Un film français d'une certaine époque racontait l'histoire d'un valet d'ascenseur qui lança sa version d'un slogan pour l'hôtel où il travaillait; il apprit qu'il avait remporté le prix du meilleur slogan et que l'hôtel allait utiliser sa phrase, désormais célèbre, dans sa publicité: À l'imparfait de nos voisins, notre réponse sera notre service plus-que-parfait. Assez rapidement, tout le monde sut que ce gentil, et inoffensif, valet deviendrait leur marquis. Il prit l'ascenseur de la société!
La belle époque où les jeux de mots faisaient rire, ou du moins sourire, parce qu'ils étaient compris. Je me demande si les verbes de notre jeune homme étaient toujours bien accordés? Avait-il mis les traits d'union? Avait-il seulement conscience qu'il utilisait deux temps de l'indicatif? Ah! Ha! Et n'allons surtout pas parler de la spécificité de leur emploi... Mais, au moins, la connaissance de la conjugaison par le commun des mortels devait nécessairement inclure une base de compréhension du verbe, pour que le réalisateur du film décide d'inclure dans son intrigue ce fameux jeu de mots.
Une personne me signalait un jour la totale inutilité de certains modes en français; et la situation se produisait en anglais aussi, et dès lors, dans toutes les langues. Pourquoi pas? Sa rebuffade mentionnait le futur antérieur: J'aurai fait. Je lui présentai l'énigme suivante. Comment relayer l'information suivante: ma conjointe et moi dînons ensemble. Elle me signale sa répugnance de voir le lit en désordre lorsqu'elle revient à la maison le soir. Comme je suis régulièrement le dernier levé, son regard inquisiteur connecte facilement ma culpabilité. Je lui promets que ce soir, lorsqu'elle mettra les pieds dans notre chambre, le lit sera fait. Eh! Oui! À ton arrivée chez nous à la fin de ta dure journée, j'aurai fait le lit chérie. Comment le dire autrement?
L'économie de la langue répond à tout. Les économistes d'estrade linguistique font pitié. Ils sont si ridicules. Leur charme n'est plus charmant; il est devenu pitoyable.
Lisons Littré:
"CONJUGUER
(kon-ju-ghé) v. a. 1°Unir. Peu usité en ce sens.
2°Terme de grammaire. Assembler dans un ordre déterminé les différentes
inflexions ou terminaisons des modes, des temps, des personnes et des
nombres
d'un verbe. Conjuguer un verbe. Absolument. Savoir conjuguer.
3°S'unir. L'astre du jour répand sur tous les mondes
d'autres concerts de lumières.... en se conjuguant avec d'autres Phébés, BERN. DE
ST-P. Mort de Socrate.
4°Se conjuguer, v. réfl. Être conjugué. Ce
verbe se conjugue comme ou sur
tel autre, avec l'auxiliaire être ou avoir. Lat.
conjugare, réunir ensemble, de cum, et
jugum, union, proprement joug (voy. JOUG).
En termes de grammaire, conjuguer un verbe, c'est en réunir toutes les
formes
dans un arrangement déterminé."
Fascinant tout de même: Voir conjugual alors, et conjoncture...
Au delà des personnes, l'accentuation du verbe l'inocule de tout son sens, quand ce ne fût que pour qu'il habitât le socle que des siècles et des siècles de jaugeage ont paufiné. Je n'aime pas particulièrement la langue recherchée ni les tournures oiseuves. J'aime, toutefois, j'adore le jeu.
Maman lisait beaucoup: des livres parmi lesquels se trouvaient des oeuvres de cinquième tablettes au haut du mur du boudoir, constamment hors d'atteinte... que j'atteignais quand même. Elle parlait plusieurs langues maman; non, vous pensez, pas l'anglais, ou si mal! Elle parlait le professionnel, le voisinnage, l'amie de coeur, le fils que j'aime, le marchandage, le non ma fille. Maman était polyglotte. Elle s'était même permis un jour de mes 14 ans de me lancer: "On aurait jamais dû t'envoyer au séminaire, tu veux toujours avoir le dernier mot!" Maman et ses conjugaisons de la vie m'ont éduqué à la conjugaison française, car son temps se consumait dans mon enfance.
À 14 ans, j'ai travaillé à distribuer des dépliants pour l'Historium près du sanctuaire de Notre Dame du Cap; un attrait touristique de courte durée. Sur mon coin, à l'entrée du terrain du sanctuaire, je tendais mon butin et recevait toutes sortes de sourires en toutes sortes de langues. Je commençais à comprendre les paroles de mon père: "Quand on croit très très fort, on peut parler en langues". Mais les verbes de ma mère me parlaient beaucoup plus. Quelques années plus tard, j'ai travaillé dans un clinique pour alcooliques: professionnels, clochards, héroïnomanes, jeunes et vieux, prêtres et avocats, hommes d'affaires et contracteurs. Ils avaient un point en commun: leur dépendance; ils m'ont toutefois donné un superbe cadeau: l'art de maman de parler plusieurs langues.Cette race de polyglottes est en voie d'extermination. On parle bien ou on parle mal. Il est de plus en plus difficile de parler au monde; il entend, mais n'écoute pas. À oublier les conjugaisons, on perd notre perspective sur la vie et sur les différences. Tout se ressemble au royaume du neutre. Adaggio est mort! La valse à quatre temps de même... Et puis, après tout, ne sommes-nous pas devenus des sourds fonctionnels?
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