28 octobre 2010

La magie de l'illusion



Tout n'est qu'illusion. N'importe quel magicien vous le dira. Tout n'est qu'illusion. Mais où se trouve l'illusion?

J'observai, la semaine dernière au Louvre, le buste d'Adrien, empereur de Rome. Vous savez déjà mon respect pour la grande auteure française Marguerite Yourcenar. Bien jeune, j'avais goulument absorbé l'Oeuvre au noir. Je ressentis quelquefois une certaine langueur à la lecture des Mémoires d'Adrien, bien que ses aventures me tinrent aussi captivé qu'un Malraux sur la Voie Royale en pleine brousse Thaï. Alors que je déambulais dans la section de la Rome antique, un buste attira mon regard: sa fiche d'identification arborait un numéro de référence au médiaguide pendant à mon cou. Juste avant de pitonner le numéro, en caractère gras rouge, je m'approchai pour lire le nom de ce personnage: Hadrien (76 à 138). J'avais sous les yeux ce personnage romanesque d'abord à mes yeux. Une barbe à la philosophe grecque que je n'avais qu'imaginée jusque-là correspondait parfaitement à la description de Yourcenar: sa volonté de mieux comprendre et absorber les principes des philosophes de la Grèce lui fit vouloir porter la barbe, chose absolument inusitée pour un empereur romain, qui, tous, avaient été rasés de près. Pas de surprise là; je m'attendais à cette présence.

Toutefois, au gré de mon observation et de l'écoute de  la discussion qu'en faisant une spécialiste de l'Antiquité sur le médiaguide, je fus captivé par cette tête massive. Je trouvai ironique cette pensée qui me vint au sujet de son regard, considérant que ce buste fit partie de ce nouveau procédé dans les sculptures romaines de ne plus peindre les pupilles, mais de faire un trou pour indiquer encore plus nettement la direction. Cet Hadrien avait non seulement la tête tournée vers la droite, mais ses yeux allaient eux aussi vers la droite. La posture prenait un rythme de spirale. Symboliquement, connaissant le recours aux superstitions des peuples de l'Antiquité, cette double droite éloigne systématiquement l'empereur du «sinister», le côté gauche donc de la mort et du mal, pour le camper solidement du côté «dexter», du droit et, incidemment, de la victoire. Mon cerveau se mit rapidement à créer quelques connexions avec cet homme que j'avais sous les yeux et celui que j'avais connu grâce au roman. Je mesurai la distance entre la réalité de la sculpture qui voulait, on la sait grâce à l'époque où ce marbre fut façonné, rendre avec une exactitude scrupuleuse tous les traits du sujet et mon illusion de cet Auguste.

L'illusion était maintenant isolée. Je pouvais la confronter. Je l'enrichis. Je suis retourné vers le roman avec une nouvelle information. Vous me direz que ce n'était que paresse de ne pas avoir pris la peine d'aller, comme vous le ferez ici, consulter une image de ce buste. Je vous répondrai que l'effet n'est pas le même. L'image, tel que vous pouvez l'étudier ci-haut, apporte des indices, mais ne touchera jamais à l'holisme du personnage. Le sculpteur, au-delà de la parole, permet au personnage de transpirer sa vie, de prendre forme corps et âme. L'illusion de la noirceur se colore. Dès lors, où au juste retrouve-t-on cette illusion maintenant? Avant la sculpture, elle se situait au cerveau. Le seul support disponible était au niveau du mot, de la parole, d'un texte qui tentait de proposer une vision, toujours abstraite dans sa substance, d'un homme. À partir du moment où les yeux ont fait parvenir au cerveau une référence concrète, la donne change. L'illusion fait un va-et-vient avec la cible. Elle joue selon un triangle de signifiant: le mot, le marbre et la réalité historique. Yourcenar devient le croupier qui distribue les cartes; celles-ci sont organisées selon le jeu privilégié; puis, les combinaisons commencent à s'orchestrer selon les événements.

Les mille et une illusions optiques procèdent du même ordre: observation, information, adaptation. On regarde un arrangement; on cherche l'information pertinente; on explique la réaction provoquée par la friction fiction/réalité. La magie opère dans la mesure où les données paraissent crédibles ou, du moins, suscitent un engagement de la part des individus disponibles. L'oeuf et la poule: pas de magie, pas d'illusion; pas d'illusion, pas de magie!

Tantôt, je retournerai vers le roman pour lire quelques aventures supplémentaires. J'ai hâte; je verrai un Hadrien sous une magie différente. Il fait dorénavant image et vérité.


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