29 septembre 2008

Argenta


Un long voyage seul dans la Honda Civic. Parti tôt le matin, laissant femme et enfant qui viendrait plus tard en avion. Le premier arrêt prévu est Pembroke, une centaine de milles passé Ottawa. Une journée sans histoire. Le Civic est neuve; quelques centaines de kilomètres tout au plus. La journée est ensoleillée. On est fin juin; trente ans et sans emploi. Je viens de terminer un contrat d'assistant de recherche; je termine la rédaction d'un mémoire de maîtrise; j'ai une fille de deux et demi... Important les demis à deux ans! Ma conjointe et moi avons décidé, en coup de tête, d'accepter un poste d'enseignant à Argenta Friend School, à Argenta, en Colombie britannique. Argenta est une petite communauté d'une centaine de personnes pour la plupart des Quakers, des membres de la Society of Friends. Ils sont venus de l'Ouest, de Californie, les Stevenson, les Pollards, les Vallentine, les Farleys, pour établir une communauté de survivance dans la nature et éviter aussi la participation à la guerre de Corée: 1951. Ils avaient choisi ce site à cause de la vieille route de prospection; il y avait déjà eu une explotiation minière restée très rudimentaire à cet endroit. Ils avaient aussi aimé la présence du lac Kootenay; idylique les Rocheuses, le lac, les "flats", le profond ravin du Suicide Trail, et les deux autres communautés à quelques dizaines de milles, les Doukhabors à l'est et les hillbillies à l'ouest.

Le confort: auto neuve; seul à bord; quelques snacks à droite comme passger; mes cassettes rock progressif nettement rangées. Pink Floyd, Dark side of the moon. Hum! Sourire. En fin d'après-midi, j'entre dans le parc provincial Algonquin. Il vente sec sur le bord de Coon Lake. Je plante ma tente. Je soupe d'un morceau de miche acheté en route, de vieux cheddar et de ma bière. Le lac est devant moi; le soleil se couche à ma gauche; je m'appuie sur mon havresac de surplus d'armée. À côté, les voisins s'émoustillent un peu; des enfants courrent sur la plage. Je lis Ducharme, l'Océantume. Comme un satellite en espace, je regarde, j'orbite autour des gens. L'étrangeté d'être parti, c'est la distance qui s'établit entre soi et les autres. Une sorte de déresponsabilisation.

21 h 00. Je plie bagages. Je ferme le mollusque. Tout mon univers sur 4 mètres carrés. J'étends mon sac de couchage. Baisse la fermeture à glissière. Clos la tente! Relève les pans des fenêtres pour voir le lac. Je coule dans le coton brossé. Je sais bien que je ne dormirai pas. les mains sous la tête, je souris. Les autres s'en vont se doucher, se brosser, évacuer et torcher les mômes. Puer à peu, on n'entend que la nature: vagues qui lèchent la grève, huard qui chante, vent dans les branches. Iode Ssouvie... Il faut lire Ducharme au moins une fois dans sa vie. Il fait partie de la littérature psychédélique qui suivit de près la cassure du Refus global.

Dans ma tente, un grand soupir froid. Je serre les jambes dans mon sac. Le nylon froisse. Je fixe le toit, puis le lac. Dans une bulle, comme un foetus, couvert de toile à entendre, à chercher du son. Pas de cordon, pas de liquide amiotique; un canevas pour dessiner du passé; une humidité pour demain.
J'ai raté mon entrée sur le marché du travail. Je suis en train de parcourir le purgatoire. À la recherche du futur. Pour aujourd'hui. Seul. Comme d'habitude. Volà quelques mois, je me suis barricadé comme un enfant dans le bureau à la maison. Je ne sors jamais du placenta. Le nylon crisse. Je n'ose jamais. Toujours la sécurité. Dehors, c'est le silence. Il n'y a que dans ma tête que ça crie. Que ça crie fort. Conversation imaginaire que j'entretiens pour éviter l'absence. J'attends patiemment et calmement le matin, le lever du soleil, les oiseaux... et la replacotage des tentes voisines.

Vers Argenta, le paradis de 1981.

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