les conformistes dans toute leur médiocrité bourgeoise, plus il s’attachait à eux. On entend sa voix chaleureuse jusque dans ses colères. Provocateur, injuste, arrogant, indépendant, partial, iconoclaste, excessif, tranchant, subjectif, ironique, mais c’était un magicien. N’est-ce pas ainsi qu’on forme le goût? La riche préface de Cécile Guilbert, ainsi que les avant-propos de John Updike, Guy Davenport et Fredson Bowers, rendent justice au génie du passeur. Pas moins conventionnel que ce professeur-là : non seulement il dédaignait les usages académiques, mais ses cours bousculaient allègrement les interprétations canoniques des grands classiques. Du démontage de chefs d’œuvre avec mise à nu des mécanismes et quête insatisfaite de la traduction idéale. » (Pierre Assouline, La République de livres)
 Voilà la grâce que je me souhaite, car si j'ai eu quelque utilité dans ma vie de prof, c'est bien d'avoir cassé les barrières érigées autour de la parole des livres.

6 octobre 2010

Nommer le temps...



Patrick Boucheron, dont j'ai parlé il y a quelque temps pour son histoire du monde au XVe siècle, est réapparu dans mes lectures. La revue Histoire, dans un numéro spécial sur les Grandes découvertes en livraison Juillet-Août 2010, lui donne la pièce d'entrée. Comme à son habitude, il cherche à modifier la perspective habituelle; les découvertes tant vantées par l'Europe depuis le quinzième siècle en attrapent pour leur rhume. Nous apprenons en effet que cette vision «eurocentriste» - ce mot ne vous rappelle-t-il pas héliocentrisme? - ne reflète qu'une petite partie de la réalité. Ces grands voyages des Européens comportent finalement assez peu de mérite dans la mesure où ils reprenaient des circuits développés par les Asiatiques ou les Ottomans ou les Indiens bien avant eux: voilà pour l'Est et la pointe de l'Afrique. Pour l'Ouest et les Amériques, il s'agit d'accident de parcours dans lesquels les navigateurs accidentellement ou menés par le hasard aboutissaient sur de terres qu'ils tenaient, dans leur ignorance, pour ce qu'elles n'étaient pas. Encore une fois, Boucheron fait plier l'orgueil caucasien.

Ce numéro spécial vaut quelques heures dans votre bibliothèque favorite.

Je vous laisse avec cette phrase sur laquelle d'ailleurs je m'en vais méditer un peu: «Nommer le temps, c'est le politiser.» L'historien la lance en référence aux Grandes Découvertes, mais ouvre la porte à tous les exemples existants: la Belle Époque, la Directoire, le krach de 29, et plus près de nous, et voilà bien ce qui me rend songeur, le Rébellion des Patriotes, la Révolution tranquille, la crise d'Octobre...

Quel sens notre histoire accroche-t-elle à ces événements.

5 octobre 2010

Le premier ministre est mort, vive le roi!

Le Cardinal Richelieu désirait affirmer le pouvoir royal. Rapidement après son accession sur le trône de l'Église catholique française, il décida de former une instance qui permettrait à la royauté de consolider son contrôle sur le peuple. Il fonda l'Académie française, organisme voué au contrôle de la langue. Par ce geste, il s'assura de fixer la langue de Paris et de lui accorder la priorité sur tout le territoire français. Les régions devaient faire face à l'obligation de suivre la grammaire et le lexique de la Couronne. Le geste est percutant. À la veille de la prise du pouvoir par Louis XIV, tous les éléments sont en place pour l'absolutisme royal. Richelieu y aura goûté avant son départ.

