7 octobre 2008

Dernier droit (2)


Une sirène brise le silence. On aura téléphoné. Les gens s'affairent autour de cadavre vivant. Catalepsie. La marée a à peine eu le temps de se rendre aux genoux. Tant pis pour la peur! On l'a glissé sur la civière avec l'attention requise. Un cadavre. Il ballotte sous les sangles.

— Comment faire pour faire signe à ces gens?

— On le branche?

— Je ne vois pas pourquoi; pouls normal; pupilles dilatées, mais bon...

— Soluté?

— Oui, vas-y. On va l'hydrater...

C'est le départ vers l'hôpital. Diane est assise; les yeux rouges. Elle n'a pas pleuré. Elle est hébétée, abasourdie.

— Qu'est-ce qui arrive à mes vacances? Pourquoi aux Îles? L'air frais, le calme, la mer...

Soixante ans! Bel anniversaire! Troisième semaine de retraite après une vie de fou à gravir les échelons méthodiquement, avec abnégation et ambition. Des responsabilités envahissantes, mais des défis surmontables.

— J'étais tellement plus en contrôle au bureau.

Une fille, deux garçons : Natacha, Patrick, Frédéric : trente, vingt-huit, vingt-six. Réglés à l'horloge. Coordonnatrice de section, directrice de secteur, superviseure pour l'Est du pays. Quand Fréderic est entré à la maternelle, ce fut Forest Hill la cossue avec la direction nationale. Cinq pieds onze, tailleur haute couture, verres d'appoint et mallette marquée.

— Merde, Robert, qu'est-ce qui se passe?

Il l'avait croisée aux HÉC. Elle l'avait remarqué. Un intello un peu perdu en commerce international. Plus philosophe que comptable, il se promenait d'un cours à l'autre avec des A et des B. Toujours en broussailles, sentant la veille et soufflant l'oignon. Gentil, sans naïveté : un futur prof pourvu que le coup de pouce pour le doc y soit.

Le soleil avait complété l'arc. Le froid et le frimas étaient revenus sur l'île. Le médecin du village avait recommandé le Centre hospitalier régional à Campelton. L'hélicoptère pendant deux heures. Robert s'en est allé en ville. Diane est restée seule. Elle n'a jamais apprécié l'hélico : trop bruyant... et les vibrations! Bof!

— Je dois aller chercher les choses à l'Auberge de toute façon. Allez-y! Il semble stable. Je vous rejoindrai dès que possible. Voici mon numéro de portable : 674-188-5151. Je l'ai toujours avec moi.

Les ambulanciers se sont regardés en esquissant une moue.

— Bon, c'est bon! On dira de vous tenir au courant.

Un bruit d'enfer enlève le cadavre.

— Foutu bourbier! Je suis Johnny got his gun. Lui avait tous ses membres à la Première Guerre mondiale; il ne lui restait qu'une seule articulation : le cou. Le morse deviendra sa seule voie de communication. Mais moi? Je suis mort...


(à suivre)

Aucun commentaire: