29 septembre 2010

Ma mitrale a un an !


Le 29 septembre 2009, je quittai ma chambre du CHUM sur une civière et cheminai sous les ticticitics jusqu'au bloc opératoire. Le chirurgien cardiaque m'y attend. Il me glisse quelques mots de bienvenue; il sourit; il s'éloigne fermement; une infirmière s'approche, agrippe la civière, la pousse vers une porte que nous traversons. Je me retrouve dans la salle opératoire; une dame s'approche, me désinfecte l'avant-bras, me sourit brièvement, insère un régulateur, injecte un somnifère...

Plusieurs heures plus tard, des voix me réveillent. Autour de moi, des vitres, des appareils de toutes sortes. Je ne ressens rien.

Le 29 septembre 2009 n'a que quelques heures. Cette journée n'existe pas vraiment. Un homme m'a ouvert comme on ouvre un animal, un chien, un gibier. Il a scié le sternum à l'épée, en a maintenu les moitiés avec des forceps. Il a arrêté le coeur, a transféré la vie dans une pompe électrique pour quelques heures. Il a entaillé le muscle; couronné l'aorte; taillé la valve; cousut le ligament. Il a fermé le coeur. Il a réactivé le coeur. Il ferma la cage thoracique. Il m'a remis entre les mains des infirmières. J'étais mort; je suis revenu. Je n'ai rien vu, rien senti... un trou.

Dans l'attente immédiate de cette chirurgie, j'eus l'occasion d'écouter sur France Culture un enregistrement
d'Alexandre Bande, coïncidence intéressante, décrivant le destin des coeurs des rois sous la dynastie médiévale des Capétiens. Je vous invite à écouter cette conférence. À l'époque, je me souviens qu'elle m'avait touché de manière tout à fait particulière. Quand le coeur devient aussi concrètement un simple organe biologique à réparer, tout symbolisme qu'il puisse supporter prend dès lors une valeur bien particulière. Que les Capétiens fassent bouillir dans de grands bassins les corps des souverains décédés pour pouvoir les désosser et en retirer le coeur, et moi qui venait de me le faire couper puis recoudre, la pompe qui me battait dans la poitrine me pénétrait dans le cerveau par une porte étrange pour offrir un paysage transformé.

Quelques semaines avant l'intervention, j'avais déjà fait le rêve que le chirurgien enlevait son gant de latex et avait posé sa main nue sur mon coeur. Vision mythique de l'imposition de la main du dieu qui guérit j'imagine. Cette expérience m'amène à vivre dorénavant avec cet objet physique qui peut faire l'objet d'une réparation rendue presque banale par la chirurgie moderne, mais aussi avec le miracle d'un arrêt du coeur pour pénétrer inconsciemment à l'intérieur d'un univers creux où les esprits se disputent les légendes, là justement où nous pourrions retrouver ces Capétiens fascinés par le coeurs de leurs mort; Puis, finalement, un courant électrique pour relancer la machine.

N'aller surtout pas croire que je me prends pour Le monstre de Frankenstein, bien que j'avoue que la mort me fait encore moins peur qu'avant.

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