15 juillet 2010

La lucidité est-elle un luxe?

Jacques Attali, l'économiste français mentionne :
« La lucidité n'est rien d'autre qu'une ivresse des puissants. »
Il rajoute :
« Selon leurs pères fondateurs, le capitalisme et la démocratie ne pouvaient fonctionner sans respecter des règles morales fondées sur la loyauté et la transparence. Ils sont devenus l’un et l’autre des procédures vides de valeurs, vides de sens. L’obsession de la liberté individuelle a en effet conduit à la tyrannie du caprice, et au droit absolu de changer d’avis à chaque instant, sur tous les sujets, y compris sur le respect des contrats; et donc, in fine, à l’apologie de la déloyauté. »
 En plaçant ces deux citations côte à côte, en se disant que la lucidité est la réflexion sur une décision à prendre face à un environnement fluide et donc changeant, ce serait les riches qui détruiraient notre civilisation grâce à leur habileté à posséder le loisir d'être lucide, les pauvres n'ayant pas les moyens de ne pas suivre l'esprit grégaire instinctif de l'humain.

D'où, je suis riche. Je bâtis une puissance sur la collectivité et la hiérarchie gouvernementale. Mon pouvoir décuple mes gains dans la mesure où les petits s'amenuisent jusqu'à perdre leur droit de représentativité. En effet, les gouvernements se soumettent désormais à mes caprices depuis que leur financement m'appartient. Les quelques bouchées de pain que je glisse dans leur appareil partisan me donnent un droit d'accès plénipotentiaire sur ceux que ce même appareil réussit à faire élire. Je me rappelle que l'on disait à l'époque que Robert Bourassa avait été choisi par le parti libéral après la recherche par une firme-conseil du meilleur candidat à présenter à la population. Aujourd'hui, la firme-conseil est accompagnée par les bonzes financiers. On a démontré dernièrement que les dons des particuliers étaient à la baisse; nous pouvons y voir un désintérêt, ou une impuissance ou inutilité à participer au grand cirque qu'est devenu la politique. Depuis l'arrivée de Obama, nous pourrions sans doute conclure la même chose. Le peuple a perdu le pouvoir : il consomme à outrance; il joue à outrance; il ne cherche plus à nager, il se noie à outrance...

Ce peuple n'a plus les moyens d'une lucidité. Il rêve de demains où il ne sera plus parce que ses aujourd'huis deviennent trop passifs. Shakespeare avait qualifié le monde de grand théâtre; il avait bien raison; sauf, que nous en sommes rendus aux grandes tragédies grecques avec plein d'Électres sanglantes, d'Oedipes sans domicile et d'Amphytrions trop politisés.

Dan Perjovschi

13 juillet 2010

L'Art et la monnaie

Une entrevue sur la monétisation absolue de l'Art par Christine Sourgins sur Canal Académie analyse le marketing à outrance.
«Elle commence par définir ce mot ambigü : "contemporain". Il est souvent pris dans le sens d’une "lutte contre ce qui est". Il s’agit donc pour les tenants de cet "art" de déconstruire. « La transgression de l’art devient l’art de la transgression », s’écrie-t-elle en commentant bon nombre « d’œuvres » souvent achetées à grand frais avec l’argent public. Cette dimension mercantile s’affirme comme indispensable à l’expression d’un système fondé sur le clientélisme. Mieux que cela, l’Art contemporain réalise une synthèse inédite entre les apôtres de la Révolution et les idolâtres de l’argent. En procédant à la « vidange des valeurs » (Jean Clair), il veut éradiquer tout ce qui s’opposerait à la seule loi du marché»
Après la viste du Pop à Ottawa, pour qui la mise en marché est très importante car elle confirme la popularité relative du produit, la réflexion de Sougins apparaît sensée mais passéiste. Pourtant, nous pouvons difficilement biffer les raisons qui la motivent. La manipulation du matériau par l'artiste passerait-il en second après la cogitation qui permet de définir le but et la symbolisation ultime de l'oeuvre. Nous revenons sans cesse à l'urinoir de Duchamps qui le premier soumit un objet usuel sans le modifier en clamant que c'était là un objet d'art.
«L’art est l’incarnation d’une inspiration dans la matière, grâce à un travail des formes. Dans cette inspiration, il peut y avoir des idées, des émotions, des rêves…peu importe. Mais il faut re-présenter, c’est-à-dire rendre présent, manifester une présence. L’art est médiation entre le réel et un plan plus élevé, plus spirituel qui devient ainsi sensible, visible grâce au travail artistique. L’Art dit contemporain, détourne, s’approprie, refuse la médiation : c’est une prédation du réel. Il nie toute transcendance, c’est un art de l’Absence. Bien sûr il existe des zones frontières où les deux définitions se chevauchent, en particulier parce que la confusion (subie ou entretenue volontairement) règne chez beaucoup d’acteurs de l’art.»
Si le quotidien devient art, les musées et les galeries deviendront totalement désuètes. Nos trottoirs suffiront aux expositions futures.

12 juillet 2010

Arts non saturés et Espace Shawinigan

La comestibilité des arts est infinie. Rien ne se perd, rien ne se crée. Croire dans la futilité des dogmes aide très certainement aux visites dans les galeries d'art; préférable aussi de garder les yeux ouverts; l'esprit aussi, qui, comme les parachutes fonctionnent mieux ainsi (lu sur l'autocollant installé sur le vélo d'un ami: «L'esprit, c'est comme les parachutes, ça ne fonctionne que lorsque c'est ouvert!» Pierre Dac).

Ces jours derniers, je visitai le AGO (Arts Galery of Ontario) à Toronto; le secteur Arts modernes du ROM (Royal Ontario Museum) à Toronto aussi; le musée des Beaux-Arts du Canada à Ottawa; puis finalement aujourd'hui, l'Espace Shawinigan à Shawinigan bien sûr. Assez curieux de rassembler ces quatre institutions ensemble; le plus curieux, et le plus réjouissant, c'est que grâce à l'initiative de l'équipe de l'Espace et de la persévérance du créateur, Richard Drury, la Mauricie s'accouple soudainement avec impunité et mérite, faut le dire, avec les plus grandes créations de l'art moderne.

Drury, par l'Écol-Eau, s'inscrit dans une mouvance d'oeuvres éphémères dans leur théâtralité, mais dans la permanence thématique de notre société moderne. Cette fleur d'eau dans laquelle nous baignons, dans cette pluie qui se disperse constamment, sur ces pitounes de draveurs sur lesquelles nos pieds dérapent, et , finalement dans cette pollution plastique multicolore qui s'accroche à nos orteils sous des rayons de nuage nucléaire, cette eau nous capte dans le vortex doté de la même puissance que Dan Perjovschi et ses «in vivo» caricatures sur les murs du ROM. Rien à envier à la stupéfiante force des palmes de Anselm Kiefer au AGO. Dans la même temporalité, Angela Grauerholz, The inexhaustible image ... Épuiser l’imageà la Galerie nationale du Canada, fouille notre présent et sa nudité.

Non, nous ne parlons pas du même type d'impact, de la même approche, du même apprivoisement. Aucun des contemporains de Drury, que nous venons de nommer, n'aurait réussi à séduire mes jeunes filles. Elles ne voulaient pas partir; elles posaient des questions sur la signification de ces tableaux; surtout, elles s'amusaient en devenant elles-mêmes parties de l'art. Elles nous aidaient à visualiser cette nature symbolisée, démantelée et colorée au phosphore.

