8 septembre 2010

Remettre les pendules à l'heure



La mort remet les pendules à l'heure. Un ministre meurt; des tas de ministres et de députés se mettent à pleurer.

Il a donné sa vie pour la politique : quelle connerie; il aurait dû la donner à sa famille. Non? À ses amis? À la limite, à lui-même! Donner sa vie pour son travail, pour son ambition. Qu'est-ce que cette magnanimité? Ce sacerdoce au service public. Cet apostolat pour accomplir, pour sauver, pour remplir sa mission?

Je me souviens la première fois où j'ai éclaté en sanglots à la perte d'une personne qui venait de mourir, une consoeur. Je l'aimais bien; je ne la connaissais pas vraiment; je la côtoyais, la saluais, lui souriais, échangeais quelques mots avec elle. J'entre au travail le matin; je vois la note de service sur le babillard de l'entrée; je me retourne et me dirige le plus rapidement possible vers mon bureau; je déverrouille; j'ouvre; je ferme; et voilà, les gros sanglots. En rétrospective, ce que je pleurais n'était pas tellement la perte de cette consoeur, c'était ma pendule qui se mettait à l'heure : Y a-t-il quelque chose que tu devrais faire avant que tu partes les pieds devant, toi? Et la commande est tellement lourde, que tu mets ça de côté au plus vite. Mais le coup est donné tout de même. Le tic tac est parti. Il ne s'arrêtera plus.

Léo Ferré
NE CHANTEZ PAS LA MORT
Texte de Jean-Roger Caussimon

Ne chantez pas la Mort, c'est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit
Les gens du "show-business" vous prédiront le "bide"
C'est un sujet tabou... Pour poète maudit
La Mort!
La Mort!
Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la soeur de l'amour
La Mort qui nous attend, l'amour que l'on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort
La Mort...

La mienne n'aura pas, comme dans le Larousse
Un squelette, un linceul, dans la main une faux
Mais, fille de vingt ans à chevelure rousse
En voile de mariée, elle aura ce qu'il faut
La Mort
La Mort...
De grands yeux d'océan, une voix d'ingénue
Un sourire d'enfant sur des lèvres carmin
Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue
Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin
La Mort
La Mort...

"Requiem" de Mozart et non "Danse Macabre"
(Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns!)
La Mort c'est la beauté, c'est l'éclair vif du sabre
C'est le doux penthotal de l'esprit et des sens
La Mort
La Mort...
Et n'allez pas confondre et l'effet et la cause
La Mort est délivrance, elle sait que le Temps
Quotidiennement nous vole quelque chose
La poignée de cheveux et l'ivoire des dents
La Mort
La Mort...

Elle est Euthanasie, la suprême infirmière
Elle survient, à temps, pour arrêter ce jeu
Près du soldat blessé dans la boue des rizières
Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu
La Mort
La Mort...
Le Temps, c'est le tic-tac monstrueux de la montre
La Mort, c'est l'infini dans son éternité
Mais qu'advient-il de ceux qui vont à sa rencontre?
Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter
La Mort
La Mort...

La Mort?...

Je plains sa compagne et ses enfants. Ce père a préféré la politique jusqu'à sa tombe. Il les adorait sans doute. Mais le temps qu'il ne leur a pas donné, il ne reviendra pas. Le service national qu'il recevra arrive trop tard; il y en a un qui aurait dû lui botter le derrière pour qu'il rentre chez lui. Ah! Les missionnaires. What a strange breed!

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