Parfois, les messages s'embrouillent. Un retour de lecture s'est mêlé à un autre par un automatisme que je m'explique encore mal. Un de ces gestes sans aucune logique qui nous fait creuser l'inconscient à la recherche d'une réponse. La nuit dernière, j'ai recopié quelques lignes de Le Clézio pour marier celles de Denise Bombardier. L'américanité brute de l'une fait une liaison oblique à l'arabisme conteur de l'autre. Comme si le conte fantastique poursuivait l'élan réaliste.
Les trois soeurs, sang héréditaire qui a coagulé; dont la galle séchée a résisté à toutes les tempêtes, à toutes les foudres; trois sordides femmes issues d'une Terre zolienne bouclent leur vie en célébrant une mort :
« L'après-midi où elle décida, en quelque sorte, de partir, ses soeurs étaient à son chevet. Elle s'adressa à Gloria en yiddish. “On l'a pas eue facile», murmura-t-elle. «T'as toujours été trop intelligente», répondit Gloria dans cette langue qu'elles avaient partagée en une complicité quasi affectueuse. «J'me suis bien occupée de toi quand t'étais bébé», dit Irma, «J'le sais, souffla Edna. Pis c'est pas vrai que tu m'laissais dans ma pisse,» «Repose-toi, pis sois pas inquiète, on va rester ici avec toi", dit Gloria, «Vous êtes ben bonnes toutes les deux», souffla-t-elle, Gloria lui prit la main tout doucement pendant qu'Irma lui caressait les cheveux. Edna referma les yeux. Les deux soeurs évitèrent de se regarder et demeurèrent silencieuses. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Seul le souffle affaibli d'Edna brisait le silence. «Je sens plus son pouls»...» (Denise Bombardier, Edna, Irma et Gloria, page 243)
Elles sont peut-être canadiennes-françaises, peut-être québécoises, ou un peu américaines; elles sont clairement en chute libre dans un univers qui ne les ancre pas, où la notion d'appartenance, pour reprendre les mots de Noah Richler, est absente.
Absence dans laquelle nous lance Le Clézio avec cette petite aveugle qui cherche le ciel, l'azur, le bleu :
«Le grand ciel noir était absolument lisse, dur, paré de petites lumières lointaines. C'était le froid qui commandait sur ce pays, qui faisait entendre sa voix.
Peut-être que là où on allait, on ne pourrait plus revenir en arrière, jamais. Peut-être qui le vent recouvrait vos traces, comme cela avec son sable, et qu'il fermait tous les chemins derrière vous. Puis les dunes se mouvaient lentement, imperceptiblement, pareilles aux longues lames de la mer. La nuit vous enveloppait, elle vidait votre tête, elle vous faisait tourner en rond. Le bruit rugissant de la mer arrivait comme à travers le brouillard. Les grincements des insectes s'éloignaient, revenaient, repartaient, jaillissaient de tous les côtés à la fois, et c'étaient la terre entière et le ciel qui criaient.» (J.M.G. Le Clézio, Peuple du ciel, pages 48 et 49)
L'existence gonfle l'univers qui s'élève en monstre que l'on pourra ou non apprivoiser. Le dilemme des vies tient dans ce défi. Je dirais à un bon ami : est-ce donc un jeu? Nous devrions discourir sur la valeur de ce mot. Chose certaine les mêmes jeux n'ont pas le même effet sur tout le monde : l'un joue, l'autre vit. Le ciel est vaste et impénétrable, c'est un acquis; l'Amérique est vaste et mystérieuse, c'est une réalité. Les enfants survivront à leur vision, des clins d'oeil les y invitent; les trois sorcières — remember Eastwick — s'étoufferont dans leurs propres psaumes.
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