Faites, à votre enfant, ou à celui qui se trouve encore en vous, la faveur d'aller voir cette exposition. Allez vous mouiller!

11 juillet 2010

Adversité

David Villa chute sous De Presi; Coup franc de Kyut après un carton jaune...

Je regarde la Coupe du monde en clin d'oeil. Plusieurs millions de personnes observent ce même match. Un par quatre ans, c'est beaucoup plus rare que le Superbowl ou la Série Mondiale. Pourtant toujours une balle en jeu.
Les Vikings jouaient apparemment avec la tête d'un ennemi décapité; les Angles promenaient d'un village à un autre un objet rond d'une nature obscure après avoir nommé chacun une équipe de joyeux athlètes qui défendaient furieusement leur toison.
Le film Robin Hood et l'exposition des guerriers de terracota illustrent bien ces jeux adversatifs. Robin Hood entraîne les troupes du Roi Jean dans une bataille horribles sur les berges de la Manche; les fantassins dévallent dans l'entonnoir que forme la falaise et la rive; les français sont coincés, ils ne peuvent sortir. Les archers sur le toit de la falaise les aspergent de volées de flèches de leurs puissantes arbalètes. Les cavaliers suivent les fantassins sur les pentes est et ouest pour venir terminer le travail et forcer les envahisseurs à rebrousser chemin vers leurs embarcations.
Du côté du ROM:
«Puissant et ambitieux, Ying Zheng est le premier empereur de Chine, accédant d’abord au trône de l’État de Qin à l’âge de 13 ans. Pendant son règne, il bâtit un empire qui, à son apogée, rivalise avec celui de Rome, et qui s’avèrera plus durable.
Considéré comme l’un des plus grands chefs militaires de l’histoire, Ying Zheng unifie la Chine après 500 ans de conflits et lance d’importantes réformes politiques, sociales et culturelles. Entre 230 et 221 avant notre ère, Zheng fait la conquête de tous les royaumes chinois rivaux et fonde le premier empire chinois unifié. Il met fin à des siècles de guerre entre plusieurs États et instaure les règles de gouvernance, de droit et d’administration qui seront caractéristiques de la Chine pour les 2 000 ans à venir.»
Ce formidable stratège, utilise les mêmes principes tactiques qu'aujourd'hui: c'est le phénomène des "com-prehensive strike". Aujourd'hui, on recoure aux firmes de communications pour préparer le terrain et amortir la vérité. En mettant la réalité au goût du jour, les néo-mercenaires arriment les plus vils buts de leur mécène à illusions de leur population respective. Les armes changent, les stratégies demeurent les mêmes.
L'Espagne vient de remporter le Coupe du Monde 1-0 contre les Pays-Bas. C'est la victoire du football méditerranéen "La comedia de'll Arte" contre la Hollande nordique "On frappe sur tout ce qui bouge et parfois le ballon". Les fauteuils seront satisfaits et rassurés de voir qu'ils ont, une fois de plus, réussi à conserver leur édredon à l'abri de la vase du rugby. Les bonzes de la FIFA songent à soumettre les situations douteuses à la reprise vidéo. Guère surprenant qu'ils hésitent: au foot, la longueur des matchs rejoindraient sans doute celle du cricket à force de revoir les innombrables complaintes et lamentations sur le vert. Il faudrait instaurer la pénalité pour comédie, comme la NHL l'a fait.


Pour Ying Zheng, pas de faux semblant possible! Il doit d'ailleurs se retourner dans sa tombe:
- Il dort votre Excellence.
- Pas grave, il se réveillera, et il ... attaquera! Au couteau!
Dans l'adversité, l'amitié n'existe pas; il n'y a que la survie. Les joueur de la Coupe du Monde, comme les soldats de Robin Hood ou de Ying Zheng, affrontent un destin qui n'est qu'en partie le leur; les conditions, le général, l'adversaire modifieront l'enjeu; leur conviction fera le reste.

10 juillet 2010

Salut ma tante Bernadette

Tu es morte voilà quelques jours. Un tas de monde a parlé de toi tantôt. Je n'y étais pas. Je m'occupais de mes filles. Mais j'ai pensé à toi. J'ai aussi pensé à la rue Haut-Boc où tu as vécu si longtemps avec mon oncle Jacques; Jacques Biron, photographe pour l'armée canadienne. Jacques le fou heureux; Jacques le mort qui vivait trop vite; Jacques du « J'aime ma femme » dans le miroir de la salle de bain. Quand il travaillait, je jouais dans la ruelle avec Gilles et Alain; quand il disparut, Gilles et Alain s'ancraient dans la ruelle pendant que j'apprivoisais le Séminaire. Toi, Bernadette, tu relevas le front; tu répondis au destin: viens-t-en, j't'attends!

Je ne me souviens pas d'autre chose que de ton rire; pas ton sourire : tu ne souriais pas. Tu riais. Toujours! Pas la peine de te demander pourquoi. Tu vivais... Et bien plus que nous tous. Je me rappelle quand tu m'avais dit que mon cadeau de noce avec l'Américaine m'attendait dans le garde-robe; on n'est jamais allé le chercher. On est si con : on coure après nos ennemis, et on ignore nos amis...

Chère Bernadette. J'irai te dire mon bonjour au fleuve ce soir. Ou tu viendras me le chuchoter cette nuit : la nuit, je suis toujours disponible pour les esprits. Si tu viens, ce sera certainement une drôle de nuit. Ton rire des années 50 et 60 résonne encore; comme celui de ton Jacques d'ailleurs.

Je t'aime beaucoup ma tante. À quelle vie t'étais rendue? Quand tu rencontreras le Juge l'autre bord, dis-lui que tu veux revenir. Fais une faveur à notre société de pacotille, prends possession d'un nouveau-né, ça va nous faire du bien, et, qui sait, si je décidais d'enseigner jusqu'à 76 ans, je pourrais te demander d'arrêter de rire une minute pour écouter ce que j'ai à dire.

À bientôt!

Pierre

9 juillet 2010

Mes sept vies...

Juste un jeu de plus dans la panoplie des divers imaginaires dans lesquels je circule.

Toutes mes vies contiennent des points communs : période foetale, évacuation dans l'atmosphère, perte de mon cordon ombilical, développement physique, social, psychologique et intellectuel. Qui sait à quoi ressemblait chacun de ces items pour chacun des différents individus qui ont abrité mon esprit, mon souffle divin? J'imagine que le premier en ligne n'en soulevait pas des tonnes, et que les derniers se rendaient à des niveaux bien supérieurs. Mais, là, ce sont de préjugés : qui dit que l'homme sage n'est pas un brave epsilon écumant sa vie à l'écuelle de la pauvreté voire de la mendicité; aussi bien, le premier pourrait capter la peau d'un foutu milliardaire imbécile — Y en a-t-il? — si flingué qu'il ne laisse en héritage que des montagnes de monnaie.

Bon, et alors, où ce corps que j'habite se trouve-t-il dans ce cheminement?

