4 octobre 2010

Le merveilleux monde du New York Times


Je lis abondamment un grand nombre de quotidiens auxquels je suis abonné. Je reçois chaque heure du jour une dizaine de mises à jour de ces quotidiens: France, Belgique, Suisse, Angleterre, Irlande, Canada, Brésil et, naturellement, de cinq ou six états américains. Plusieurs ne vont pas plus loin que la lecture du titre qui apparaît sur le courriel. Quelques-uns seront ouverts. Plus rares encore, un ou deux ou trois dans le lot ouvriront la porte au journal lui-même dans sa version électronique. Lors de mon congé, l'an dernier, cette lecture était devenue une terrible drogue: je passais plusieurs heures à dépouiller des dizaines d'articles, à littéralement dévorer l'information planétaire qui faisait souvent des boucles sur certains sujets chauds: la crise financière par exemple et les hordes d'éditoriaux et articles de fond qui débordaient de partout dans le monde. Depuis mon retour à la besogne, et au nécessaire plongeon littéraire que demande ma performance de professeur, mes préférés refont surface; parmi eux, l'onglet du New York Times est toujours sur le bureau, de 7 h 15 à 16 h 00 puis en soirée si je suis devant mon écran. Ce monument journalistique, cette immensité communicatrice, ne cesse de m'éblouir. Dans un film que je visionnais la semaine dernière, un des personnages jalousait un autre personnage pour le travail que lui avait offert le NYT. Ce pigiste, qui deviendra un régulier, qui sera remercié quelques années plus tard, n'est pas devenu un Pulitzer, il y a même laissé la majeure partie de sa vie professionnelle, vidé par les succubes quotidiennes des éditeurs. Mais ce monstre réconforte constamment ma foi dans le vrai journalisme. Je vous offre donc deux exemples de ce potentiel inépuisable, me semble-t-il, de Journal.

Le premier, par Stanley Fish, - Stanley Fish is a professor of humanities and law at Florida International University, in Miami, and dean emeritus of the College of Liberal Arts and Sciences at the University of Illinois at Chicago. He has also taught at the University of California at Berkeley, Johns Hopkins and Duke University. He is the author of 11 books, most recently “Save the World On Your Own Time,” on higher education. “The Fugitive in Flight,” a study of the 1960s TV drama, will be published in 2010 - raconte une aventure cinématographique au sujet de Ginsberg, le beat poète. Le fin de l'article donne le goût de ce commentaire fort élogieux:
«After a movie you usually want to talk about the actors or the direction or the cinema-photography, but when you leave this movie what you want to do is go directly to a bookstore and buy a copy of “Howl” so that you can do some literary interpreting yourself; and then you want to go back and see the movie again (as I did) in the hope that this time you have something of your own to offer. See you there. »

Cela vous donne le goût à vous aussi de retourner lire quelques poèmes de Ginsberg, un bon ami de Jack Kerouac d'ailleurs; alors lire un ou deux Kerouac, celui-là même qui a identifié et nommé la beat generation, cette époque essentielle de la littérature américaine.

L'autre document concerne la dernière crise financière et le sauvetage multimilliardaire du gouvernement pour sauver les multimilliardaires afin de maintenir l'industrie et le niveau de confiance des consommateurs. Cette fois, Bernstein, - J.M. Bernstein is University Distinguished Professor of Philosophy at the New School for Social Research and the author of five books. He is now completing a book entitled “Torture and Dignity - mêle Hegel à la dynamique économique américaine. Selon Hegel, sous le regard de Bernstein, le détournement de l'éthique sociale fausse toutes chances de correction de l'économie américaine:


«Hegel, of course, never directly wrote about Wall Street, but he was philosophically invested in the logic of market relations. Near the middle of the “Phenomenology of Spirit” (1807), he presents an argument that says, in effect: if Wall Street brokers and bankers understood themselves and their institutional world aright, they would not only accede to firm regulatory controls to govern their actions, but would enthusiastically welcome regulation. Hegel’s emphatic but paradoxical way of stating this is to say that if the free market individualist acts “in [his] own self-interest, [he] simply does not know what [he] is doing, and if [he] affirms that all men act in their own self-interest, [he] merely asserts that all men are not really aware of what acting really amounts to.” For Hegel, the idea of unconditioned rational self-interest — of, say, acting solely on the motive of making a maximal profit — simply mistakes what human action is or could be, and is thus rationally unintelligible. Self-interested action, in the sense it used by contemporary brokers and bankers, is impossible. If Hegel is right, there may be deeper and more basic reasons for strong market regulation than we have imagined.»

Ces quelques mots donnent l'appétit de passer en revue tout l'article. Quelle fascinante théorie que de penser que les financiers puissent accepter un jour de voir que leur avidité à cueillir tous les fruits du tourbillon monétaire appelle sa propre destruction.

Mais le point que j'aimerais faire ressortir ce soir est plutôt la puissance de ce quotidien. De toute évidence, des sommités de toute la planète semblent toujours prêtes à fournir, pour un prix j'en suis absolument convaincu, leur texte d'une page allant jusqu'au dossier de plusieurs pages étalé sur plusieurs éditions successives. Le pouvoir de l'argent rencontre toutefois ici le pouvoir de la réflexion. Voilà toute la beauté du dilemme: Hegel dirait-il que la capacité monétaire du NYT de payer un si grand nombre d'intellectuels à l'échelle mondiale sert cette fois la consolidation d'une éthique saine et rigoureuse?

Personnellement, j'y crois.




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