14 octobre 2010

L’ignorance et la docilité





Cet article de Nathalie Collard sur Cyberpresse illustre une réalité désolante: l'ignorance. En tant que professeur de français - je voudrais bien dire littérature, mais le ministère me coupe cette compétence - au collégial, et privé en plus, je suis constamment surpris par l'ignorance de mes étudiants.

Mes étudiants ignorent tout de la vie, tout de l'histoire, tout de la géographie, tout sur tout. Ils s'imaginent connaître une ou deux plateformes de réseautage; ils pitonnent allègrement sur leur cellulaire; ils naviguent dans leur dériveur à essence; ils travaillent pour se payer des vêtements griffés. Un univers totalement calqué sur la superficialité. Je ne les blâme pas. Leurs parents les ont confiés au soccer et aux séances de danse; leur écoles primaire ont fait de leur mieux avec l'alphabétisme et la politesse; les secondaire les a enfilés dans les cadres ministériels. Ils se retrouvent au collégial après trois ou quatre visites guidés dans un musée du coin, sept ou huit voyages organisés dans des marchés aux puces et quelques matinées au Théâtre Denise Pelletier. Maintenant, les guirlandes, c'est bien fini; on s'attaque aux compétences sérieuses qui feront d'eux de vrais bons outils sociaux efficaces. Demain, ils seront médecins, architectes, ingénieurs, techniciens, opérateurs, contrôleurs, physiciens, chimistes, biologistes, et aussi professeurs et éducateurs. Ils seront notre société en marche... arrière. Pas qu'ils changeront la donne; nous y sommes déjà: comme le fait remarquer monsieur Dumont:

«Je trouve que les journalistes forment une meute naïve, lance-t-il sans hésiter. Ils sont agressifs quand il y a une nouvelle, mais, sinon, c'est étonnant de voir à quel point ils se font remplir comme des valises.»
«La mobilité et l'inexpérience des journalistes sont deux facteurs qui expliquent cette naïveté, selon Mario Dumont. «Avant, les reporters politiques étaient très expérimentés, dit-il. Ils connaissaient leurs dossiers à fond, on ne pouvait pas leur en passer une. Ils connaissaient l'histoire, pouvaient parler de toutes les rencontres constitutionnelles, etc. Aujourd'hui, les nouveaux ne connaissent rien. J'en ai déjà rencontré qui ne savaient même pas que j'étais démissionnaire du Parti libéral du Québec.»


Si les spécialistes de l'information ne reçoivent pas durant leur formation une solide base de connaissances générales sur leur société non plus que la curiosité d'en apprendre toujours plus, nous nous retrouvons décidément dans un cul-de-sac chronique. Ils sauront un tas de choses bien sûr. Un très bon ami enseigne les communications dans mon collège, et j'aimerais posséder la moitié de son répertoire de compétences en journalisme. Son enseignement, de même que celui de son équipe, fait des merveilles. Il n'en demeure pas moins que dans le monde de l'éducation, c'est le ministère qui gère les compétences; le marché ouvert que représente la compétition de nos jours au niveau de la formation se balance totalement des connaissances culturelles et sociales de base; à la limite, les employeurs semblent tout à fait heureux d'engager des pare-chocs bien nickelés qui iront transmettre les brioches matinales, les salades du jour et les ragoûts vespéraux. Belle tenue, belle gueule, dents blanches, paroles creuses, réflexion nulle, radotages rentables. Ne blâmons pas les jeunes! Ils sont formés pour le marché du travail. Regardez ce qui arrive au Journal de Montréal en lockout depuis bientôt deux ans. Le journal augmente son tirage. Le lectorat est aussi débile que les rédacteurs.

J'écoutais la semaine dernière un débat à l'Assemblée nationale, pas le cirque à Québec, encore moins la foire communale à Ottawa, la vraie, à Paris. Absolument révoltant toute la magouille politicienne française; toutefois, les députés qui s'enguirlandaient à qui mieux mieux lançaient des noms célèbres de l'histoire mondiale à l'appui de leur argumentaire, des moments historiques marquants, des citations littéraires de grands écrivains. Pas Charest, Normandeau, Marois ou les louveteaux qui nous offriraient cette mouture culturelle. Pas besoin! Le bon peuple ne comprendrait pas le premier mot de leurs harangues. Nos coups de gueule restent dans le familier, pas de décorum par peur d'être targué de cultivé. En plus de la corruption, ce serait la mort certaine.

Dernièrement, mon directeur général nous demandait de lui signaler les plus grands dangers qui guettent notre collège. Je ne lui ai pas répondu; je le ferai ici : la bêtise. Eh oui! Monsieur le directeur, la bêtise. Tout le monde se trouve dans le même bateau de la facilité et tout le monde se tord le chignon pour attirer le plus de jeunes possible. Comment? En multipliant les savonnages publicitaires. Viens chez nous, on s'aime tellement et on t'aimera tellement. Viens nous voir tu vas tellement t'amuser. Viens, viens, viens vite, il ne reste plus beaucoup de place. Viens chez nous, tu vas t'amuser et on s'occupe de toutes tes faiblesses, les psychologiques, les sociales, les financières, les dyslexiques, les cotes R…

Mais alors, qu'est-ce qu'il va apprendre notre jeune? Quoi? Pardon? L'analyse littéraire et la dissertation critique pour l'Épreuve uniforme; les math's pour la Polytechnique; la bio pour U de M; l'économie pour l'UQTR; IHotel pour mon futur patron; la suite Office pour les rapports à la direction… La culture? La quoi? Ça ne donne rien ça. Pis, j'en fais en philo, pis cé platte à mort. L'histoire, c'est fini. Je connais ma mère et peut-être mon père, j'en ai assez. Il semblerait que la cote R nuise à la transmission des connaissances. Vraiment? Voilà bien le dernier de mes soucis. Tant que le ministère gérera ma classe et toutes les autres, nous demeurons les esclaves de la facilité et de la standardisation à outrance. Pour le pire…

Eh oui, monsieur Dumont. Vous avez paru pitoyable lors de votre passage à l'opposition officielle. Peut-être aviez-vous trop de culture générale pour les journalistes... et pour nous! Allez, prenez donc le prochain Airbus d'Air France...

(Pour mes amis de droite, mais les personnages peuvent changer de rôle)


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