« L'incarnation est un choix.
Parvenu à une étape de son évolution, l'être choisit de s'incarner. Afin de poursuivre sa progression. Le mot choix peut prêter à confusion. Le choix obéit à la loi du karma : action-réaction. Ce sont les vies passées qui déterminent le choix.
On récolte ce qu'on a semé.
Les actions positives et négatives des vies passées. Autrement dit, l'action que je fais maintenant contribue à déterminer mon avenir. Le choix est donc l'aboutissement d'une démarche : il découle de la nécessité créatrice. »
Merci monsieur « Par quatre chemins » Languirand. Alors, ce n'est pas 7 vies finalement, c'est n'importe quel chiffre. Est-ce que c'est un? Il faudrait que la mémoire prenne le dossier en charge. Alors, disons que je crois en la réincarnation; disons que j'en suis à mon énième retour sur terre — ou ailleurs si je crois aussi aux extraterrestres — et que mes souvenirs, sous hypnose et préférablement avant que je n'aie atteint l'âge de 7 ans, moment où ces informations, selon les spécialistes, commencent à s'estomper. J'ai grignoté des pommes grenades accrochées dans mon arbre; j'ai couru en malade vers l'ennemi sous les ordres de Gengis Khan; j'ai brait; j'ai exploité mes semblables avant de construire un manoir. Je suis surtout mort; mort à répétition. Mon esprit se demande certainement quand je vais devenir une femelle pour enfin pouvoir progresser vers un éventuel nirvana qui pourra avantageusement remplacer une de mes vies...


Je vis encore. Je suis un humain. J'aurais le goût de dire : est-ce ma dernière? Ai-je agi de manière à ne pas avoir de raisons de revenir parce que j'ai fait tout ce que je devais faire? La réponse est non, bien sûr; il y a un tas de choses que je pourrais améliorer. J'ai encore quelques années pour corriger cela. Vais-je le faire... Voilà la question! Hey, Hamlet, have you come back???

Pop

L'art est la philosophie du geste. Elle boursouffle de stéréotypes. Elle précède la vision tout en suivant les sens. Elle affirme l'identité en la sectionnant.


D'instinct, le pop me rebute. Mais c'est dans sa nature; donc, il succède. Son principal but consiste à se faire voir et à se faire monnayer. J'aime mieux Pollack. Le pop plonge dans l'instantanéité: éphémère comme l'argent qui le fait vivre.

Pourtant, ce Pop est tout en séduction. Il fait rire; il joue au serpent et, comme lui, peut absorber d'une seule bouchée un univers immense.

On s'en reparle....

8 juillet 2010

Le Chien Noir


Le restaurant dont vous vous souviendrez pour le reste de votre vie. L'excellence de la nourriture, la profondeur de leur cave à vin, la chaleur du service, tout s'orchestre pour illuminer vos papilles.


6 juillet 2010

Don de monsieur et madame Xyz...

Je sors du AGO (The Art Gallery of Toronto). J'ai visité plusieurs musées d'art dans ma vie, en Europe et en Amérique. Un été, ma conjointe et moi avions couru les États-Unis pour retrouver tous les tableaux formant une des séquences des nénuphars de Monet. En Pologne, les oeuvres médiévales du Château Wawel deviennent la plus merveilleuse machine à voyager dans le temps. Une chose ne change pas toutefois : le monde entier semble-t-il cultive le partage de la richesse culturelle. Les musées grignotent les gouvernements bien sûr, mais ils se gorgent des cadeaux de leurs riches compatriotes.

Le Québec a, en effet, une attitude très distincte : les riches sont cons et ils conservent jalousement les biens qu'ils acquièrent. Connaissez-vous les oeuvres que Gilles Vigneault a achetées avec ses millions; y a-t-il plusieurs oeuvres dont Yvon Deschamps est l'heureux propriétaire qui se retrouvent sur les murs de Musée de Québec? Mais oui, elles sont juste à côté de celles de Jean Lapointe.? Les Jean Coutu, les Laperrière et Verreault, les Laquerre et les Duhaime, millionnaires des secteurs payants grâce à des gouvernements complices, les avez-vous vues leurs contributions culturelles?

Nous sommes ratatinés culturellement. Une chance que l'on est distinct, s'il fallait que tout le monde soit comme nous, ce n'est plus le réchauffement de la planète qu'il faudrait craindre, c'est le virus, voire la pandémie, de la bêtise.

Vivre et laisser vivre

Vivre dans une maison en bois rond qui n’a qu’une seule pièce. Vivre dans la plus abjecte pauvreté avec une mère catatonique, un jeune frère de 12 ans, une jeune sœur de 6, tout en n’ayant que 17 ans. Vivre sur une diète de pommes de terre rôties dans la poêle de fonte sur un feu de bois et quelques écureuils en ragoût. Voilà Winter’s bones : un film dur. Curieusement, il respire le bonheur à travers les horreurs. Le plus curieux? Les lois non écrites de cette jungle d’arrière-pays. Il est difficile à croire que cela peut se passer aujourd’hui.

En me promenant sur le site des manifestations du G20 à Toronto, je me questionnai sur ces événements récents tellement typiques de la civilisation de violence et de déplacement du respect. Les forces de l'ordre imitent la banalité des droits comme ceux qui font voler en éclat les vitrines, qui incendient les voitures officielles, qui insultent les dirigeants du monde. Le respect appelle le respect.

La reine Élizabeth II prononcera une allocution à l'ONU demain; apparemment, elle plaidera en faveur de la paix sur la Terre. Voilà bien une mission qui nous apparaît totalement illusoire. Re, l'héroïne de Winter's Bones s'en fout pas mal; et tous ses semblables aussi : eux, ils doivent vivre et composer avec une violence que les quelques mal foutus emprisonnés dans des locaux cent fois plus confortables avec une diète mille fois supérieure dégustée sur un lit, comble du luxe, ne connaissent et ne connaîtront jamais.

Mais nous avons tous nos cages, n'est-ce pas?




4 juillet 2010

Du calme...

Dans quelques années, notre demeure nous enterrera.

Vous devez lire ceci: http://www.nytimes.com/2010/07/04/weekinreview/04schwartz.html?_r=1&ref=global-home

Ce commentaire contient ces quelques vers:
The basic problem, Mr. Plait said, is that people rarely look up into the dark sky and know what’s normal, much less abnormal. The singer James McMurtry summed it up nicely in his song “Levelland”:


«Mama used to roll her hair
Back before the central air
We’d sit outside and watch the stars at night.
She’d tell me to make a wish,
I’d wish we both could fly.
Don’t think she’s seen the sky
Since we got the satellite dish. ...»
Et moi qui écris cela sur un ordinateur, branché sur un réseau sans fil à la maison.
«Still, we hold on to the mysteries left to us, savoring guilty pleasures like Larry King’s alien (check the picture — that could be a family resemblance) and not trying too hard to understand phenomena like the Marfa lights. On this planet, where a hole in the ground of our own making spews millions of gallons of toxic slush, surely it’s O.K. to hope that there’s intelligent life, well, somewhere.»

We are beyond guilt. We are part of the pattern.

Mais, bientôt, toujours plus tôt qu'on ne le pense, notre environnement changera encore plus vite. La nature disparaîtra pour ne plus laisser place qu'au pouding consommateur. Cette situation n'est pas alarmante; elle s'avère totalement naturelle. Elle libère l'ordre des choses.

Plus je regarde ce paysage lunaire, ou martien, mais surtout terrien, je me rappelle que nous ne vivons que sur une toute petite portion de la planète. De plus, nous, qui nous émoustillons sans répit sur nos impacts environnementaux, nous n'occupons qu'un grain de sable. Nous sommes la risée de l'univers et du reste de la planète qui tente de survivre. Les autres sont bien loin des droits de l'homme; de fait, donnez-leur une plateforme de forage et deux mille éoliennes dans leur cours et ils vont vous remercier d'avoir mis du riz dans leur bol. Vous pensez détruire la planète. Quelle illusion! Nous nous détruisons pour laisser place à d'autres. La planète, elle s'en balance de sa chaleur, des hommes et des barils d'or noir. Elle aura la paix un peu plus rapidement.




