7 décembre 2011

L'éducation de la démocratie



Nous fermons la quinzième semaine de la session. C'est la fin de l'Automne 2011. Une fois les corrections et la compilation terminées, je retomberai sur mes pattes en poussant un soupir de soulagement, et un brin de regret de devoir quitter cette cohorte que je fréquente depuis le mois d'août. Durant toutes ces semaines, j'ai tenté d'inculquer des connaissances : des données brutes à apprendre par coeur; des procédures à respecter pour développer certaines compétences; des algorithmes précis pour élaborer des applications structurées, logiques et convaincantes. Ils m'ont suivi relativement docilement; pas passivement, docilement dans le sens obéissant, qui suit les traces. Alors ont-ils expérimenté la démocratie? La démarche que je leur ai imposée a-t-elle brimé leur liberté? Quelle était leur marge d'autonomie?


Non, ils n'ont pas expérimenté la démocratie. Ils ont rempli leur mandat tel que je l'ai exigé selon des paramètres édictés par moi et sur lesquels ils n'avaient aucun droit de parole ni d'intervention : tout le contraire de la démocratie. Il ne m'avait pas élu non plus. Au début de la session, ils reçurent une feuille d'horaire sur laquelle toutes les informations pertinentes à leur horaire de cours et à leurs professeurs étaient listées. Voilà, la décision fut prise par le registraire en collaboration avec les professeurs et la direction pédagogique.

Oui, leur liberté a été brimée de façon importante. Un parcours avait été défini durant l'été et ils ont dû s'y conformer à la lettre. S’il y a eu des modifications, elles furent au niveau des échéanciers pas des prescriptions. Ils ont ramé ferme pour répondre à des exigences qui étaient les miennes; ils n'avaient pas de droit d'intervention. Ils n'avaient aucun droit non plus sur l'évaluation des résultats. Je notais de façon indépendante sans leur intervention. Ils ramassaient à la fin du processus la valeur de leur travail sans que la valeur de leur effort n'intervienne jamais.

Leur marge d'autonomie... était immense! Ah! Et comment cela? Comment dans un monde aussi totalitaire que l'éducation, des étudiants peuvent-ils exercer leur autonomie? En leur permettant de devenir responsables de leur propre échéancier à l'intérieur de celui que j'exigeais d'eux. Simplement parce que toutes les activités reliées aux atteintes des compétences se trouvaient en ligne et que chacun avait une grande marge de manoeuvre sur le moment de remise. Ils devaient donc à l'intérieur d'un mandat très précis compléter un parcours sur lequel ils avaient le choix d'appliquer une chronologie personnelle.

Je vous présente cette situation parce que je veux faire un corollaire avec l'état de notre démocratie. Un de mes amis a rédigé un article sur son blogue à ce sujet; la lecture de son texte vous permettra d'apprécier les deux solutions qu'il met de l'avant. Je fais le lien avec le monde de l'éducation, car de l'âge de 5 ans jusqu'à 17 pour le secondaire, 20 pour le collégial et 23 pour l'universitaire, les citoyens doivent composer avec un système qui n'a à peu près rien à voir avec la démocratie. Ils vivent pendant une trentaine d'heures par semaine sous le joug de tuteurs stricts leur demandant obéissance, performance et résultat. Une fois sortis de là, ils entrent dans leur famille où ils commencent cette fois-ci à continuer à obéir à leur parent ou ceux qui y tiennent ce rôle; à cela s'ajoutera bientôt l'obéissance tacite à un patron à l'intérieur d'un travail de statut précaire où à peu près tous leurs droits sont niés. Quand recevront-ils la démocratie? À Noël? Quand ils recevront leur permis de conduire? Quand ils auront finalement reçu un chèque de paye? Quand ils décideront de se casser de l'école? Quand, magiquement, deviendront-ils des citoyens? Cela arrivera grâce à des cours sur la citoyenneté donnés par monsieur madame sous la férule ministérielle. Quand ils vont atteindre l'âge vénérable de 18 ans, on leur demandera de faire un choix songé à des élections dont ils ne connaissent à peu près rien; au sujet desquels ils n'auront aucune perspective historique parce qu'on leur aura transmis de miettes en oubliant le principal : la liberté de choix. Mais il ne faut guère s'en surprendre, toute la machine scolaire carbure à l'obéissance, même les professeurs sont corsetés à ne plus pouvoir respirer.

Ainsi, dès leur plus tendre enfance à l'intérieur des garderies, et tout au long de leur parcours scolaire les individus progressent à l'intérieur de cadres définis pour leur efficacité, je suis tenté de dire pour leur rentabilité. Le Pouvoir est heureux, ils cordent dans ses institutions de bons diables obéissants qui feront preuve d'une docilité exemplaire une fois parvenus à l'âge adulte. Si les années 60 et 70 ont été si vibrantes, si bousculantes, ne serait-ce pas parce que les jeunes adultes à qui on donnait ce nouveau système plus ouvert et plus disponible y ont insufflé toute la dynamique de leur jeunesse passée à l'extérieur dans leur voisinnage à expérimenter la citoyenneté à la dure à l'intérieur de leur société de rue, microcosme de celle qui les attendaient au détour. Nous avions nos faibles, nos forts, nos cruels, nos mous; nous apprenions notre place future par essai et erreur; nous apprenions graduellement le sens des responsabilités et de l'indépendance. Nous apprenions que la démocratie s'applique lorsque les membres d'une communauté ont appris à se tenir debout seuls ou alors avec d'autres. Les humains, les citoyens, n'ont pas fondamentalement changé; ils n'ont tout simplement pas eu l'occasion de devenir matures. Ils n'ont pas appris à se tenir debout seuls!


Du mois d'août au mois de décembre, j'ai donné l'occasion à mes étudiants de devenir responsables de leur cours en leur transférant un degré de responsabilité qui leur était étranger. J'espère avoir planté un germe de citoyenneté.



Aucun commentaire: