7 octobre 2010

De bien beaux textes.



J'avoue que cette période de mi-session apporte un lot de correction dont je me passerais bien : 96 analyses littéraires à lire et à évaluer. Pourtant, dans cette masse de mots, des perles surgissent régulièrement. Je n'aime pas que l'on associe à ce mot « perle » les gaffes comme on le fait souvent; mes perles sont des brises de fraîcheur. Les étudiants ont des trouvailles géniales quand on leur laisse de l'espace. Car ils aiment ces grands enfants de 18 ou 19 ans à parler de leur lecture. Pour peu qu'on brise le tabou du complexe pour les amener tout doucement vers le rêve.

« La littérature a valeur d’autorité, elle ne fait plus autorité. Elle a été confisquée par des élites qui s’appuient sur l’usage “éhonté d’un jargon incompréhensible, arme brandie contre toute invasion extérieure qui menacerait d’effriter l’ivoire de la tour”. Et l’auteur de pourfendre cette “consanguinité intellectuelle qui dégénère la pensée, vidée de son sens, tandis que les nouveaux pédants gagnent du terrain et imposent partout leur non-sens”. Où penser encore aujourd’hui? Florence Balique répond à cette question le plus simplement du monde : “Mais comme cela s’est toujours fait, chez soi, seul, ou entre esprits curieux destinés à s’ouvrir, non à se montrer ni à tenir salon.” Apprendre à jouer d’un instrument, peindre, dessiner, goûter les oeuvres d’art, lire sont “autant de pratiques culturelles où l’on s’essaie soi-même, où l’on engage ses facultés”. » (Joseph Macé-Scaron, Le Magazine littéraire)
Combien de fois, une étudiante a-t-elle surgi avec une lecture inopinée d'un passage moult fois retravaillé; combien ai-je été sidéré par l'association insoupçonnée d'un étudiant bavard et frondeur tellement sensible qu'elle redéfinit les paramètres du propos de l'auteur? Une fois démystifiés, les outils d'écriture littéraire deviennent des clés pour déverrouiller les regards sur le texte. Toute leur naïveté accouche sur la feuille, souvent sans même qu'il ne s'en rende compte. Ils n'ont pas vu ce qu'ils ont décrit, ils ne croient pas en leurs trouvailles; ils les trouvent simplistes; ils n'en sont fiers qu'après les avoir persuadés de la grande originalité de leur interprétation, et de sa pertinence. Leur description n'est pas accrocheuse; le style sursaute et accroche. Mais pour quelle raison ne ferais-je pas le même effort pour les lire qu'eux ont fait pour lire mon extrait à analyser? Je dois devenir humble devant leurs efforts. Je dois lire leur propos et non m'arrêter à leurs mots.
« Autrement dit un individu à plume susceptible de réunir dans sa personne un conteur, un pédagogue et un enchanteur. On voit par là ce qui sépare un Nabokov d’un Borges dans leur pouvoir de transmettre une même passion de la littérature : l’enseignement. Le contact avec les étudiants, leur regard, leur écoute, leurs réactions. Nabokov feignait une indifférence teintée de mépris; mais plus il les traitait de “perroquets”, c’est-à-dire de “philistins” en puissance, son grand mot pour balayer les conformistes dans toute leur médiocrité bourgeoise, plus il s’attachait à eux. On entend sa voix chaleureuse jusque dans ses colères. Provocateur, injuste, arrogant, indépendant, partial, iconoclaste, excessif, tranchant, subjectif, ironique, mais c’était un magicien. N’est-ce pas ainsi qu’on forme le goût? La riche préface de Cécile Guilbert, ainsi que les avant-propos de John Updike, Guy Davenport et Fredson Bowers, rendent justice au génie du passeur. Pas moins conventionnel que ce professeur-là : non seulement il dédaignait les usages académiques, mais ses cours bousculaient allègrement les interprétations canoniques des grands classiques. Du démontage de chefs d’œuvre avec mise à nu des mécanismes et quête insatisfaite de la traduction idéale. » (Pierre Assouline, La République de livres)
 Voilà la grâce que je me souhaite, car si j'ai eu quelque utilité dans ma vie de prof, c'est bien d'avoir cassé les barrières érigées autour de la parole des livres.

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