3 juillet 2010

Faudrait quand même bien être heureux merde!





Mille et une façons de trouver du soleil. Je ne sais ni écrire ni lire. Je parle assez bien pour mon âge. J'adore les enfants tout jeunes, j'ignore pourquoi; peut-être parce qu'il me rappelle mon court passé.

Je fais à ma tête la plupart du temps. Quand je deviens extrême, mon père me ramène à la réalité. Parfois, c'est loin d'être drôle. Mais cinq minutes plus tard, ça se trouve déjà dans ma mémoire à long terme; je lui ramènerai cela plus tard, vers mon adolescence... Je ne suis pas dormeuse. Je suce mon pouce, je ronronne comme un chat, je me blottis sur le divan devant le téléviseur pour écouter des films que mes parents me forcent toujours à écouter en version originale. Mais je ne dors pas. Même le soir, quand vient le temps de me mettre au lit; je peux facilement passer une quarantaine de minutes à flairer l'air du temps. Ma soeur, elle, s'endort en deux temps trois mouvements; moi, je sirote ma journée; je nettoie mon cerveau. J'attends, puis je me lève pour que papa vienne me recoucher. J'ai besoin d'attention faut croire.

Je crise à souhait. C'est encore un assez bon moyen d'avoir ce que je veux. Ça diminue en efficacité, mais bon, je trouverai bien autre chose pour les manipuler.

J'imagine que bien des gens aimeraient être comme moi. Oh! Il y en a plein. Mais il se cache sous leur habit d'adulte. Leur chiâlage est plus sophistiqué, plus articulé, plus justifié - j'ai dit justifié, pas justifiable - des adultes qui souvent s'exprime sur la place publique. Malheureusement, il n'y a pas grand monde pour les remettre à leur place. Alors, ça dérive sérieusement.

J'ai hâte de vieillir. Je ne serai pas comme eux. Je serai heureuse. Moi!

2 juillet 2010

Ifs imémoriaux...

Quel mot étrange : if; If; IF; les ifs; des ifs; mes ifs... Je les ai appelés longtemps des cèdres. Encore aujourd'hui, je ne saurais trop faire la différence entre if, cèdre et genévriers. Je sais pourtant qu'on récolte l'if de façon quasi industrielle pour je ne sais quoi; j'assaisonne certaines de mes sauces ou ragoûts avec des baies de genièvre; et puis bon les garde-robes et les coffres de cèdre, tout le monde connaît.

If provient du mot gaulois, ivos, qui représentait le même arbre. Dans la littérature médiévale, il semble bien que ce conifère ait eu une relation assez étroite avec les archers; on en faisait des traits, des flèches. Voyez donc :
«Et que je l’aim de loial cuer parfait, Ferme et estable, Et qu’elle m’a par le riant attrait De son dous oueil droit parmi le cuer trait. Mais ne sont l’arc, la saiette et le trait D’if ne d’erable. Si que j’espoir que li dieus qui n’a song Ne me faurroit jamais a ce besong…» — Guillaume de MachautŒuvres
 Ce mot m'avait frappé dans ma lecture du Comte de Monte Cristo. Ce dernier réussit à s'évader du Château d'If où il fut emprisonné par le procureur du roi sous le soupçon d'être un bonapartiste. Le Château d'If, ce monument sombre, un vrai château de vampire, qui a accompagné tant de cauchemars qui me laissèrent livides et couverts de sueur froide tout au long de mon adolescence. Outre ce roman de Dumas, je dois vous confier qu'il y avait durant ma jeunesse une foison d'adaptation télévisuelle d'oeuvres romanesque dont bien sûr ce brave Comte Dantès et son impérissable compagnon bouclé dont j'oublie le nom mais non son rire acide et ses cheveux noirs d'encre et bouclés comme un mouton.

Il me faudra aller vérifier le feuillage sur Internet; il est totalement inacceptable que je ne puisse toujours identifier correctement cet if qui m'accompagne depuis toutes ces années.

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Voilà!

1 juillet 2010

Le Magazine littéraire nous offre un commentaire sur l'essai de Frédéric Martel qui s'intitule La guêpe et l'araignée.
«Au fond, ce que démontre avec beaucoup de subtilité Frédéric Martel, exemples à l’appui, c’est que les Américains n’ont pas pour souci, comme on le croit trop souvent dans certains cercles, de tuer les cultures nationales. Ils se contentent de les maintenir dans leur sphère d’influence géographique, et même parfois les aident à survivre. Ces cultures nationales doivent servir de conservatoire. Il faut entretenir ces niches pour y puiser tout le suc qu’elles contiennent et y faire naître par la suite des projets qui continueront d’alimenter la Grande Machine culturelle qui tourne à plein rendement. Cette situation rappelle celle, chère aux entomologistes, dans laquelle la guêpe retient captive l’araignée, qu’elle immobilise grâce à son venin. La guêpe dépose ses oeufs dans le corps de son ennemie vivante. Par la suite, les larves vont absorber la chair de l’araignée, conservée fraîche, frémissante jusqu’à l’ultime bouchée. Une mort culturelle lente et cruelle, mais une conquête en douceur réalisée par la connaissance affûtée des réalités locales et des populations ciblées.»
Que faut-il craindre d'une production culturelle écrite, audio ou visuelle, sinon l'image de sa propre faiblesse, et surtout, de son propre refus de consommer la sienne propre.
La culture américaine est devenue pour notre époque contemporaine l'équivalent de la culture française au Siècle des Lumières, de la culture britannique sous l'empire colonial, ou encore sous la Hollande maritime. Tout le monde veut en être parce que tout le monde y est; tout le monde s'en accommode, parce que tout le monde en consomme et en redemande

La culture américaine n'est pas une guérilla; elle est un charme, un filtre, une aurore boréale qui laisse béat.

Pétales


Au fil des saisons, les fleurs explosent. Parmi les premières, parmi les plus exubérantes, les plus mystérieuses, les pivoines. Elles poussent comme les asperges, vite et irrésistiblement; elles émergent de la boue printanière comme de vulgaires tiges à tête fripée; à peine quelques jours, les feuilles ont déjà envahi la platebande et font ombrage. Les bourgeons, billes vertes, que les fourmis parcourent, n'attendront que deux ou trois jours avant de percer. Aussitôt, le papier de soie coloré prend du soleil et embaume. Deux petites semaines, puis c'est le retour à la verdure intégrale pour le reste de la saison.

La bouteille de vin est vide. Les amis sont rentrés. La vaisselle est terminée. Les enfants sont bordés. C'est le retour dans le vaisseau spatial pour traverser la nuit. Encore une!

À qui appartient la nuit? Et si Fight Club n'était pas une fiction? Où loge le présent quand le conscient s'absente? J'ai déjà hâte de dormir pour vérifier... La pivoine refleurira-t-elle avant le printemps prochain...

29 juin 2010

Les moufettes et le trou

L'été dernier, huit moufettes prirent le chemin de la trappe; une cuillérée de beurre d'arachide les attendait puis.... clap! La porte se rabat d'un coup sec et sans appel. Embarrée, elle finit par se calmer, dormir et attendre. Le matin, au soleil, la senteur ne ment pas; un visiteur nocturne se fait prendre. Notre ami et agent de la faune est averti; il viendra faire un tour en fin d'après-midi. Il couvrira la cage d'une couverture; noussaisissons 'un côté chacun,la  déposone dans la camionnette poualibérer l’animal  dans un bois quelques kilomètres plus loin.

