29 septembre 2010

La Shoah: Qui est mort?


La Vie des Idées publie cette semaine un livre de Nicolas Mariot et Claire Zaic, Face à la persécution, qui, selon les experts, risque de redéfinir le portrait des victimes de la Shoah.

« La réponse des autorités, qui tombe quelques jours plus tard, ne l’est pas moins : “Née, d’après vos déclarations mêmes, de parents d’origine juive, vous appartenez à la race juive.” Conséquence : la requérante doit se déclarer comme telle à la mairie de Lens. Comme le montre cet exemple, l’administration est complètement indifférente aux “mots pour le dire” et les listes établies en 1940-1941 ont un caractère fourre-tout, les pseudocritères édictés par les statuts des Juifs étant de toute façon commandés par l’antisémitisme. Cette dame apprend alors à ses dépens qu’une logique à laquelle elle n’est pas habituée vient de se mettre en place : un Juif est un Juif, et le sentiment patriotique et l’intégration n’y changent rien. Le processus d’extermination commence, à Lens comme partout en Europe, par l’identification des futures victimes. »

Jamais, n'est remis en question la tragédie humaine que consiste ce génocide. Les auteurs, toujours selon le commentaire de Ivan Jablonka entrevoit des biais troublants sur la sélection opérée pour identifier les « Juifs ». Les procédures d'identification de la IIIe République ne furent pas suivies à la lettre, tel que le gouvernement de Vichy l'avait mentionné.

« La réponse des autorités, qui tombe quelques jours plus tard, ne l’est pas moins : “Née, d’après vos déclarations mêmes, de parents d’origine juive, vous appartenez à la race juive.” Conséquence : la requérante doit se déclarer comme telle à la mairie de Lens. Comme le montre cet exemple, l’administration est complètement indifférente aux “mots pour le dire” et les listes établies en 1940-1941 ont un caractère fourre-tout, les pseudocritères édictés par les statuts des Juifs étant de toute façon commandés par l’antisémitisme. Cette dame apprend alors à ses dépens qu’une logique à laquelle elle n’est pas habituée vient de se mettre en place : un Juif est un Juif, et le sentiment patriotique et l’intégration n’y changent rien. Le processus d’extermination commence, à Lens comme partout en Europe, par l’identification des futures victimes. »

Nous pouvons d'ores et déjà poser la question de l'efficacité de l'identification des « Juifs ». Les responsables se fiaient à des informations peu fiables, ou, du moins, très interprétatives. Certaines personnes profitaient de la situation pour dénoncer d'autres personnes dérangeantes pour elles; jusqu'à aller à dénoncer un compétiteur commercial.

« Pour déterminer la cohorte des “Juifs de Lens en 1939”, trois possibilités s’offraient aux chercheurs : l’utilisation des sources communautaires, à dominante religieuse et sociale, qui sont malheureusement restées fermées; la méthode onomastique, que les auteurs récusent au motif qu’il n’existe pas de patronymes exclusivement juifs; le recours aux listes de Juifs établies pendant et après la guerre. Dans leur scrupuleux “retour sur enquête” qui clôt le livre, Nicolas Mariot et Claire Zalc détaillent la manière dont ils ont constitué leur base de données. Sur les listes établies pendant la guerre (à des fins de persécution) et après la guerre (à des fins de réparation ou de mémoire), 926 noms sont mentionnés au moins une fois. À ces “victimes lensoises” ont été adjoints 65 “non déclarants non identifiés”, c’est-à-dire des Lensois inconnus des autorités “en tant que Juifs”, par exemple des proches, retrouvés dans les dossiers de naturalisation et dans les feuilles de témoignage de Yad Vashem. »

Nous réalisons donc que le IIIe Reich avait encouragé des compilations rapides pour déménager rapidement les individus ciblés par les communautés. Au-delà des erreurs, la grande pertinence de cette étude est le fait de choisir un échantillon relativement petit et concentré dans un secteur géographique précis. Cette procédure pose la problématique de façon nouvelle; elle soumet sociologiquement une dynamique habituellement raciale ou militaire.

« Au-delà de la gageure proprement archivistique, ces réflexions risquent de déboucher sur une discussion aussi ardue que vaine : non seulement les nazis ignorent qui est juif et qui ne l’est pas, d’où des pseudodébats tout au long du IIIe Reich, mais au fond personne ne le sait, et ceux qui se sentent juifs, aujourd’hui comme hier, savent bien qu’il y a mille manières d’être juif. À la question “qu’est-ce qu’un Juif lensois?”, les auteurs ont choisi de répondre : c’est un individu que les autorités de 1940 considèrent comme tel et, en conséquence, s’efforcent de broyer dans leur machine de mort. Ce choix méthodologique est parfaitement légitime, surtout quand il débouche sur un livre pionnier et des résultats probants, ouvrant la voie à une histoire sociale de la Shoah encore à écrire. »

Tous les italiques sont des citations du commentaire écrit par Ivan Jablonka sur le site de Idée.fr à la date[28-09-2010]

Ce livre, qui pose la dynamique de l'identification civile, questionne toutes les sociétés et chaque identification que celle-ci fait ou pourrait faire. Les divergences ethniques deviennent des préoccupations de première ligne et servent souvent de moteur à des réflexions médiatiques et populaires. La population s'en sert régulièrement pour sortir de son mutisme grégaire pour faire entendre des stéréotypes sans fondement véritable. L'approche de Mariot et Zalc ouvre la porte, de toute évidence sur la Shoah, mais, dans une plus grande ouverture, aussi sur le traitement des identifications nationales auxquelles nous nous trouvons tous confronter.

Aucun commentaire: