10 octobre 2010

Un mot dans l'univers...

Je marchais avec Emma, ma petite de quatre ans le long de la pinède de mon collège. La journée avait été longue. J'avais cueilli Emma à la garderie à la toute fin de la journée. Nous marchions donc avec chacun notre journée dans le corps quand soudainement, j'aperçois ces champignons colorés qui couvrent le sol jonché d'épines.

Voir ces éponges terrestres surgir du sol représente toujours une fête. Je n'y connais absolument rien en champignon sauf que les schtroumpfs y demeurent et que, parfois, ils peuvent vous faire prendre de bien curieuses couleurs. Je les trouve beaux et intrigants. Un matin, voilà quelques années, sur le sentier asphalté menant au portique central du Collège, je croisai un phénomène totalement surprenant: un champignon, tout ce qu'il y a de plus ordinaire, s'était frayé un chemin en craquant le bitume. Je courus voir le responsable des communications pour lui emprunter la caméra du service pour croquer cette image. Je ne l'ai plus; perdu dans le fouillis de mes archives; pourtant, c'est bel et bien la vérité. Comme le lièvre et la tortue, j'en conclus; lentement mais sûrement, le champignon a forcé son chemin pour voir le jour malgré la grande résistance du matériel auquel il s'attaquait. Fascinant! Cela en dit beaucoup sur les phénomènes qui nous entourent: soit on les voit, les remarques, soit on passe outre sans se soucier de ce qui se passe. La nature nous offre des milliers de ces circonstances. La plupart du temps, nous passons outre: pas l'temps, pas l'intérêt.

Un faucon pèlerin attaqua une tourterelle triste l'automne dernier en face de la porte-fenêtre du salon. Il est arrivé à la vitesse de l'éclair, a fondu sur elle pattes devant toutes griffes sorties. D'un coup d'ailes, il s'est déplacé à quelques mètres d'elle; il la regarda; deux ou trois pivotements de tête; il fixa ses yeux sur elle. Elle ne bougeait pas; je la voyais respirer; elle se remit sur ses pattes doucement; elle chancelait; ses yeux dans les yeux du faucon ne contenaient que du vide. Le monde animal ne connaît pas la souffrance, ni la peur. Ses membres seraient de parfait fataliste. C'est précisément ce que je m'imaginais voir dans les billes noires de la tourterelle. Le faucon bougea ses pattes: la gauche, puis la droite; une seule fois. Un coup d'ailes: en un mètre à peine, il grimpe à deux mètres dans les airs et pique une nouvelle fois sur la victime. Je ne la vois plus; elle disparaît sous les plumes grises et brunes de ce chasseur voilé. Il se recule à nouveau d'un saut de côté; à peine à quelques pouces. La tourterelle ne détourne pas la tête pour regarder cette masse derrière elle; elle est couchée, soumise. Il se reprend: saute, l'agrippe, jambe droite, les puissantes pinces à la vue dans le plumage, dans un sur place violent pendant lequel il la soulève à trois ou quatre reprises et l'assène au sol. Il se recule à nouveau. La tourterelle est étendue; sans vie semble-t-il. Il donne quelques coups de bec. Aucun mouvement. Il attend une trentaine de secondes. Il la saisit à nouveau. Il déploie sur longues ailes, bat l'air dans un bruissement sonore et s'élève rapidement vers le faîte des arbres.
Dans le parc national de la Mauricie, un après-midi de marche solitaire, mon intervention sauva une grenouille. De légers crissements attirent mon attention. Je penche la tête et aperçois une moitié du corps d'une grenouille qui bouge curieusement de gauche à droite. Je m'accroupis pour voir de plus près pour remarquer qu'elle a une longue queue, une longue queue qui ne lui appartient pas. En déplaçant les branchages, je vis la mâchoire désarticulée du reptile possédant déjà les deux jambes de l'amphibien. Pris de dégoût, je frappai du talon de ma botte avec toute la violence dont j'étais capable, le corps émaillé; immédiatement, dans un fouet rapide et court, elle cracha sa proie et tenta de se défaire de mon talon. En quelques secondes les deux avaient pris la fuite, la consommation en titubant quelque peu et le consommateur, à travers les herbes...
On tue, on sauve. La dynamique reste la même. La nature est immuable. Et j'en fais partie. Un article que je lisais l'autre jour mentionnait que nous, les humains, avons toujours, et encore aujourd'hui, souffert d'un orgueil incroyable, désirant gérer la destinée de la planète, et nous persuadant que nous pouvons modifier sa course évolutive. Une volonté universelle d'un petit rejeton pratiquement totalement minable à l'échelle de l'univers. Jean Rostand, dans l'homme, le présentait de façon superbe déjà en 1962:
«Nous parlons ici de l'Homme comme d'un produit quelconque de la nature [...] Ce message de la biologie que nous nous efforcerons de transmettre aussi simplement et fidèlement que possible, chacun est libre de la prendre tel quel, ou de lui donner le prolongement philosophique qu'il juge convenable. Mais nul ne peut le refuser, le récuser, et ceux-là mêmes qui pensent que l'Homme est autre chose que ce qu'y reconnaît la science ne peuvent manquer de convenir qu'il soit aussi cela [...] Sonc, pour le biologiste, l'homme est un animal, un animal comme les autres [...] Son espèce n'est que l'une des huit à neuf cent mille espèces animales qui peuplent actuellement la planète [...] Du point de vue matériel, l'humanité tout entière ne représente que bien peu de chose dans l'univers: le protoplasme humain figure pour 100 millions de tonnes sur une terre qui en pèse six sextillions, et la terre elle-même n'est qu'une des neuf planètes de notre système solaire; et notre soleil lui-même, un million de fois plus gros que la terre, n'est qu'une étoile médiocre parmi les 100 millions d'étoiles qui forment notre galaxie; et notre galaxie elle-même, si vaste que la lumière met plus de 100 000 ans à la traverser, n'est que l'une des millions de galaxies qui peuplent l'espace [...] L'humanité, âgée d'environ cent mille ans, durera-t-elle encore longtemps sur cette terre? Que le rideau s'abaissât avant la fin du drame, cela n'aurait d'ailleurs aucune importance, puisque, aussi bien, l'acteur est ici l'unique spectateur. Nulle part ailleurs, personne ne vivra la mort de la pensée humaine, et quand le dernier esprit s'éteindra sur la terre déserte, l'univers ne sentira même pas sur lui le passage d'une ombre furtive...» (Jean Rostand, L'Homme, pages 7,8,9 et 172)