Les mouffettes commencèrent à se pointer de façon plus constante lorsque quelques marmottes, rats musqués et rats d'eau envahirent les environs de la maison. Des trous, quatre autour de la maison, quelques autres sur le terrain; quelques noyés dans la piscine et quelques effrontés jusque sur les patios avant et arrière. En ajoutant les mulots, les écureuils et les nombreux oiseaux, le surnom de zoo domestique devenait inévitable.

Parmi les invités,seuless quelques jeunes marmottes persistent; et les moufettes bien sûr, mais cette année une seule s'est promenée la nuit dernière; je ne l'ai pas vue, mais sentie oui! Les moufettes sont un peu paresseuses.Ellese n'aiment pas creuser alors elles envahissent les terriers des autres animaux. Ainsi, l'animal qui a patiemment creusé ses tunnelsarrivet un bon matin et trouve dans sa demeure un invité au parfum indéfendable. Il n'a d'autre choix que d'aller creuser ailleurs.

Je connais un certain nombre de moufettes. Ils entrent et sourient béatement quand on revien :: bienvenue chez vous! Et la dernière intention est bien de les suivre à l'intérieur de votre chez vous. Il faut pourtant se loger. Peut-être s'agit-il d'une gentille personne, pas du tout désagréable malgré une première impression complètement suffocante. Le courage d'y aller, le risque de rester marqér à vie par son influence...

Qui ne risque rien n'a rien. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Vive la témérité et le destin!

28 juin 2010

Girls just want to have fun...

Cindy Lauper l'a dit:
«Some boys take a beautiful girl 
And hide her away from the rest of the world 
I want to be the one to walk in the sun 
Oh girls they want to have fun 
Oh girls just want to have»
Hum...! Elles doivent être philosophes dans l'âme:
«Plutarch thought philosophy should be taught at dinner parties. It should be taught through literature, or written in letters giving advice to friends. Good philosophy does not occur in isolation; it is about friendship, inherently social and shared. The philosopher should engage in politics, and he should be busy, for he knows, as Plutarch sternly puts it, that idleness is no remedy for distress.»
Aristote, Socrate, Platon, Shopenhauer, Wittgenstein ou Pellerin, who cares really? Tout devient si horriblement sérieux de nos jours.
Les fuites, les scandales, les désastres, les gaspillages, les journalistes se chargent de nous les rappeler tous les jours. Et les rires, les hilarités comme les p'tits bonheurs qui s'en chargent? Allez continue à rire Laurence, tu nous rappelles que le vie est belle.

27 juin 2010

Fou à lier!








La folie est fascinante. Nous pourrions nous demander où nous en serions si elle ne nous avait pas accompagner dans notre périple civilisateur.  Dans son Éloge de la folie, Érasme donne vie et fabule sur ce merveilleux romantisme qui déclenche inévitablement la joie féconde sinon la gaieté gaillarde.

«Quoi que dise de moi le commun des mortels (car je n'ignore pas tout le mal qu'on entend dire de la Folie, même auprès des plus fous), c'est pourtant moi, et moi seule, qui, grâce à mon pouvoir surnaturel, répands la joie sur les dieux et les hommes. Je viens encore d'en donner la preuve éclatante ; à peine ai-je paru au milieu de cette nombreuse assemblée, pour prendre la parole, que tous les visages ont aussitôt été éclairé par la gaieté la plus nouvelle et la plus insolite; tous les fronts se sont tout de suite déridés; vous m'avez applaudi avec des rires si aimables et si joyeux que, vous qui êtes venus de partout et tels que je vous vois, vous m'avez l'air ivre du nectar des dieux d'Homère mélé de népenthès, alors qu'il y a un instant vous étiez sur vos sièges aussi sombres et soucieux que si vous veniez de sortir de l'antre de Trophonius. Mais quand le soleil montre son beau visage d'or à la Terre, quand après un rude hiver le printemps nouveau souffle ses caressants zéphyrs, aussitôt toutes choses prennent figure nouvelle, nouvelle couleur et vraie jeunesse; de même dès que vous m'aviez vu votre physionomie s'est transformée. Et ainsi ce que des orateurs d'ailleurs considérables peuvent à peine obtenir par un grand discours longuement préparé, je veux dire chasser de l'âme les soucis importuns, je n'ai eu qu'a me montrer pour y parvenir.»
  • Népenthès: Herbe miraculeuse et euphorisante.
  • Trophonius: Meurtrier de son frère. Se trouve dans son antre un oracle qu'on ne peut écouter sans être malheureux toute sa vie.

Le bonheur recherche la folie. Ne devrait-on pas vider les sanatoriums?

26 juin 2010

Sans début comment finir?

Je cherchais une raison d'écrire. Depuis hier... Je voulais taper quelques lignes sur mon blogue, mais sur quoi? Hier soir quand j'ai fermé mon Mac, les yeux brouillés de trop de vin, la tête engourdie de trop de conversation avec des amis, j'ai abandonné.

Ce matin, ça m'a repris. J'ai ouvert New York Times après que Cyberpresse n'ait rien eu d'autre que du placotage sauf une ou deux chroniques. Sur le NYTimes, je trouve toutes sortes de choses intéressantes. Y fouiner est un réflexe; c'est américain, bien sûr; mais c'est si riche... n'est-ce pas?

Bon, eh bien j'ai trouvé : Borges, le monstre. J'ai lu quelques-unes de ses nouvelles. Son espagnol sud-américain chasse le classique comme Cervantes les moulins. Ses histoires suivent des labyrinthes étranges et aussi complexes que son érudition :

«Think of it this way: there is a vast unwritten book that the heart reacts to, that it races and skips in response to, that it believes in. But it’s the heart’s belief in that vast unwritten book that brought the book into existence; what appears to be exclusively a response (the heart responding to the book) is, in fact, also a conjuring (the heart inventing the book to which it so desperately wishes to respond). »
Fascinant, non? On réagit à une absence en lisant une non-entité. Pour un individu qui a lu autant que Borges, il y a de quoi s'inquiéter. Ou alors, c'est comme Dom Juan qui cherche la femme en virevoltant de vagin en vagin sans jamais réussir sa quête : un peu de masturbation pourrait le soulager plus efficacement... et pour Borges, un peu de distance d'avec sa mère! On ne trouve plus à force de trop chercher... ou de ne pas se décider! C'est à voir.


« Which brings us back to worship. If serial rereading is one way to define worship, then one of Borges’s most revered gods was Robert Louis Stevenson. This even though in Borges’s time, Stevenson’s work was basically considered kid stuff. The first seven editions of the Norton Anthology of English Literature do not deign to include Stevenson, though he finally surfaces in the eighth edition, published in 2006. Borges not only commented on books that didn’t exist. He read books — pulpy and arcane alike — that few others bothered to see.
The Stevenson book Borges revisited most often was “The Wrecker,” a relatively obscure novel that Stevenson wrote with his stepson. Published in 1892, “The Wrecker” is a story of high seas adventure, high stakes speculation and high interest loans; it’s part mystery novel, part adventure novel, part mock Künstlerroman. The title refers to the practice of auctioning off the remains of wrecked ships along with any recoverable cargo, which is, yes, an irresistibly resonant metaphor for neglected books. »
 Mais oui! Lire pour pouvoir répondre, même inadéquatement, même partiellement, même en désespoir de cause : pour se convaincre que notre lecture apporte quelque chose de plus que notre simple plaisir. Les nuages croisent le ciel au nord, les navires au sud; je suis au centre et observe passivement. L'un des courants va vers l'ouest, l'autre vers l'est. Si j'étais dans le golfe du Mexique, j'étoufferais en attendant impatiemment la colère d'Alex.