L'unification linguistique est un phénomène intéressant. Au Canada, les Britanniques avaient très bien compris que leur nouvelle colonie serait mieux sécurisée si toute la population se servait d'une seule langue. Il est relativement curieux de constater qu'ils acceptèrent en fin de compte de permettre sa survivance accompagnée de leur intégrité physique, leurs biens, leur religion et leurs lois. Peut-être devons-nous au très grand respect qu'ils avaient du fait français cette curieuse décision : en effet, qu'un conquérant accorde au conquis tous les éléments pour contrer l'assimilation, il fallait bien une raison. Les conquis Français s'enrôleront d'ailleurs gaiement dans les forces britanniques pour défaire les révolutionnaires venant du Sud. Paradoxalement, les Britanniques ont conservé jusqu'à ce jour un grand respect non seulement pour la reine, mais aussi pour l'institution elle-même; de même, et je le mentionnais voilà quelques jours, les francophones souverainistes ont aussi gardé un fond royal. Tout comme les cousins de Grande-Bretagne, nous espérons encourager le centre-gauche sans jamais songer à dépasser le centre-droit dans nos pires cauchemars, mais qu'un symbole relativement inopérant au niveau du législatif demeure dans le décor? Pas de problème! Cela fait sans doute partie du dilemme du rouge et du noir, de la noblesse de sang et la noblesse de robe, d'une ascension sociale liée à la fois à sa monétarisation et à sa reconnaissance culturelle. Les votes au Canada sont sensibles à ces deux facteurs : que l'on parle de budget ou d'une quelconque dynamique culturelle qu'elle soit du Sud ou du Nord, de l'Est ou de l'Ouest, le vent va prendre dans les voiles.


Notre système bicaméral nous a modelés. Les fondements de notre démocratie reposent sur des traditions européennes; nos conflits sont restés des batailles de voisinage contrairement à la coupure essentielle que les patriotes de 1776 à Boston ont opérée. Rapidement, au Sud, l'argent a acheté du territoire; il s'est rempli d'antiroyalistes religieux, d'Irlandais qui crachaient sur le roi, de noirs féodaux, d'Allemands réformistes : un bouquet de têtes brûlées qui se tiraient à qui mieux mieux pendant que nous nous fusionnions le long d'une petite bande de terre cultivable en nous faisant balloter d'un roi à une reine à un premier ministre, jamais trop sûr de ce que l'avenir nous réservait. Les Américains ont commencé à voyager en Europe pour aller s'acheter de la culture en robe; nous vénérions nos cousins mutuels jusqu'à les prendre pour des sauveurs. Nous sommes encore attachés faute du courage nécessaire pour faire de notre territoire une appropriation intime.


En 1776, les Américains ont coupé les ponts; en 2010, nous creusons encore des tunnels sous l'Atlantique. Nous cherchons peut-être notre Richelieu; ou notre Washington. Toute une tasse de thé! Hail Victoria!

4 octobre 2010

Le merveilleux monde du New York Times


Je lis abondamment un grand nombre de quotidiens auxquels je suis abonné. Je reçois chaque heure du jour une dizaine de mises à jour de ces quotidiens: France, Belgique, Suisse, Angleterre, Irlande, Canada, Brésil et, naturellement, de cinq ou six états américains. Plusieurs ne vont pas plus loin que la lecture du titre qui apparaît sur le courriel. Quelques-uns seront ouverts. Plus rares encore, un ou deux ou trois dans le lot ouvriront la porte au journal lui-même dans sa version électronique. Lors de mon congé, l'an dernier, cette lecture était devenue une terrible drogue: je passais plusieurs heures à dépouiller des dizaines d'articles, à littéralement dévorer l'information planétaire qui faisait souvent des boucles sur certains sujets chauds: la crise financière par exemple et les hordes d'éditoriaux et articles de fond qui débordaient de partout dans le monde. Depuis mon retour à la besogne, et au nécessaire plongeon littéraire que demande ma performance de professeur, mes préférés refont surface; parmi eux, l'onglet du New York Times est toujours sur le bureau, de 7 h 15 à 16 h 00 puis en soirée si je suis devant mon écran. Ce monument journalistique, cette immensité communicatrice, ne cesse de m'éblouir. Dans un film que je visionnais la semaine dernière, un des personnages jalousait un autre personnage pour le travail que lui avait offert le NYT. Ce pigiste, qui deviendra un régulier, qui sera remercié quelques années plus tard, n'est pas devenu un Pulitzer, il y a même laissé la majeure partie de sa vie professionnelle, vidé par les succubes quotidiennes des éditeurs. Mais ce monstre réconforte constamment ma foi dans le vrai journalisme. Je vous offre donc deux exemples de ce potentiel inépuisable, me semble-t-il, de Journal.