Jean Rostand écrivait ces mots en 1942. Alors des bémols deviennent absolument nécessaires. Le simple fait que le professeur de biologie nous fit lire cet essai en Belles Lettres (Secondaire V) illustre tout de même une chose assez  magnifique: il fut une époque où les étudiants apprenaient un certain nombre de notions scientifiques qui n'étaient pas des formules débiles et des échanges chimiques tout aussi saturées de bêtises et d'automatismes délirants. Outre ces réflexions, il faut aussi dire que monsieur Rostand se présentait comme un eugéniste fondamentaliste. Il croyait fermement dans la purification génétique pour assurer un avenir meilleur à la race humaine, sinon une dégénérescence lente, mais certaine prendrait place. 1942, dois-je vous le rappeler. En fait, si nous comparons le nombre d'avortements thérapeutiques, nous pouvons donner au moins en partie raison à ce biologiste en ce qui concerne la purification raciale.... Troisièmement, son raisonnement sur la place de l'homme dans la nature s'applique parfaitement avec notre regard contemporain: nous sommes une minuscule poussière qui vivons sur une poussière tributaire d'un grain de sable.

Ayons l'honnêteté de dire que nous nous exaltons devant cette course au sauvetage de la planète, dans le seul but fort égoïste de sauver notre peau. Je ne vois pas en quoi quelques milliers d'années supplémentaires changeront quoi que ce soit?

À quand le révisionnisme polluant? Laissons-nous le loisir de vivre et prenons exemple sur la nature pour calibrer notre impact. Les loups ne tueront pas la planète même s'il dévorent les cerfs. La récupération soulage le gaspillage. Quand ils fermeront les grandes surfaces et que les ventes de garages cesseront, la Terre respirera mieux. Que les seuls objets qui s'accumulent sur terre soient des objets de culture! Nous mourrons tout de même, mais nous mourrons en homme.





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