Je m'en vais finir Zola...

24 juin 2010

Vulnérabilité

Doubt avec Streep et Hoffman : un film sur l'honnêteté, sur la manipulation? Sur le doute de quoi au juste? Dédié à Soeur James Marie qui est l'instrument de la découverte de la relation du prêtre et de l'étudiant; ça ne règle rien. La vie est un labyrinthe.

En 1964 et jusqu'en 1969, j'étudiai dans un Séminaire où je reçus une éducation dont je n'ai jamais rencontré l'équivalent même après 35 ans à l'intérieur du monde de l'éducation. Ce parcours, aujourd'hui, m'apparaît comme la plus dangereuse course à obstacles jamais imaginée. Nous avions tous de conseilleurs spirituels; nous les rencontrions régulièrement à leur chambre-bureau. Je me rappelle les invitations d'un abbé à aller à son chalet avec d'autres élèves; ils nous prenaient en photos, photos bien naïves, qu'il montrait par la suite à ses amis. On ramassait un peu de feuilles sur son terrain; on pique-niquait puis on faisait du kayak sur le fleuve. Un peu tout le monde avait son abbé préféré : pour se chamailler à la cafétéria; pour raconter quelque aventure de fin de semaine; pour montrer une réalisation artistique. À l'époque, naïf ou simplet, je ne me souviens d'aucune relation malsaine, d'aucun événement répréhensible entre un de ces membres du clergé et des élèves. Et pourtant...

J'apprends année après année des histoires désolantes : un responsable des scouts qui terminait ses soirées en compagnie; un maître de salle, recruteur pour un réseau de prostitution; tel autre prêtre, à l'insu de tous, à l'affût d'une proie facile.

Et ce film qui vient tout faire basculer. Comme si le pendule n'avait rien d'autre à nous apprendre que le retour vers l'autre pôle. Est-ce que ce prêtre sert Dieu et son apostolat en aimant ces jeunes? Posez la question donne le frisson. Imaginez ces mains, supposément sacrées, sur ces corps pré, ou à peine pubères... Existe-t-il une pédophilie religieuse et une autre damnée? Les amants sont-ils juges et parties? Le sacerdoce révoque dans la pratique de sa religion le respect de soi, soit, révoque-t-il aussi le respect de l'hymen?

Une partie de la réponse réside certainement dans la vulnérabilité de l'un et l'autre des deux partenaires. En faisant abstraction de l'abject d'un réseau de prostitution, et même là pourrions-nous considérer l'appât du gain comme facteur justificateur, la consommation de la relation devrait nécessairement apporter consciemment ou inconsciemment un certain niveau de satisfaction mutuelle. Les forts s'en tirent, les faibles fléchissent.

Pauvre église coincée entre le bien et la satisfaction... entre les souhaits et le bonheur... entre l'âme et le corps!

23 juin 2010

Bouche cousue

Le général McChristal devait se méfier de son franc-parler. Ne le devons pas tous; en tout cas ceux qui en ont, un de ses malheurs fut de se confier à une foutue commère du Rolling Stones. Mais ce dernier ne sera pas congédié, même pas réprimander, il sera glorifié et en voie vers une promotion sans doute pour avoir fait preuve du professionnalisme tordu dont les journalistes actuels se servent pour grimper l'échelle. Les singes!


Je ne peux m'empêcher de penser au colonel Nathan R. Jessep dans Few Good Men en 1992, rôle joué par Jack Nicholson et pour lequel il recevra une nomination aux Oscars. « You can't handle the truth » dit-il au jeune pubère qui lui fait la leçon en cour martiale. L'autorité vole bas aujourd'hui; aussi bas que la réalité et la franchise. Le corbeau se régale des cadavres professionnels de plus en plus nombreux; les vautours sont repus et n'ont même plus à se battre avec les hyènes pour leurs repas tellement les restes jonchent les sols à la grandeur de la planète. Nous avons le front de nous plaindre des comportements frondeurs de la jeune génération. Nous demandons-nous quelquefois si nos comportements ne les dirigent pas directement vers ces indisciplines récurrentes? Pour eux aussi d'ailleurs nous inventons toutes sortes de succédanés à cette autorité que nous détruisons si systématiquement que nous refusons de prendre à notre charge ses conséquences. Personne n'assume; personne ne se tient debout; tous, nous fuyons vers les placebos.


Il faut espérer. La liberté de presse aura peut-être raison de cette boue médiatique qui afflige le monde des communications actuelles.



22 juin 2010

La plus belle pour aller mourir

En cherchant un endroit paisible, on trouve parfois des temps morts. Ils nous font creuser le présent et découvrir des instants que nous pensions perdus. Mais ils existent encore.

Alain, Gilles et moi dans la ruelle de la rue Haut-Boc à jouer aux matamores. Pour moi, ce n'était qu'un jeu; cela ne durait jamais plus qu'un après-midi; pour eux, c'était la vie. Tous les jours, pendant que je déambulais dans ma banlieue, ils vivaient plus qu'ils ne jouaient dans ce centre-ville sale et malsain. Je suis resté le peureux qui s'est bardé de diplôme, ils sont devenus ivrognes. Ils se sont détruits.

Ainsi va la vie. Sans pardon devant la faiblesse. Dans son livre superbe « Choisir la liberté », Fernando Savater affirme que ce ne sont ni les instincts ni notre patrimoine génétique, mais notre capacité à décider et à inventer des actions à même de transformer la réalité et de nous transformer qui décidera de notre destin. Il considère que notre société étouffe l'individu sous une masse de mesures déresponsabilisantes. Ce n'est plus l'individu qui creuse dans un endroit paisible, c'est l'état systémique qui creuse pour lui et lui offre les solutions; solutions qui consistent habituellement à établir des pathologies de toutes sortes en offrant le remède dont lui seul à la recette.

Mourons avec la certitude que nous creusons nous-mêmes.

21 juin 2010

Les occasions

Les saisir. Les échapper. Les exploiter. Je vais aller vérifier mon dictionnaire des occurrences. Des tonnes attendent ces occasions. Le titre fait le lien avec le Festival Shakespeare & Co. Le célèbre festival littéraire anglophone sis à côté du parvis de Notre-Dame. Le titre me fait sourire : il provient d'une librairie fameuse et notoire pour la gent littéraire. George, le proprio, partage, semble-t-il, la même génétique que Monsieur Tranquille et sa librairie montréalaise. Les mots peuvent devenir terriblement impressionnants parfois.

« "Une utopie socialiste qui se fait passer pour une librairie"… Ainsi George Whitman décrit-il de manière à la fois sérieuse et amusée le labyrinthe de livres qu'est Shakespeare & Company. Fondée en 1951 et ouverte tous les jours de l'année, la librairie, mais aussi la bibliothèque au premier étage et l'appartement de George dans le même immeuble – tous remplis à ras bords de livres les plus divers –, sont le cadeau de ce bibliophile idéaliste et passionné à l'honnête homme cherchant un refuge où nourrir sa pensée. »
 Un peu ironique de baptiser ce lieu sacré du nom du dramaturge britannique qui fut peut-être un prête-nom, un peu comme l'est peut-être Molière. Ils étaient tous deux des capteurs d'occasions, des membres de compagnies.

