22 mars 2007

La ponctuation

La ponctuation, si jeune soit-elle dans l'histoire de notre langue, est devenue le sel de l'expression. Sans elle, point de salut! Lisons cet extrait sans espace ni ponctuation comme c'était le cas au Moyen Âge :

maislaparfaiteindépendancedesmusclesduvisageàlaquellemdenorpoisétaitarrivéluipermettait découtersansavoirlairdentendremonpèrefinissaitparsetroublerjavaispenséàdemanderlavisdela commissiondisaitilàmdenorpoisaprèsdelongspréambulesalorsduvisagedelaristocratiquevirtuose quiavaitgardélinertieduninstrumentistedontlemomentnestpasvenudexécutersapartiesortaitavec undébitégalsuruntonaiguetcommenefaisantquefinirmaisconfiéecettefoisàunautretimbrelaphrase commencéequebienentenduvousnhésiterezpasàréunirdautantplusquelesmembresvoussont individuellementconnusetpeuventfacilementsedéplacercenétaitpasévidemmentenellemêmeune terminaisonbienextraordinairemaislimmobilitéquilavaitprécédéelafaisaitsedétacheraveclanetteté cristallinelimprévuquasimalicieuxdecesphrasesparlesquelleslepianosilencieuxjusquelàrépliqueau momentvouluauvioloncellequonvientdentendredansunconcertodemozarthébienastuétécontentde tamatinéemeditmonpèretandisquonpassaitàtablepourmefairebrilleretpensantquemon enthousiasmemeferaitjugerparmdenorpoisilestalléentendrelabermatantôtvousvousrappelezque nousenavionsparléensembleditilensetournantverslediplomatedumêmetondallusionrétrospective techniqueetmystérieusequesilsefûtagiduneséancedelacommission

Le lecteur médiéval devait se satisfaire de cet arrangement. Quelques centaines d'années plus tard, les espaces entre les mots, puis des points apparaissaient. Aujourd'hui, nous avons la vie facile avec la ponctuation moderne. Encore faut-il la maîtriser!

Voici la source internet de cet extrait de Proust:
http://fr.wikisource.org/wiki/À_l

Et voici le texte présenté dans sa forme contemporaine:

"Mais la parfaite indépendance des muscles du visage à laquelle M. de Norpois était arrivé, lui permettait d'écouter sans avoir l'air d'entendre. Mon père finissait par se troubler: «J'avais pensé à demander l'avis de la Commission...» disait-il à M. de Norpois après de longs préambules. Alors du visage de l'aristocratique virtuose qui avait gardé l'inertie d'un instrumentiste dont le moment n'est pas venu d'exécuter sa partie, sortait avec un débit égal, sur un ton aigu et comme ne faisant que finir, mais confiée cette fois à un autre timbre, la phrase commencée: «Que bien entendu vous n'hésiterez pas à réunir, d'autant plus que les membres vous sont individuellement connus et peuvent facilement se déplacer.» Ce n'était pas évidemment en elle-même une terminaison bien extraordinaire. Mais l'immobilité qui l'avait précédée la faisait se détacher avec la netteté cristalline, l'imprévu quasi malicieux de ces phrases par lesquelles le piano, silencieux jusque-là, réplique, au moment voulu, au violoncelle qu'on vient d'entendre, dans un concerto de Mozart.

«Hé bien, as-tu été content de ta matinée? me dit mon père, tandis qu'on passait à table, pour me faire briller et pensant que mon enthousiasme me ferait juger par M. de Norpois. Il est allé entendre la Berma tantôt, vous vous rappelez que nous en avions parlé ensemble, dit-il en se tournant vers le diplomate du même ton d'allusion rétrospective, technique et mystérieuse que s'il se fût agi d'une séance de la Commission."

Écoutez attentivement cet extrait - il dure une trentaine de minutes, mais est vraiment très intéressant - et commentez l'avenir de notre ponctuation face à l'informatique et à tous les trucs qui sont formés à l'aide de la ponctuation.

http://www.canalacademie.com/La-ponctuation-ou-l-art-d.html

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