2 novembre 2010

L'ombre de l'Oeuvre au noir


L'alchimie engendre les mystères. De la plus obscure officine de quelque clerc un peu trop curieux pour son époque, le transfert de la matière physique à la pulpe cérébrale s'enclencha. Comme le veut la coutume depuis la conquête de la province gauloise par les hordes gothiques du nord et de l'est, la France nouvelle se tourne vers le sud civilisateur pour faire ses armes. Les Arabes connaissaient bien l'alchimie; de multiples traités en font foi; ils en traduiront même quelques-uns pour le profit des peuples qui oeuvrent en latin. Robert de Chester, un érudit anglais, traduisit un traité d'alchimie de l'arabe au latin. Les Français sautèrent sur l'occasion pour effiler le plomb. Marguerite Yourcenar, encore elle, vous me direz, j'en fais une obsession, nous entraîne dans les dédales médiévaux de la science première, la préscience, celle où l'âme compte autant que le corps.

L'Oeuvre au noir est la première étape; la seconde étant la blanche et la troisième la rouge. Zénon, le héros du roman, ne peut contredire ses convictions. Il en mourra. Je trace depuis août, pour mes étudiants, le chemin de la littérature française depuis le Moyen Âge. J'ignore à quelle étape se trouvent mes connaissances; je ne saurais dire non plus à quel niveau se trouve mon enseignement. J'aimerais penser que j'en suis rendu au rouge; que les mots que je leur donne les pénètrent plus profondément qu'à mes débuts. Toutefois, je constate que mes convictions, elles, se consolident d'année en année : les étudiants me suivent dans la mesure où je les inspire, dans le sens latin du terme, que je leur insuffle une curiosité intellectuelle. Mais par quelle recette créer cette condition de disponibilité au savoir? Voilà l'alchimie! Voilà la clé très élusive du professorat.

Devant l'incertitude, que faire? Comme Zénon, face à ses détracteurs, il faut croire. Comme Yourcenar, qui a ressuscité l'alchimiste et Hadrien, l'empereur romain, après des dizaines d'années de recherche, il faut poursuivre jusqu'à l'Oeuvre, jusqu'à ce que les étudiants passent du noir de l'inconnu, au blanc de la lumière, puis, finalement, au rouge de la connaissance. Ce faisant, l'ombre de l'absence est remplacée par l'ombre du souvenir, et, s'il y a souvenir, il y a nécessairement connaissance. C'est cette conviction qui fait reprendre année après année le même sentier, toujours le même sentier, qui finit par faire penser au pèlerinage de Compostelle, au cours duquel le but et le paysage ne varient que bien peu, mais où des pèlerins néophytes sans cesse se renouvellent et cheminent sans vraiment réaliser que le chemin existe depuis des millénaires.

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