« Les librairies, pour George, sont un acte politique. Que ce soit par la diversité des titres qu'elles diffusent, par leur soutien aux auteurs et aux petits éditeurs, ou encore par les communautés de lecteurs qu'elles font exister, les librairies indépendantes ont de par leur existence même une fonction de liant social. En France, contrairement aux pays anglo-saxons, la loi sur le prix unique du livre a permis aux librairies indépendantes de survivre et de se développer. Elles n'ont jamais été aussi nécessaires qu'aujourd'hui. Dans nos vies de plus en plus intensément façonnées par Internet, les réseaux sociaux virtuels et les nouvelles manières de lire, la librairie peut se vivre comme le lieu d'un engagement : un engagement pour la lenteur, une passion simple pour ce qui est enraciné, réel, palpable. »
 Bien dit! Shakespeare et Molière se chargèrent d'une vision sociale qui modifia celle de toute une civilisation. Leurs mots résonnaient dans les amphithéâtres comme autant de livres sur des rayons. Alors, la source des mots importe assez peu; dans la mesure où ce sont eux qui ont dirigé les voix, les ont proclamé aux citoyens. L'occasion était belle et ils l'ont saisie.

« Le thème de cette année est “Politique et Fiction”... Le terme 'politique' pourrait se définir simplement comme une suite de récits qui s'interpénètrent pour définir nos idées et nos croyances. Le remarquable dernier ouvrage de Philip Pullman, The Good Man Jesus and the Scoundrel Christ, en offre une démonstration parfaite, en détachant l'histoire de Jésus de la façon dont elle a été contée – changée – par ceux qui, venant après lui, ont voulu utiliser cette histoire à leurs propres fins. Il montre comment un homme de paix est changé en icône de pouvoir : l'essence de la politique. »
 En refermant leurs textes dans des manifestations publiques, les dramaturges s'assurent d'une relative fidélité à leur verbe; Jésus et ses sermons n'avaient pas cette même assurance. Il demeure, toutefois, indéniable que les deux types de paroles gardent un impact certain sur leur société et toutes les autres suivantes.

20 juin 2010

Le ventre de Warwick

Les anges se cachent partout. Ils fondent leur présence dans le réel secrètement, voire sournoisement.

Au festival des produits du terroir de Warwick, je n'ai vu aucun ange; aucun symptôme, même pas la plus subtile vibration. De fromage en fromage, de cidre en liqueur, de chocolat en miel, le néant total : pas d'ange ici. Les quelques enfants présents gambadent à gauche et à droite; ils tricotent parmi les comptoirs en réclamant des victuailles. Les adultes endimanchent leur conduite : tout sourire et politesse. Dieu que les gens de la Rive-Sud sont plaisants. Ils en sont beaux.
— Venez goûter mon bleu, mon chèvre, mon hydromel...
Le rustre bâtiment de béton bête prend des allures marché médiéval; les visiteurs deviennent des serfs en liberté dans une fête seigneuriale.
— dix coupons pour 5 $!
Allez donc, un autre pour la route. Tout est gustatif.
Les nuages se sont dissipés. Les enfants s'enfoncent dans leur sieste. L'estomac est lourd, les yeux le sont aussi. Quarante minutes de la maison...
— Toujours pas d'ange?
— Non, que des feu follets...

Bafoué, exploité, génial

Qu'André Mathieu meurt dans l'oubli, que le film qu'on fait de sa vie subisse des commentaires désapprobateurs, n'affirme que la traditionnelle petitesse de cette petite population de petite nation.

L'insouciance des sociétés pour ses précurseurs est notoire. La populace n'aime pas trop les hors-normes. Ils parlent trop fort. Peu importe le sadisme subi de leur vivant, leur voix peut rendre sourd après leur mort. Surdité accompagnée de terrible remords.

Dans le cas de Mathieu, leurs rumeurs veulent que le père modulât la production de son fils grâce à des portions de cognac. Alcoolique dès un très jeune âge, le pianiste génial, hallucinait sa vie et son oeuvre. On ne l'appelait pas le Mozart canadien pour rien; ils connaissaient tous les deux les affres de l'ambition paternelle. Le génie rencontre souvent la torture et quand elle ne vient pas de l'extérieur, elle vient de l'intérieur.

Le présent calcule mal ses sauveurs. Il les guillotine avant et les reconnaît après. On pense réparer; on veut se corriger; on ne change jamais; on veut garder son présent à soi; on justifie la condamnation pour outrage à la conformité. Il n'y a que les monstres pour pleurer les monstres. La belle et la bête, ce n'est qu'un conte évidemment. Il faut bien admettre que la reconnaissance de quelque génie que ce soit pendant leur vivant n'est guère romantique; quelle tare! J'ai découvert l'uranium. J'ai illustré la relativité. J'ai inventé le moteur à explosion. J'ai écrit Les Planètes. Le catalogue des illustres rivalise avec l'annuaire téléphonique de Toronto : les blanches et les jaunes! Mais où est le romantisme? Où est leur alcoolisme toxicomane? Où est leur paranoïa schizophrénique? Où est leur bipolarité maniaco-dépressive? Où sont leurs vices? Nulle part! Ils rentrent le soir à la maison pour bouffer leur souper et jouer un peu avec les enfants avant de les mettre au lit... Et ne pas se coucher trop tard, car il faut retourner au laboratoire demain matin. Pas de Pathos! Que de la vie et de fascinantes découvertes, rarement, mais parfois justement, remarquées et récompensées par un Nobel.

Finalement, nous ne sommes pas si mauvais avec nos prophètes. Nous sommes juste romantiques : on aime bien pleurer un peu...

18 juin 2010

Zola impérial

Je lis toujours Zola. Je poursuis les Rougon-Macquart jusque dans leurs retranchements. Très lentement... Ce sixième volume après deux ans, pas de lièvre du tout, mais de la tortue pur sang. Pourtant, cette progression me plaît. J'aime goûter calmement ces longs couloirs descriptifs. Zola joue avec notre patience; les quelques interrogations sur le déroulement maintiennent bien mal l'intérêt; il faut cultiver la curiosité de cette société de la fin du XIXe pour sourire à tous ces longs paragraphes de textes tassés.

« Son Excellence Eugène Rougon nous enveloppe de ce luxe impérial d'une France à cheval entre le royalisme et la république : 
D'ordinaire, il trouait piquant de faire causer le jeune député. Il savait par lui tout ce qui se passait aux Tuileries. Persuadé, ce soir-là, qu'on l'envoyait pour connaître son opinion sur le triomphe des candidatures officielles, il réussit, sans hasarder une seule phrase digne d'être répétée, à tirer de lui une foule de renseignements. Il commença par le complimenter de sa réélection. Puis, de son air bonhomme, il entretint la conversation par de simples hochements de tête. L'autre, charmé de tenir la parole, ne s'arrêta plus. La cour était dans la joie. L"empereur avait appris le résultat des élections à Plombières; on racontait qu'à la réception de la dépêche, il s'était assis, les jambes coupées par l'émotion. Cependant, une grosse inquiétude dominait toute cette victoire : Paris venait de voter en monstre d'ingratitude.
“Bah! on musellera Paris”, murmura Rougon, qui étouffa un nouveau bâillement... »
 Je ne bâille jamais à suivre Eugène Rougon. Il me fait trop penser aux politiciens actuels. L'empereur existe; le jeune député existe aussi; et Rougon? Mais oui, il est là aussi. Voilà l'extraordinaire puissance d'Émile Zola : la pérennité.



