26 octobre 2010

Zola et le Louvre

Je ne pensais jamais retrouver mon ami Zola entre les murs du Louvre. Pourtant, il y était. En entrant dans le salon du secrétariat d'État, le luxe outrageant me rappela la couverture du Folio classique «Son excellence Eugène Rougon», oeuvre de Charles Giraud, Salle à manger de la princesse Mathilde.

«L'entrée dans la salle à manger fut d'une grande pompe. Cinq lustres flambaient au-dessus de la longue table, allumant les pièces d'argenterie du surtout, des scènes de chasse avec le cerf au départ, les cors sonnait l'hallali, les chiens arrivant à la curée. La vaisselle plate mettait au bord de la nappe un cordon de lunes d'argent; tandis que les flancs des réchauds où se reflétaient la braise des bougies, les cristaux ruisselants de gouttes de flammes, les corbeilles de fruits et les vases de fleurs d'une rose vif, faisaient du couvert impérial une splendeur dont la clarté flottante emplissait l'immense pièce [...] C'était une approche presque tendre, une arrivée gourmande dans un milieu de luxe, de lumière et de tiédeur, comme un bain sensuel où les odeurs musquées des toilettes se mêlaient à un léger fumet de gibier, relevé d'un filet de citron.» (Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon, page 192)


Alors que Paris de gauche, Paris syndicaliste, déambulait dans les grandes avenues pour dénoncer les mesures du Gouvernement pour modifier les règles de retraite des travailleurs, cette entrée dans cette luxueuse orgie qui fut début XXe, le quotidien de la classe dirigeante de la France me secoua et colla à mes pensées l'auteur du J'accuse et de la Terre, et de l'Assomoir. Il avait aussi placé les pièces avec La Fortune de Rougon et la Curée. Cette oeuvre monstrueuse, digne des dénonciations de Jaurès, prenait vraiment tout son sens. Quelques heures auparavant, quittant le grand boulevard Germain des Prés, contournant les cinq étoiles et les Maserati, sur François Ier, je passai devant Dior, Gauthier et Cartier pour ne nommer qu'eux en me disant que les manifestants se trompaient sans doute de cible et de rue. Les casseurs devraient laisser les autos des citoyens des boulevards tranquilles et se promener dans les arrières où se trouvent leurs véritables despotes.

Quand nous dérivons parmi les artéfacts de l'histoire, notre vision se trouble parfois; elle se dédouble pour coller la réalité muséale à celle réelle du quotidien. C'est exactement ce que Zola a fait: il nous a promenés de roman en roman à travers une société où le riche abusait et où le pauvre bouillait dans une marmite dont le couvercle sautillait de plus en plus fortement. Les représentants de l'UMP répètent à toutes les occasions que le mouvement de grève s'essouffle. Il a raison. Mais la colère, souvent sous la forme du cynisme, elle, ne décolère pas. Je lisais aujourd'hui que la France est suivie par les autres membres de l'Union qui veulent faire le même ménage dans les retraites. Il ne faudrait pas que les autres chefs d'État oublient la force phénoménale que la résistance française avait prise durant Vichy. Tout comme d'ailleurs, la Maison blanche devrait se souvenir de Paul Revere et du Tea Party. La gangrène n'attaque jamais le peuple; elle ronge toujours les profiteurs de quelque acabit qu'ils soient.

En me promenant dans le Louvre, en étudiant les empereurs romains, les appartements royaux, les baudruches et les volutes en plâtre de la Directoire, ce sont les arches et les énormes blocs de schistes de la fortification médiévale de ce monument qui m'ont fait conclure que tôt ou tard ce n'est pas la réflexion d'un événement sur un support artistique qui change le monde, c'est la substance qu'il transcende. En effet, la Vénus de Milo n'est finalement qu'une oeuvre plutôt banale et relativement mal foutue qui doit sa gloire à des circonstances fortuites, tout comme la Joconde, loin d'être la meilleure toile de l'artiste doit aussi sa célébrité à un concours de circonstances; son sourire béat fait penser qu'elle réalise bien la chance qu'elle a d'avoir été au bon endroit au bon moment...

Tel n'est pas le cas pour la Victoire de Samothrace: devant cette sculpture, il faut s'incliner. Elle force l'imaginaire au respect. C'est Rougon devant Lantier sans l'ombre d'un doute sur le vainqueur du duel.

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