21 février 2011

Lorgner le bonheur.

Dan Perjovschi

Mes meilleures journées se passent habituellement dans l'ignorance des actualités. Pas facile! Je passe plusieurs heures devant mon écran d'ordinateur à cause de mon enseignement; je suis abonné à plusieurs publications qui me bombardent incessamment des derniers développements du plus proche au plus loin, du plus cocasse au plus tragique. D'un peu partout dans le monde, ces médias me soumettent leurs tentacules; ils me soustraient quelques instants, quelques minutes; ils me ravissent littéralement en obstruant mon cerveau pour plusieurs heures, voire toute la journée. Ils polluent mon environnement. Mais comme ils me renouvellent aussi. Et comme le mentionnait Alberto Manguel que je citais dans ma précédente chronique, quand on perd la notion de notre mort, on s'aventure dans le néant.

Dans le catalogue de mes abonnements, un me réjouit plus particulièrement; à chaque mise à jour que je reçois, il me fait sourire quatre fois sur cinq. Je dirais qu'il est le Journal de Montréal — toujours en lockout grâce à l'ignominieux Péladeau la Charette et au honteux immobilisme de nos politiciens — d'outre-Atlantique en beaucoup plus séduisant. Il joue avec les mots comme avec les nouvelles; il rend la peccadille affriolante et le scandale aguicheur : L'Avenir de Bruxelles!



Ce rayon de soleil tranche sur des publications plus sérieuses comme le Monde, l'Express international, le New York Times, le Washington Poste, le San Jose Mercury — le premier quotidien à s'aventurer à fond de train sur la Toile alors que tous les autres regardaient passer le train. Il n'en demeure pas moins que toute cette guirlande de nouvelles m'accapare; elles grugent mon temps. Je devrais délaisser tous ces RSS. Je devrais écouter Manguel et écrire un livre avant de mourir. Je me demande si cette décision me rendrait plus heureux. Je pourrais commencer à rédiger ces deux ou trois cents pages sur une quelconque aventure; créer un certain nombre de personnages pour meubler l'intrigue; faire quelques recherches plus ou moins superficielles sur la période ciblée, disons l'épopée de Radisson, le futé et riche coureur des bois qui sillonna aussi bien les Grands Lacs que le Midwest américain. Je cesserais de travailler pour me consacrer à mon projet. Je serais définitivement très heureux. Sans nouvelles, sans travail, sans rémunération, je n'aurais même plus besoin de sortir de la maison. La vaisselle, les repas, les enfants, l'aspirateur, l'aquarium et les plantes, le lavage du linge, du plancher et des autos, le récurage des salles de bain et le ramassage de la salle de jeu, puis, enfin, avec la goutte d'énergie qui reste quelques minutes de lecture pour alimenter mon inspiration. Le soir, alors que les enfants et ma conjointe dorment, je garderais quelques minutes, les yeux lourds et le cerveau en petite vitesse pour pitonner quelques mots à la sauvette... Je pourrais calmement évaluer la venue de ma mort en toute quiétude.

Je vais continuer à travailler. Je tenterai de lorgner ma mort de là. Et puis les nouvelles? Je me dois de consulter au moins les secousses des bourses pour suivre les miettes que la maison de courtage daigne me laisser. Je me dois de continuer à m'informer, à fouiller toutes les histoires d'ici et d'ailleurs, d'hier, d'aujourd'hui et de demain, car...

« Rien n'est jamais acquis! Rien, mais rien! Et je répéterai cela jusqu'à la fin de ma vie. Je disais cela au Canada, je le répète en France! Je le répéterai jusqu'à la fin de ma vie, rien ne vous est assuré. Et la force avec laquelle l'injustice, l'abus de pouvoir peuvent s'installer est celle d'un tsunami! Tu crois être tranquille sur la plage et, tout è coup, arrive cette vague qui démolit tout en cinq minutes! Ça va aussi vite que cela! Tu te réveilles un matin et la liberté est morte! » (Alberto Manguel, Conversation avec un ami, page 123)

Et c'est tellement frustrant de garder le moral, de continuer à se tenir debout dans le vent à regarder déferler les vagues et tanguer le navire, accrocher au bastingage en admirant la force du danger, en cillant devant tous les corps claudiquant comme des bouées au gré de l'écume. La naïveté et l'insouciance croissent au même rythme que la formation fondamentale et la curiosité passe au four crématoire.

Oups! Un message du Monde! À demain...


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