17 juin 2010

En vélo

Une petite ballade d'une trentaine de kilomètres cet après-midi. Une bonne brise et quelques côtes pour me rappeler l'utilité du dérailleur. Sur la route, lorsque la piste cyclable disparaît, les automobilistes me respectent; je m'en sens coupable de griller un feu rouge. Curieuse bête le respect. Ce matin, à l'angle Saint-Olivier et Des Forges, aux lumières, un conducteur attend patiemment que la voiture en avant de lui laisse assez de place pour qu'il puisse avancer tout en dégageant l'intersection; un hurluberlu Néandertal, pris d'impatience, vient le doubler pour venir totalement obstruer le passage. J'ai croisé les antipodes : le respect et l'imbécilité. Comme le soleil et l'ombre, l'un ne peut exister sans l'autre.

Je vis, par choix et selon ma volonté du moment, sur les deux versants de ma vie : le public et le solitaire; le bon et le cruel; l'homme et le père. À la suite de la lecture du blogue « Frontal Cortex », je pourrais même ajouter, le lobe frontal et le rachidien. C'est peut-être l'âge, c'est peut-être la vie, ce sont sans doute les deux, je peux sortir d'une vie pour entrer dans une autre. Je suis le cycliste en quête de marginalité et l'automobiliste continuellement à la merci d'une rage soit mineure soit majeure. Cette situation est tout particulièrement vraie avec ma jeune Emma dont les sautes d'humeur, les « flashs floods » ne cessent de mettre mon cerveau en ébullition pour, quelques instants plus tard, offrir quelques orchidées d'un parfum tout aussi séducteur qu'éphémère.

La vie en séquence.

16 décembre 2009

Entre le temps et l'hésitation...

Schwarz-Bart vécut ce drame terrible de la reconnaissance immédiate. Le poids s'avère trop lourd; la responsabilité trop contraigante. Il veut guérir; le vaccin offert à la première heure le transforme en ermite. «C’est un écrivain à qui il est arrivé un grand malheur : il a fait ses débuts avec un chef d’œuvre.»

Encore monsieur Assouline qui nous invite à retourner dans la mémoire, puisque «tous avancent dans la lumière de leur vérité secrète».

À lire absolument.


3 novembre 2009

La faune domiciliare




Que j'aime ce lieu pastoral!

Quelques marmottes qui font le bonheur de mes jeunes filles — le beau toutou qui bouge; trois familles de rats musqués qui rôdent autour de la piscine; des écureuils trop nombreux pour le compter qui grimpent sur le mur de stucco et les moustiquaires en nous regardant effrontément; huit mouffettes, bien comptées, attrapées dans les cages, dont deux ensemble la semaine dernière; bien sûr les chats; évidemment les nombreux oiseaux qui viennent se nourrir aux mangeoires; les quelques familles de souris des champs qui gambadent dans le plafond du sous-sol malgré les sacs de moulée empoisonnée et les quelque douze trappes enfromagées dispersées un peu partout. Il y a aussi la faune à peine civilisée qui orbite dans les chambres de l'hôtel, gagne-pain de ma conjointe, mais on y reviendra...

La vie sur le bord du fleuve n'en demeure pas moins idyllique. Les arbres de marais, la coulée à l'eau brunâtre et huileuse, bourrée de résidus huileux et nauséabond fruit de puisards qui rejettent directement leurs eaux; la berge marécageuse immédiatement à côté du pont qui sent le canard et l'algue poisseuse; et ce pont, mais oui ce fameux pont, qui charrie ces points lourds aux freins Jacob, tonitruant les oreilles en faisant vibrer la maison comme autant de tremblements de terre au cliquetis de tout objet plus ou moins bien fixé sur son socle.

Ah! divin lieu pastoral! Jamais le Lac de Lamartine n'aurait semé les larmes que mon fleuve et sa faune ne m'extirpent chaque nuit de tintamarre symphonique.

23 octobre 2009

Le précurseur







Le texte qui suit est cité de la revue Sciences Humaines, octobre 2007, n°186, page 46.

Paul Otlet (1868-1944). Il avait rêvé Internet






Jean-François Dortier
L’homme qui voulait classer le monde est le beau titre de la biographie consacré à Paul Otlet (1868-1944) (1). Ce juriste belge fut un visionnaire, porté par un grand rêve. Les documentalistes le connaissent pour avoir inventé la CDU (Classification décimale universelle). Mais son projet était plus vaste : classer tous les savoirs du monde – livres, articles, photographies… – dans un lieu unique et centralisé. Avec le soutien du roi des Belges, le Mundaneum voit le jour au début des années 1920. Là des équipes classent, répertorient, rédigent des notices avec le but affiché de contribuer au progrès de l’intelligence en classant tout le savoir humain. Le temps passant, le projet prend de l’ampleur. P. Otlet rêve de construire une « cité mondiale » où seraient rassemblés tous les savoirs du monde, et dont Le Corbusier dessinera même des plans et maquettes.
En 1934, P. Otlet imagine dans un texte prémonitoire ce que sera Internet : « Ici, la table de travail ne serait plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements… De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone, avec ou sans fil. (…) Utopie aujourd’hui, parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. »
Mais à partir des années qui suivent, P. Otlet perd peu à peu ses soutiens. Finalement le Mondaneum ferme au début des années 1930 et ses collections sont dispersées. Il ne désarme pas, continue de noircir ses carnets de nouveaux projets. En 1934, il publie son Traité de documentation, considéré comme l’ouvrage de base de la documentation moderne. Malgré une reconnaissance internationale, l’aspect utopique de ses projets l’isole de plus en plus… Devenu aveugle à la fin de sa vie, P. Otlet meurt en 1944. Son œuvre sombre dans l’oubli.
Depuis peu, on redécouvre P. Otlet. Il fut non seulement l’inventeur de la documentation moderne mais il avait imaginé Internet, le Web et même Wikipedia bien avant l’heure. Un film et une biographie lui ont été consacrés en 2006.

NOTE

Françoise Levie, L’homme qui voulait classer le monde. Paul Otlet et le Mundaneum,Les Impressions nouvelles, 2006.






Nous soulageons notre ignorance avec de galantes et polies expressions qui deviennent des proverbes. Nous tétanisons nos craintes par de tournures langagières habiles. De tout temps, la marge ne cultive jamais que la solitude et l'incompréhension. Il en est bien ainsi, car le solitaire se régale de l'abandon ambiant. Il s'en masturbe; c'est sa joie, sa drogue. Tel le poète qui se replie sur son texte; l'écrivain qui met fin à ses jours juste après sa dernière conclusion, il n'est jamais que la brique qui tombera du mur avant les autres, que la dernière feuille à s'accrocher au lierre. Je lisais dernièrement un article au sujet de Geoff Powter et de son héros, Conrad Kain dans le Canadian Geography: ce célèbre alpiniste canadien, amant des Rocheuses, décida d'escalader seul le Bugaboo Spire. Seul; en solitaire; suivant le chemin. Powter se lance donc à l'attaque; bientôt, au tiers de l'escalade, il doit renoncer et rentrer à cause de la détérioration de la température. Deux poids, deux mesures : Otlet s'est fait voler définitivement son rêve par la maladie; Powter, par les éléments.

Les défis sont nués comme les gants à l'époque des duels. Le courage de les relever est bouteille à la mer. Et encore faudrait-il faire la part des choses entre courage et aveuglement.

Finalement, montagne ou communication, c'est toujours Sisyphe qui se balance.