21 septembre 2010

Prendre de la distance...


Igor va gruger Terre-Neuve dans quelques heures. Le puits BP dans le Golfe du Mexique est mort. Dans les journaux, les goélands quoi-quoi-quooooiiiii mangent les frites qui traînent autour des tables. À la télévision, Crésus signe l'insignifiance avant de quitter dans sa limousine pour le nouveau Verdun, politiquement nominé...


Prendre de la distance : c'est une prescription.
« Les religions sont à Alexandrie aussi variées que les négoces : la qualité du produit est plus douteuse. Les chrétiens surtout s'y distinguent par une abondance de sectes au moins inutile. Deux charlatans, Valentin et Basilide, intriguaient l'un contre l'autre, surveillés de près par la police romaine. La lie du peuple égyptien profitait de chaque observance rituelle pour se jeter, gourdin en main, sur les étrangers; la mort du boeuf Apis provoque plus d'émeutes à Alexandrie qu'une succession impériale à Rome. Les gens à la mode y changent de dieu comme ailleurs on change de médecin, et sans plus de succès. Mais l'or est leur seule idole : je n'ai vu nulle part solliciteurs plus éhontés. Des inscriptions pompeuses s'étalèrent un peu partout pour commémorer mes bienfaits, mais mon refus d'exonérer la population d'une taxe, qu'elle était fort à même de payer, m'aliéna bientôt cette tourbe. » (Yourcenar, Les mémoires d'Adrien, page 208)
Le grand empereur romain Hadrien catapulte son pouvoir sur les peuples. Sa puissance ignore les réserves, les modérations; elle fouette le temps pour le tenir en laisse malgré la conviction intime qu'il la rattrapera comme il rattrape tout.

Il faut bien se rabattre sur le gris automnal et cesser de lire l'actualité. Le soleil reviendra sans doute. Le débat de la dépolitisation populaire, du « je-m'en-foutisme » au cynisme pur, est périmé. L'exécution de la classe politique sonne. On a parlé régulièrement du manque de relève. Tant et aussi longtemps que l'âge appuyait très fortement l'image, on pouvait digérer la situation et la confronter avec l'espoir que peut-être un certain nombre de personnages plus jeunes accepteraient de prendre la place. Malheureusement, à regarder et entendre la superficialité affichée par ces plus jeunes qui arrivent avec les mêmes attitudes, les mêmes préjugés, la même ignorance de l'histoire et de la culture, c'est encore plus décourageant. Ces jeunes futurs fauteuils de ministère ne font que relever les mêmes vieux thèmes. Des MP3 répétant les mêmes rengaines avec les mêmes moyens. Pas surprenant que les médias s'en régalent. Vivre de scandale en scandale, ça vend...
« Ce IIe siècle m'intéresse parce qu'il fut, pour un temps fort long, celui des derniers hommes libres. En ce qui nous concerne, nous sommes peut-être déjà fort loin de ce temps-là. » (Yourcenar, Carnets de notes de Mémoire d'Hadrien, page 342)
Je lisais avec une profonde nostalgie les tirades de Pierre Vadeboncoeur dans La ligne de risque l'autre jour. C'est vite passé au beau risque et à la prochaine fois... Comme si on pouvait rentrer le bébé avorté, refaire la grossesse et retourner à l'obstétrique pour une renaissance. On va appeler les moines du Tibet! Vadeboncoeur, Bourgault, Miron, Ducharme, Aquin, ils sont morts avant de crever d'ennui; tant mieux pour eux. On parle beaucoup de la crise d'octobre depuis quelques semaines. Il y avait eu une unanimité à l'Assemblée nationale pour dénoncer cette apparente insurection; Laurin en tête. Ça fait une belle jambe aux partisans de la liberté politique. En 70, un mouvement s'est mis en branle qui n'avait aucun besoin de ces quelques felquistes pour atteindre l'indépendance. Le peuple la voulait profondément; il aurait fallu un appui. Le fédéral lui a donné juste ce qu'il fallait de répression et de médiatisation pour écraser l'oeuf et le remplacer par un test-tube. On voit ce que cela donne. Un chaos épouvantable. Les scissions sociales sont devenues des gouffres; les professions, des chasses gardées; l'ambition, un portefeuille garni; l'éducation, un mythe; la culture, une chaudière.



Bourgault n'était pas Hadrien. Vadeboncoeur pas Lucius. À quoi sert-il de prendre ses distances? Combien de gants blancs faut-il pour affirmer son pouvoir?

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