27 août 2009

Le jeu et la littérature


Le goût de reprendre une avenue introduite par un bon ami me vient ce matin : le jeu virtuel dans la formation académique.

Ma formation littéraire me mène instinctivement vers le jeu que représente l'analyse de texte. J'envie les professeurs de sciences qui ne s'ingénient pas trop longtemps pour motiver la horde de leurs ouailles qui luttent férocement pour atteindre des performances dignes d'une rutilante cote R et d'un droit d'entrée dans des secteurs d'élite qui leur amèneront argent et reconnaissance. Attention, je connais certains professeurs de sciences qui, en véritables pédagogues se lanceront des défis superbes en introduisant des méthodes toujours plus originales pour présenter des concepts en évolution continue : confrères, quel baume de voir vos efforts, vos projets, couronnés par des mines attentives, curieuses et avides de se rendre au bout du défi, au bout du contrat. Malheureusement, outre ma personnalité, mon charisme et ma profonde affection pour eux, je ne rencontre, après plus de trente années dans le secteur, que des succès mitigés et souvent réducteurs : la littérature officielle, le roman, la poésie, le théâtre et dans un moindre impact l'essai, ne soulèvent à peu près jamais de passion. Les multiples contorsions pour séduire fonctionnent habituellement, mais ne développent que très rarement une onde qui perdure au-delà de quelques semaines.

La question que je me pose est la suivante : comment développer chez les étudiants en technique, toutes techniques confondues, le sens du défi qui suscite la curiosité et la volonté de fouiller avec enthousiasme le monde de la littérature?

Je débute cette brève réflexion avec une citation de Maurice-Jean Lefebve, théoricien littéraire français, prise dans son livre Structure du discours de la poésie et du récit aux pages 92, 93 et 94 :

« Le terme d'image est vague, il recouvre des réalités diverses : représentation mentale, imitation picturale, décalque, copie, figure de style en général ou plus particulièrement métaphore. Disons d'abord que, par image, nous entendrons toujours image fascinante, c'est-à-dire un phénomène qui, nous le savons, entraîne l'interrogation sur la Réalité. La présentification. [...] La vie pratique ne distingue entre réel et irréel que pour les besoins de son action. Ou plutôt, elle accepte également le réel et l'irréel à la condition de ne pas risquer de les confondre. Alors une représentation mentale lui est aussi utile qu'une perception. [...] Ainsi, ce que le conducteur d'une voiture voit dans son rétroviseur devrait conduire à la catastrophe. Il y puise pourtant des renseignements vrais qui guident son action. [...]

L'image fascinante consiste donc dans le phénomène par lequel l'objet de notre conscience, quel qu'il soit, se voit soudain mis en doute dans sa réalité et sa présence. Je dis : “l'objet de notre conscience» parce que deux cas sont ici possibles. Ou bien c'est la réalité de l'objet de notre perception qui, à la suite de quelque circonstance, nous apparaît soudain comme douteux et glisse vers l'irréel; ou bien c'est l'objet de notre imagination (une représentation d'abord purement mentale, un souvenir ou un rêve) qui semble tout à coup acquérir une consistance «réelle», qui glisse, dans un mouvement contraire, vers la matérialité. Dans les deux cas, il y a donc ambiguïté, incertitude, doute portant sur la véritable réalité (ou irréalité) de l'objet. Il s'ensuit que cette réalité mise en péril et en quelque sorte vacillante, braque notre attention sur elle et nous amène à formuler la question à partir de laquelle, comme nous l'avons vu, se prononce la Réalité esthétique. [...]

Le phénomène fascinant, dans la vie quotidienne, est souvent dû au fait que deux sensations qui nous viennent du même objet et qui à l'ordinaire coïncident, se trouvent soudain décalées l'une par rapport à l'autre, cette simple perturbation de notre perception suffit à en mettre en cause la réalité. Ainsi d'un spectacle contemplé de loin et dont les bruits qui nous parviennent sont en retard sur nos perceptions visuelles de quelques dixièmes de seconde. L'espace acquiert alors une consistance qui communique aux choses un aspect insolite. »

Alors si nous transposons ces données de réfraction entre la réalité perçue et la réalité réelle, nous pourrions suggérer une connexion entre les événements d'une oeuvre littéraire et les événements que l'étudiant fréquente dans son champ de spécialisation. Les chances de confronter les épisodes littéraires à des épisodes professionnels pourraient susciter de l'intérêt. Le rétroviseur devient la structure de sa réalité professionnelle; il doit avancer grâce à elle au travers d'une fiction qui interprète celle-ci. On me rappellera que les professeurs font souvent preuve de contorsion exemplaire pour créer des liens; mais cette fois, il faudrait l'implication des professeurs des cours spécifiques.

L'équipe de professeurs enseignant aux programmes s'entendrait sur un corpus à lire de part et d'autre; c'est-à-dire qu'autant le professeur de littérature devrait se documenter sur une dynamique professionnelle autant le professeur de formation spécifique devrait être informé et lire les oeuvres au programme. Nous atteindrions grâce à cette dynamique une réelle approche programme. Il serait d'ailleurs intéressant de réaliser à quel point les oeuvres, plusieurs faisant déjà partie du corpus régulièrement utilisé, même littéraire ont des connexions surprenantes avec la vie... On a tendance à l'ignorer. D'autre part, la communion des connaissances entre les professeurs de formation générale et spécifique pourrait ouvrir des perspectives riches.


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