Le premier, par Stanley Fish, - Stanley Fish is a professor of humanities and law at Florida International University, in Miami, and dean emeritus of the College of Liberal Arts and Sciences at the University of Illinois at Chicago. He has also taught at the University of California at Berkeley, Johns Hopkins and Duke University. He is the author of 11 books, most recently “Save the World On Your Own Time,” on higher education. “The Fugitive in Flight,” a study of the 1960s TV drama, will be published in 2010 - raconte une aventure cinématographique au sujet de Ginsberg, le beat poète. Le fin de l'article donne le goût de ce commentaire fort élogieux:
«After a movie you usually want to talk about the actors or the direction or the cinema-photography, but when you leave this movie what you want to do is go directly to a bookstore and buy a copy of “Howl” so that you can do some literary interpreting yourself; and then you want to go back and see the movie again (as I did) in the hope that this time you have something of your own to offer. See you there. »

Cela vous donne le goût à vous aussi de retourner lire quelques poèmes de Ginsberg, un bon ami de Jack Kerouac d'ailleurs; alors lire un ou deux Kerouac, celui-là même qui a identifié et nommé la beat generation, cette époque essentielle de la littérature américaine.

L'autre document concerne la dernière crise financière et le sauvetage multimilliardaire du gouvernement pour sauver les multimilliardaires afin de maintenir l'industrie et le niveau de confiance des consommateurs. Cette fois, Bernstein, - J.M. Bernstein is University Distinguished Professor of Philosophy at the New School for Social Research and the author of five books. He is now completing a book entitled “Torture and Dignity - mêle Hegel à la dynamique économique américaine. Selon Hegel, sous le regard de Bernstein, le détournement de l'éthique sociale fausse toutes chances de correction de l'économie américaine:


«Hegel, of course, never directly wrote about Wall Street, but he was philosophically invested in the logic of market relations. Near the middle of the “Phenomenology of Spirit” (1807), he presents an argument that says, in effect: if Wall Street brokers and bankers understood themselves and their institutional world aright, they would not only accede to firm regulatory controls to govern their actions, but would enthusiastically welcome regulation. Hegel’s emphatic but paradoxical way of stating this is to say that if the free market individualist acts “in [his] own self-interest, [he] simply does not know what [he] is doing, and if [he] affirms that all men act in their own self-interest, [he] merely asserts that all men are not really aware of what acting really amounts to.” For Hegel, the idea of unconditioned rational self-interest — of, say, acting solely on the motive of making a maximal profit — simply mistakes what human action is or could be, and is thus rationally unintelligible. Self-interested action, in the sense it used by contemporary brokers and bankers, is impossible. If Hegel is right, there may be deeper and more basic reasons for strong market regulation than we have imagined.»

Ces quelques mots donnent l'appétit de passer en revue tout l'article. Quelle fascinante théorie que de penser que les financiers puissent accepter un jour de voir que leur avidité à cueillir tous les fruits du tourbillon monétaire appelle sa propre destruction.

Mais le point que j'aimerais faire ressortir ce soir est plutôt la puissance de ce quotidien. De toute évidence, des sommités de toute la planète semblent toujours prêtes à fournir, pour un prix j'en suis absolument convaincu, leur texte d'une page allant jusqu'au dossier de plusieurs pages étalé sur plusieurs éditions successives. Le pouvoir de l'argent rencontre toutefois ici le pouvoir de la réflexion. Voilà toute la beauté du dilemme: Hegel dirait-il que la capacité monétaire du NYT de payer un si grand nombre d'intellectuels à l'échelle mondiale sert cette fois la consolidation d'une éthique saine et rigoureuse?

Personnellement, j'y crois.